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Après quelque 300 heures de témoignages, 9000 documents déposés en preuve et quelques révélations majeures, le volet public de l'enquête s'est terminée.
Après quelque 300 heures de témoignages, 9000 documents déposés en preuve et quelques révélations majeures, le volet public de l'enquête sur la toute première utilisation de la Loi sur les mesures d'urgence s'est terminé vendredi par une plongée en profondeur dans des questions sur la responsabilité et la transparence du gouvernement.
Une table ronde d'experts a donné un aperçu d'une question clé que la Commission sur l'état d'urgence devra trancher: le gouvernement fédéral a-t-il été suffisamment transparent sur les raisons pour lesquelles le cabinet se sentait légalement justifié d'invoquer ce qui est censé être une mesure de dernier recours?
Au cours de sept semaines de témoignages, il est apparu que l'interprétation du gouvernement de ce qui constituait une «menace pour la sécurité du Canada» n'était pas conforme à la définition énoncée dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), à laquelle renvoie la Loi sur les mesures d'urgence.
Le directeur du SCRS, David Vigneault, a déclaré à la commission que les manifestations du «convoi de la liberté» n'atteignaient pas le seuil de menace à la sécurité nationale tel que défini dans la Loi sur le SCRS. Mais on l'a assuré que le cabinet pourrait interpréter les choses différemment dans le contexte d'une déclaration d'état d'urgence.
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L'avis juridique qui a amené M. Vigneault, les fonctionnaires fédéraux, le cabinet et le premier ministre à cette conclusion n'a pas été communiqué à la commission.
Le gouvernement insiste sur le fait que cet avis juridique est protégé par le secret professionnel de l'avocat.
«Il serait difficile de dire que cela n'affecte pas la capacité de la commission à parvenir à une conclusion», a déclaré l'ancien directeur du SCRS Ward Elcock, interrogé sur l'impact de documents caviardés et de la non-divulgation d'informations à la commission d'enquête.
Il a convenu toutefois qu'il y avait là des enjeux de sécurité nationale, de confidentialité des délibérations du cabinet et, de fait, de secret professionnel de l'avocat. Révéler l'avis juridique du gouvernement serait une «pente glissante», a admis M. Elcock, qui a également occupé plusieurs postes dans la haute fonction publique fédérale.
La dernière semaine d'audiences s'est éloignée du quotidien des manifestations pour se concentrer plutôt sur des questions législatives et sociétales qui avaient contribué au chaos l'hiver dernier.
Le premier ministre Justin Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d'urgence le 14 février en réponse à l'occupation du centre-ville d'Ottawa, pendant quelques semaines, par des manifestants du «convoi de la liberté» opposés aux restrictions sanitaires, et plus largement au gouvernement fédéral. D'autres manifestations similaires bloquaient des postes frontaliers terrestres ailleurs au pays, stoppant des centaines de millions de dollars de commerce.
La déclaration d'état d'urgence accordait des pouvoirs extraordinaires aux gouvernements, à la police et aux institutions financières pour limiter les droits des manifestants à la liberté de réunion, geler les comptes bancaires et obliger les entreprises privées à collaborer avec les autorités, le tout dans le but de mettre un terme aux manifestations.
C'était la première fois que cette loi d'exception était invoquée depuis qu'elle a remplacé la Loi sur les mesures de guerre en 1988, de sorte que les seuils juridiques pour son utilisation n'avaient jamais été testés jusqu'ici.
Il appartiendra ultimement au juge Paul Rouleau, qui préside la commission, de décider si la décision du premier ministre était justifiée — sans jamais avoir vu sur quelle base juridique cette décision reposait.
Ce problème de transparence pourrait être résolu à l'avenir si le gouvernement faisait la moitié du chemin: transmette une compréhension générale de la base juridique pour déclarer l'état d'urgence, a déclaré vendredi Hoi Kong, professeur de droit constitutionnel à l'Université de la Colombie-Britannique.
Comme plusieurs experts l'ont expliqué vendredi, le simple fait de tenir une enquête constitue déjà un moyen de tenir le gouvernement responsable, du moins politiquement.
«Avec ces mécanismes de responsabilisation, vous voulez notamment que les décideurs, au moment où ils doivent réellement prendre une décision comme celle-ci, aient comme un petit oiseau perché sur leur épaule qui leur dit: “Un jour, quelqu'un qui ne subit pas cette pression d'agir rapidement regardera ce que tu as fait”», a illustré Kim Lane Scheppele, professeure à l'École des affaires publiques et internationales à l'université américaine Princeton.
Dans cette veine de transparence, le juge Rouleau a par ailleurs annoncé vendredi la décision d'Ottawa de rendre publiques des versions non caviardées de 20 documents liés directement au recours à la Loi sur les mesures d'urgence.
L'avocat des organisateurs du «convoi», Brendan Miller, avait demandé à la commission Rouleau de rendre publiques ces informations, qui n'auraient pas dû, selon lui, être protégées par le privilège parlementaire. Ces documents comprennent des notes écrites et des échanges de textos entre des membres du personnel politique du premier ministre Trudeau.
Le juge Rouleau a indiqué vendredi que le gouvernement avait finalement lui-même accepté de publier volontairement les documents non caviardés.
Puisque le volet témoignages de la commission Rouleau est maintenant terminé, toute nouvelle information contenue dans ces documents qui ne sont plus caviardés est peu susceptible d'être soumise à des témoins. Ces informations pourront toutefois être prises en compte par le commissaire et être commentées dans les arguments écrits des différents groupes qui ont participé aux travaux de la commission.
À l'issue de la dernière table ronde d'experts, vendredi, le juge Rouleau a remercié tous les témoins qui ont comparu devant la commission. Son travail passe maintenant à la vitesse supérieure.
Le commissaire n'a que jusqu'au début février pour présenter ses conclusions et ses recommandations au Parlement. Le rapport doit être rendu public dans les deux langues officielles d'ici le 20 février.