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«Le gouvernement a "dompé" cette responsabilité sur les genoux des municipalités et il se donne bonne conscience en pensant avoir fait quelque chose pour la sécurité publique», lance l'avocat Bernard Raymond.
«Un show de boucane»: c'est ainsi que la loi 128 est qualifiée par l'avocat Bernard Raymond, dont un des clients est notamment le gardien des chiens ayant agressé deux femmes dans la municipalité de Val-des-Sources, en août 2021. Depuis, il prend part à plusieurs contre-expertises réalisées dans le cadre de la législation, dont il dit observer les absurdités sur une base quasi-quotidienne.
«Le gouvernement a dompé cette responsabilité sur les genoux des municipalités et il se donne bonne conscience en pensant avoir fait quelque chose pour la sécurité publique», lance l'avocat.
Dès l'entrée en vigueur de la loi 128, Carl Girard avait pour sa part émis des réserves quant à son efficacité. La mise en application de la loi l'a éventuellement convaincu de quitter son poste de directeur général de la SPA des Cantons, un organisme qu'il avait fondé en 2011 et dont il avait jusqu'alors tenu la barre.
«[L'application de la loi], c'est erratique, on nage dans l'improvisation et les absurdités. Les grands perdants là-dedans, ce sont les chiens», affirme le spécialiste en comportement canin, convaincu que «le nombre d'euthanasies» a dû monter en flèche au cours des trois dernières années.
Selon Carl Girard, maintenant président fondateur de l'Association des entraîneurs canins du Québec (AECQ), la loi 128 donne trop de latitude aux municipalités, «qui peuvent faire à peu près ce qu'elles veulent et ça donne lieu à des histoires d'horreur absolument hallucinantes». L'éducateur canin est d'ailleurs convaincu que le nombre d'euthanasies de chiens a augmenté depuis l'entrée en vigueur de cette loi.
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Me Raymond abonde en ce sens. «La majorité des villes l’interprètent et l’appliquent selon leur bon vouloir, constate-t-il. Elles ne sont pas liées par l'évaluation comportementale et pourraient donc faire euthanasier un chien même si le vétérinaire ne le recommande pas. Heureusement, d'autres seront plus respectueuses.»
Ce problème s'explique entre autres par le fait que les comités chargés de décider du sort de l'animal sont généralement composés d'individus qui n'ont aucune connaissance en comportement canin.
«Tout se décide sur la base d'une impression, soulève M. Girard. Et les comités municipaux qui ont droit de vie ou de mort sur un chien sont souvent formés d'un policier, d'un fonctionnaire municipal ou d'un conseiller. Quand ont-ils été formés et comment?»
Conseiller en communication à l'Union des municipalités du Québec, Patrick Lemieux n'est pas de cet avis. «L'application de la réglementation varie selon la municipalité parce qu'elles ne vivent pas toutes la même réalité, nuance-t-il. Certaines ont décidé d'être plus contraignantes et d'autres de s'en tenir à la réglementation provinciale. Dans les régions où il y a moins de vétérinaires ou bien où on a confié le contrôle animalier à des organismes comme des SPA, on va appliquer le règlement plus ou moins sévèrement.»
M. Girard se questionne aussi sur la valeur des évaluations comportementales ordonnées et qui peuvent mener à la déclaration d'un chien «potentiellement dangereux».
«C'est n'importe quoi, fait à la va comme je te pousse. Ça peut être fait à distance, par des gens qui n'approchent pas le chien et qui n'ont pas de contact physique avec lui, déplore M. Girard. À la SPA, quand on évaluait la dangerosité d'un chien après une morsure, on le gardait pendant sept jours et on faisait rapport tous les jours pour suivre la progression.»
Ces constats font conclure à M. Girard que «les bonnes personnes n'ont pas été consultées» pour élaborer la loi. «Les refuges et les sociétés de protection des animaux auraient été les mieux placés pour appliquer la loi, estime-t-il. Ces gens-là voient les chiens, les côtoient, interagissent avec eux.»
M. Lemieux, pour sa part, rappelle que l'UMQ avait soulevé, dès la commission parlementaire ayant mené au projet de loi, que dans certaines régions, l'accès à des vétérinaires pour évaluer le comportement des chiens était plus difficile. Ce faisant, l'organisation souhaitait que des éducateurs canins et des maîtres chiens, par exemple, puissent procéder à cette expertise.
«Malheureusement, la situation ne semble pas s'être améliorée depuis quelques années», déplore-t-il.
La Dre Caroline Kilsdonk, qui était présidente de l'Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ) quand la loi est entrée en vigueur, n'est pas du même avis.
«On ne devrait pas faire des évaluations de dangerosité si on est une personne qui est militante pour les animaux, à mon sens, explique-t-elle. Pour faire des évaluations, il faut être une personne qui veut se situer en équilibre entre les humains et les animaux.»
Son successeur, le Dr Gaston Rioux, indique que les vétérinaires ont été spécifiquement formés pour pouvoir réaliser les évaluations de dangerosité des chiens conformément à la loi. Plus de 200 professionnels auraient suivi cette formation à ce jour et 43 afficheraient ouvertement ce service dans leur profil pratique, bien qu'ils soient beaucoup plus nombreux à pouvoir l'offrir.