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Le privilège de dénoncer cherche à savoir pourquoi les femmes et les filles noires sont largement absentes du débat public lorsqu’il est question de violences sexuelles.
Kharoll-Ann Souffrant, doctorante en service social à l'Université d'Ottawa et chroniqueuse pour Noovo Info, a publié son nouveau livre Le privilège de dénoncer.
Le privilège de dénoncer cherche à comprendre pourquoi les femmes et les filles noires sont largement absentes du débat public lorsqu’il est question de violences sexuelles. L'écrivaine explore sans détour les raisons historiques de ce constat à partir d’exemples tirés du Québec, de la France et des États-Unis.
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Voici un extrait de la publication:
« J’ai dit la vérité et j’ai été privée de justice.»
Ces mots, ce sont ceux de Nafissatou Diallo, en entrevue dans Paris Match en septembre 2020. Elle revenait alors publiquement pour la première fois sur le scandale sexuel ayant impliqué l’ancien patron du Fonds monétaire international Dominique Strauss-Kahn (DSK), scandale qui a chamboulé sa vie tranquille. Diallo n’est pas une personnalité publique. Elle travaillait alors au Sofitel à New York et avait accusé DSK de l’avoir agressée sexuellement dans une chambre de ce prestigieux hôtel. DSK a toujours clamé son innocence et nié les allégations de Diallo à son endroit. Nous étions en 2011, bien avant que le mot-clic #MeToo ne devienne viral. L’affaire avait eu un retentissement international.
En 2011, je devais avoir environ 19 ans. Du haut de ma naïveté de l’époque, j’ai un souvenir très clair de Diallo, cette femme noire qui avait courageusement pris la parole devant les médias. À ce moment-là, je ne réalisais pas alors tout à fait la joute des privilèges qui jouait en sa défaveur. DSK était pressenti à la présidence de la France. Bien que cette possibilité se soit dérobée sous ses pieds après ce scandale, il était – et est toujours – un homme puissant et influent. Ses comportements problématiques envers les femmes, dénoncés par de multiples accusatrices, sont demeurés largement impunis, tel que démontré par le documentaire Chambre 2806 : l’affaire DSK, sorti en 2021 sur Netflix. Avec le recul, je réalise aujourd’hui que l’image de cette femme de ménage est restée gravée dans ma mémoire parce que c’était la première fois que je voyais une femme noire dénoncer des agressions sexuelles à la télévision. L’échec du système de justice criminelle en matière de violences sexuelles n’est plus à démontrer, et ce, dans de nombreuses juridictions, que ce soit en France, aux États-Unis ou au Québec. Toutefois, le déni de justice auquel se butent tant de personnes survivantes dépasse largement ce domaine. Être privée de justice, ça arrive dans les écoles, dans les universités, dans l’armée, au travail, dans nos communautés et dans nos familles, et ce, que la justice s’en mêle ou pas. Pour plusieurs survivantes, cela équivaut à devoir se battre contre Goliath, à lutter seules contre la culture du viol.
Si le système de justice criminelle laisse tomber l’ensemble des personnes survivantes, indépendamment de leur genre, les mots de Nafissatou Diallo résonnent particulièrement pour les femmes survivantes issues des communautés noires et racisées. Ces femmes, qui sont trop souvent ignorées lorsqu’elles osent parler vrai, même lorsque leurs agresseurs sont réputés pour leurs comportements problématiques, demeurent dans l’angle mort du mouvement #MeToo. Ce fait est ironique, car #MeToo a été créé et pensé par elles. Elles continuent toutefois d’être reléguées à la marge. Malgré tout, elles résistent aux violences qui leur sont infligées dans la société. Au fil des années, j’ai été frappée par d’autres récits de femmes noires ayant osé parler publiquement comme Diallo. Certaines connues, d’autres moins. Plusieurs ont dénoncé leurs agressions récemment, pour d’autres, cela remonte à plus longtemps. Ce sont leurs récits que j’ai envie de relater ici, et ce, dans l’optique de retracer la genèse du mouvement #MeToo. Nafissatou Diallo est devenue à mes yeux un symbole. Sa dénonciation représente l’une des grandes étapes ayant mené au mouvement #MeToo d’octobre 2017 pour plusieurs femmes de ma génération. Or, pour de nombreuses femmes des générations précédentes, le nom d’Anita Hill évoque un cas analogue, ayant eu un impact tout aussi fort. On peut d’ailleurs retracer le premier jalon du mouvement #MeToo à cette affaire. »
Le privilège de dénoncer est publié par les éditions du Remue-ménage. Le livre est disponible ici.