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Le manque de consultation des dirigeants autochtones inquiète l'interlocutrice spéciale indépendante nommée par Ottawa dans le dossier.
La décision d'Ottawa de confier en sous-traitance le travail de recherche de tombes non marquées à une organisation non autochtone établie aux Pays-Bas manque de transparence et risque de causer des dommages, estime l'interlocutrice nommée par Ottawa dans ce dossier.
Kimberly Murray, qui a été nommée l'an dernier «interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes», a indiqué qu'elle avait fait part de ses préoccupations directement au ministre des Relations Couronne-Autochtones, Marc Miller, au sujet de la décision de son ministère de dépenser 2 millions $ pour obtenir l'expertise de la Commission internationale pour les personnes disparues.
Cette organisation, qui a son siège à La Haye, aux Pays-Bas, se spécialise dans l'identification des restes des personnes qui ont disparu ou ont été tuées à la suite de conflits armés, à cause de violations des droits de la personne ou dans des catastrophes naturelles, comme la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic en 2013.
«Ils n'ont aucune compétence avec les peuples autochtones au Canada, a déclaré Mme Murray, ancienne directrice générale de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, de 2010 à 2015, et membre de la nation mohawk de Kahnesatake, au nord de Montréal.
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«Ils ne comprennent pas le régime constitutionnel sous lequel nous sommes, ils ne comprennent pas les droits constitutionnels protégés par l'article 35. Ils ne savent rien des lois et du protocole autochtones», a-t-elle soutenu.
Mme Murray a déclaré qu'elle avait parlé à la commission internationale _ qui n'a pas encore répondu à une demande de commentaires.
Dans son annonce initiale du contrat, plus tôt cette semaine, le cabinet du ministre Miller a indiqué que la Commission internationale pour les personnes disparues entreprendrait une «campagne de sensibilisation à travers le pays» auprès des communautés autochtones qui cherchent à connaître leurs options pour identifier ou rapatrier les éventuels restes des enfants qui ont été forcés de fréquenter les pensionnats fédéraux.
À la suite de ces rencontres qui, selon le cabinet du ministre, se feront avec l'aide de «facilitateurs autochtones locaux», la commission devra soumettre ses recommandations au gouvernement dans un rapport.
Mais l'interlocutrice Murray se dit préoccupée par le manque de consultation auprès des dirigeants autochtones, avant qu'Ottawa ne signe ce contrat. «Il n'y a pas de transparence, a-t-elle déploré lors d'une récente entrevue. Ce qui m'inquiète, c'est que ce n'est pas orchestré par des Autochtones: c'est orchestré par le Canada.»
Stephanie Scott, directrice du Centre national pour la vérité et la réconciliation, a déclaré vendredi que l'organisme «n'avait été consulté d'aucune manière significative». Le centre a demandé que la Commission internationale rencontre son personnel ou les survivants des pensionnats avant que le contrat soit signé, mais ça ne s'est pas produit, a ajouté Mme Scott.
Elle a déclaré que le centre avait été en contact avec le cabinet du ministre Miller dans l'espoir de répondre aux «préoccupations» concernant la portée et les détails du contrat, «pour s'assurer qu'il ne traumatise pas à nouveau les survivants» ou ne crée pas de «fausses attentes» sur ce que cette commission internationale pourra effectuer comme travail.
«C'est une question très délicate, a déclaré Mme Scott. L'accord technique ne doit pas dupliquer les travaux actuellement en cours qui sont menés par les Autochtones, mais plutôt soutenir leurs efforts pour retrouver tous les enfants.»
Au-delà du peu d'expérience de la commission internationale en matière de travail avec les survivants des pensionnats pour Autochtones, Mme Murray se demande aussi pourquoi le gouvernement fédéral sollicite un autre rapport sur la question, alors qu'il a créé justement un poste d'interlocutrice spéciale pour lui fournir des recommandations.
«Ils ont créé des mécanismes dirigés par des Autochtones, mais en même temps, c'est presque comme s'ils avaient besoin d'un rapport parallèle d'une entité non autochtone pour obtenir une quelconque crédibilité, estime Mme Murray. Et ils le font pour ainsi dire en catimini.»
Une porte-parole au cabinet du ministre Miller a déclaré jeudi soir que «les accords et les documents seront partagés le cas échéant, avec la contribution de toutes les parties».
Le cabinet du ministre Miller explique que la décision de se tourner vers la commission à La Haye est intervenue après avoir reçu des appels de certaines communautés autochtones qui réclamaient des outils supplémentaires pour les aider dans leurs recherches.
Une note d'information fortement caviardée, obtenue par La Presse Canadienne l'automne dernier, montre que les fonctionnaires fédéraux considéraient cette commission internationale comme un organisme indépendant digne de confiance.
Et dans le passé, la députée néo-démocrate du nord du Manitoba, Nikki Ashton, a demandé au gouvernement de faire appel à des experts internationaux, comme ceux de la Commission pour les personnes disparues, afin d'aider les communautés autochtones.
Ottawa a commencé à jouer un rôle plus proactif dans le soutien des recherches au printemps 2021, lorsque la communauté Tk'emlups te Secwepemc, en Colombie-Britannique, a annoncé qu'elle avait détecté 215 tombes non marquées possibles, à l'aide d'un radar, près d'un ancien pensionnat fédéral à Kamloops. Cette annonce a entraîné une vague généralisée de sympathie et des appels à la justice plus concertés.
Depuis lors, des communautés autochtones de l'Ouest canadien et de certaines régions de l'Ontario ont trouvé des traces radar de ce qui pourrait être des centaines d'autres tombes non marquées. Les communautés se demandent maintenant comment préserver ces sites et rechercher d'éventuels restes humains, dans le respect et la dignité.
À la lumière des découvertes, le gouvernement de Justin Trudeau a nommé Mme Murray «interlocutrice spéciale indépendante» dans le dossier et annoncé la création du Comité consultatif national sur les enfants disparus des pensionnats et les sépultures non marquées.
La médecin légiste crie-mohawk Kona Williams est membre de ce comité, qui a récemment publié un guide que les communautés autochtones peuvent utiliser lors de leurs recherches. La docteure Williams a elle aussi exprimé sa préoccupation concernant le recours à la commission internationale.
«Il doit y avoir de la transparence, de la communication et de la collaboration avec les Autochtones avant de conclure des accords qui nous concernent directement», a-t-elle expliqué dans un message sur Twitter.