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Alors que le premier ministre Justin Trudeau discute aux Bahamas de l'escalade de la crise en Haïti avec les dirigeants des Caraïbes, certains observateurs l'exhortent à ne pas adhérer à la suggestion d'intervention militaire.
M. Trudeau est arrivé mercredi à la réunion de la Communauté des Caraïbes (CARICOM), où se réunissent 20 chefs de gouvernement de la région. Il devrait prononcer une allocution lors d'une plénière au sommet et rencontrer plusieurs des dirigeants en tête-à-tête jeudi, y compris le premier ministre haïtien non-élu Ariel Henry, qui a pris le pouvoir après l'assassinat de l'ancien président Jovenel Moïse.
Les bandes criminelles ont pris le contrôle d'une grande partie du pays depuis l'assassinat, paralysant son économie et accélérant la résurgence du choléra. Un rapport des Nations Unies (ONU) dévoilé la semaine dernière a fait état de fusillades, d’exécutions et de viols; la police ne parvient pas à contenir la violence généralisée.
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Avec le soutien de l'ONU, le gouvernement d'Ariel Henry cherche une force de sécurité extérieure pour réprimer le chaos.
À ce jour, le gouvernement du Canada a été réticent à s'y engager, invoquant une préférence pour une solution dirigée par les Haïtiens.
Certains pays des Caraïbes, dont la Jamaïque et les Bahamas, ont préparé le terrain pour les réunions de Nassau en s'engageant publiquement à contribuer à une force, si elle est créée. Dans une déclaration commune remontant à l'automne dernier, les dirigeants de la Communauté des Caraïbes ont déclaré qu'ils prenaient note de l'appel pour une aide à court terme.
Mais le peuple haïtien lui-même n'a pas demandé une telle chose, de faire observer Jean Saint-Vil, un chercheur haïtien de l'Université McGill. Et le Canada devrait éviter de légitimer ce que les Haïtiens soupçonnent d'être en soi une intervention impérialiste. «Il s'agit d'une demande illégale, car la personne qui a fait cette demande elle-même est une entité illégale», selon ce qu’a affirmé M. Saint-Vil à La Presse Canadienne, notant qu'Ariel Henry est accusé d'avoir participé à l'assassinat de son prédécesseur, ce que nie le premier ministre.
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Mario Joseph, procureur général du Bureau des avocats internationaux basé à Port-au-Prince, a déclaré dans une lettre adressée en novembre à la Communauté des Caraïbes qu'une intervention internationale soutiendrait le gouvernement de facto inconstitutionnel, corrompu et répressif et étoufferait les légitimes contestations.
Le procureur Joseph a rappelé que la dernière grande mission de stabilisation de l'ONU en Haïti, qui a fonctionné de 2004 à 2017, a préparé le terrain pour le retour en force de la violence des gangs et a laissé Haïti moins démocratique qu'à son arrivée. «Nous ne voulons pas que nos frères et sœurs de la communauté des Caraïbes viennent avec des armes pour aider des pays puissants à nous imposer un régime répressif».
L'organisation Internationale Crisis Group a fait valoir dans un récent rapport que l'effondrement de l'État haïtien et la gravité de l'urgence humanitaire justifient de plus en plus les préparatifs d'une mission. «Mais son déploiement devrait dépendre d'une planification adéquate pour opérer dans les zones urbaines et du soutien des principales forces politiques d'Haïti, y compris leur ferme engagement à travailler ensemble pour créer un gouvernement de transition légitime», indique le rapport publié en décembre.
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Bob Rae, l'ambassadeur du Canada aux Nations Unies, a déclaré aux journalistes à Nassau mercredi soir qu'une solution doit venir de l'intérieur de la société haïtienne et être exécutée par la police haïtienne.
Bob Rae et Sébastien Carrière, l'ambassadeur du Canada en Haïti, ont tous deux déclaré que le régime actuel doit jouer le jeu sur les demandes de l'opposition pour une élection. «Il est vraiment difficile de s'attaquer sérieusement au problème de sécurité si une seule faction de la classe politique y prend part», selon l’ambassadeur. «Un consensus politique plus large aiderait grandement à restaurer la confiance des gens dans leurs institutions, y compris la police.»
Une intervention étrangère reste «très impopulaire» en Haïti, d’après Brian Concannon, directeur exécutif et co-fondateur de l'Institut pour la justice et la démocratie en Haïti. «Les troupes iraient combattre les gens qu'elles devaient protéger. Et les gouvernements du Canada et des États-Unis ne veulent pas qu’aux nouvelles, on constate que leurs soldats, pour la plupart blancs, tirent sur des civils haïtiens», soutient l'ancien responsable de l'ONU et avocat des droits de l'homme. «Donc, ils essaient de faire en sorte que quelqu'un d'autre soit le visage de cette mission.»
D’autre part, Brian Concannon affirme que des collègues sur le terrain lui signalent que les initiatives canadiennes pour sanctionner les élites accusées de soutenir les gangs ont été utiles. "Il est difficile de prouver quoi que ce soit, mais ils pensent que cela a un impact."
Pour sa part, Bob Rae affirme que le Canada souhaite que les États-Unis et l'Europe aillent plus loin dans les sanctions.