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«Nous ne pouvons pas parler de réconciliation si le pardon ne fait pas partie de la discussion.»
Quand il pense à la réconciliation, Cristino Bouvette se rappelle souvent sa grand-mère: sa force, son empathie et sa capacité à pardonner.
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Lui est prêtre catholique; sa «kokum», Amelia Mae Bouvette, était survivante des pensionnats fédéraux pour Autochtones. «Elle était habitée d'une foi profonde», se souvient M. Bouvette
Ces dernières années, le prêtre de 35 ans, de Calgary, s'est fait souvent demander comment il conciliait le fait d'être Autochtone et membre de l'Église. Pendant longtemps, il n'y a pas eu de conflit intérieur, dit-il. Le christianisme était enraciné chez sa grand-mère, qui avait grandi au sein de l'Église unie du Canada; des membres de sa famille ont même été ordonnés ministres de cette congrégation.
Des chants religieux résonnaient dans les pièces de la ferme albertaine d'Amelia, où le jeune Cristino mangeait la banique de sa grand-mère et célébrait son identité crie. «Il y avait une certaine harmonie, je dirais, dans tous ces facteurs et composantes de ma vie.»
Mais lorsque le jeune homme était au séminaire, il a pris davantage conscience des implications tragiques de ces pensionnats pour Autochtones. C'est alors qu'il s'est dit: «Je me demande si ça fait mal à Kokum, que son petit-fils devienne prêtre?».
On estime que 150 000 enfants autochtones ont été forcés de fréquenter des pensionnats fédéraux pendant un siècle.
Amelia Mae Bouvette avait sept ans, en 1926, lorsqu'elle a été séparée de sa famille, dans la communauté crie de Saddle Lake, en Alberta, et emmenée de force au pensionnat fédéral d'Edmonton, qui était tenu par l'Église unie. Elle y restera jusqu'en 1938, et son petit-fils assure que ce passage obligé a été une source de douleur indescriptible pour elle.
Des décennies plus tard, après avoir élevé 14 enfants et fait carrière dans sa communauté, Amelia épluchait des patates avec son petit-fils dans sa cuisine. Le jeune homme lui a alors demandé si elle était offensée ou inquiète qu'il ait décidé d'entrer dans les ordres.
Sa grand-mère a répondu qu'elle avait rencontré au cours de sa vie de bons religieux et de bons prêtres, et elle espérait qu'il deviendrait un de ceux-là. «Elle commençait déjà alors à m'apprendre que la réconciliation était possible.»
Sa kokum est morte en 2019, un mois avant son 100e anniversaire.
L'objectif de la délégation qui sera à Rome la semaine prochaine est de savoir comment les Autochtones et l'Église catholique peuvent s'unir dans un effort de guérison et de réconciliation.
À Winnipeg, Geraldine Shingoose, elle, n'a aucune intention de pardonner ou de se réconcilier.
Membre de la communauté Tootinaowaziibeeng, au Manitoba, Mme Shingoose a passé neuf ans de sa jeune vie au pensionnat de Muscowequan, en Saskatchewan. Elle raconte aujourd'hui que son séjour là-bas a été sa première véritable exposition au christianisme: une expérience de traumatismes et d'agressions.
Le pensionnat avait ouvert ses portes dans les années 1880 et a été fermé en 1997. Des tombes non marquées y ont été découvertes pour la première fois au début des années 1990, lors de la construction d'une conduite d'eau. En 2018 et 2019, au moins 35 tombes non marquées potentielles ont été localisées sur le site à l'aide d'un radar à pénétration de sol.
Mme Shingoose estime que les injustices dans les pensionnats fédéraux ont été remises en lumière lorsque 215 tombes potentielles ont été découvertes l'an dernier près du pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique.
Mme Shingoose veut alors obtenir des réponses. «L'Église catholique a commis un crime.» Elle s'est donc rendue à la cathédrale Sainte-Marie, à Winnipeg, et s'est assise dehors pendant une dizaine d'heures, jusqu'à ce qu'elle puisse obtenir un entretien avec l'archevêque. Mais cette conversation n'était pas sincère et elle ne s'est pas sentie écoutée, dit-elle.
Elle n'appuie pas l'initiative d'une délégation au Vatican _ elle suggère qu'il s'agit d'une «tactique coloniale» que l'Église utilise pour détourner l'attention des injustices en cours contre les Autochtones. «Iriez-vous rendre visite à quelqu'un qui a assassiné votre enfant et lui demander des excuses?»
Comme pour de nombreux Autochtones chrétiens et catholiques, les récentes découvertes de tombes non marquées près des anciens pensionnats fédéraux ont amené le père Bouvette à réfléchir profondément au rôle et à la responsabilité de l'Église pour favoriser la guérison.
Il comprend à quel point la délégation au Vatican est importante pour certains, mais il ajoute que l'Église «ne peut pas donner l'impression de cocher des cases».
Réparer cette relation et faire amende honorable, ça se fait aussi dans le calme d'une maison dans une communauté autochtone, dit-il. Lorsqu'il s'assoit et écoute les aînés pendant des heures, et entend vraiment ce qu'ils ont à dire.
«Peu importe ce qui se passe au Vatican, peu importe si le pape vient au Canada, peu importe ce que le pape a à dire, il y a tellement de travail en cours que (...) nous ne devons pas perdre de vue, estime M. Bouvette. Nous l'avons fait et ça doit continuer.»
Le père Bouvette estime que l'Église doit continuer à travailler vers le pardon et la compréhension même si certains Autochtones ne sont pas prêts à pardonner. La quantité d'excuses ou les sommes d'argent ne peuvent enlever la douleur, dit-il, alors la réconciliation n'a pas d'échéancier précis.
«Nous ne pouvons pas parler de réconciliation si le pardon ne fait pas partie de la discussion.»