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Une série de missions clandestines pour secourir les soldats coincés à Azovstal au mois de mars, avril et mai, sont considérés parmi les exploits les plus héroïques de la guerre en Ukraine.
Comme à son habitude avant chaque vol, le pilote vétéran de l’armée ukrainienne a passé une main le long du fuselage de son hélicoptère Mi-8, caressant le métal de l'engin pour lui porter chance, ainsi qu’à son équipage.
Ils en auront besoin. Leur destination (une aciérie assiégée dans la ville brutalisée de Marioupol) est un piège mortel. Certains autres équipages ne sont pas revenus vivants.
Pourtant, la mission était essentielle, mais désespérée. Les troupes ukrainiennes étaient coincées, leurs stocks s’épuisaient, leurs morts et leurs blessés s’accumulaient. Leur siège ultime à l’usine d’Azovstal était un symbole du défi de l’Ukraine dans la guerre contre la Russie. On ne pouvait les laisser périr.
Le pilote de 51 ans (identifié uniquement par son prénom, Oleksandr) n’a effectué qu’une seule mission à Marioupol, et il l’a considérée comme le vol le plus difficile de ses 30 ans de carrière. Il a pris le risque, a-t-il dit, «parce qu’il ne voulait pas que les combattants d’Azovstal se sentent oubliés».
Dans le paysage infernal carbonisé de cette usine, dans un bunker souterrain transformé en station médicale qui offrait un abri contre la mort et la destruction au-dessus, le mot a commencé à parvenir aux blessés qu’un miracle pourrait se produire. Parmi ceux qui étaient sur la liste d’évacuation, il y avait un sergent subalterne qui avait été déchiqueté par des obus de mortier, blessant sa jambe gauche et forçant son amputation au-dessus du genou. «Buffalo» était son nom de guerre. Il avait traversé tant d'épreuves, mais un autre défi mortel se profilait : s'échapper d'Azovstal.
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Une série de missions clandestines pour secourir les soldats coincés à Azovstal au mois de mars, avril et mai, sont considérés parmi les exploits les plus héroïques de la guerre en Ukraine. Certains se sont soldés par une catastrophe. Chacune des missions devenait de plus en plus risquée à mesure que les défenses aériennes russes se développaient.
L’histoire complète des sept missions de ravitaillement et de sauvetage n’a pas encore été racontée. Mais à partir d’entretiens exclusifs avec deux survivants blessés, un officier du renseignement militaire qui a participé à la première mission, et des interviews de pilotes fournies par l’armée ukrainienne, l’Associated Press a reconstitué le récit de l’un des derniers vols, du point de vue à la fois des sauveteurs et des secourus.
C'est lorsque les soldats restés dans les ruines d’Azovstal ont commencé à se rendre que le président ukrainien Volodymyr Zelensky a donné pour la première fois des informations sur des missions.
La ténacité des combattants d’Azovstal avait contrecarré l’objectif de Moscou de capturer rapidement Marioupol et empêché les troupes russes d’être redéployées ailleurs. Zelensky a déclaré à la chaîne de télévision ukrainienne ICTV que les pilotes ont bravé les «puissantes» défenses aériennes russes en s’aventurant au-delà des lignes ennemies, en transportant de la nourriture, de l’eau, des médicaments et des armes afin que les défenseurs de l’usine puissent continuer à se battre.
L’officier du renseignement militaire a déclaré qu’un hélicoptère a été abattu et que deux autres ne sont jamais revenus et sont considérés comme portés disparus. Il dit s’être habillé en civil pour son vol, pensant qu’il pourrait se fondre dans la population s’il survivait à un écrasement : «nous savions que cela pouvait être un aller simple.»
«Ce sont des gens absolument héroïques qui savaient ce qui était difficile, qui savaient que c’était presque impossible. Nous avons perdu beaucoup de pilotes», a dit le président ukrainien.
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Le soldat «Buffalo», un jeune homme de 20 ans, s’est entretenu avec l’Associated Press à condition qu’il ne soit pas identifié par son nom, affirmant qu’il ne voulait pas donner l’impression qu’il cherche à faire de la publicité alors que des milliers de défenseurs d’Azovstal sont capturés ou morts. Il était sur la piste d’un char russe, visant à le détruire avec son missile NLAW perforant et lancé à l’épaule le dernier jour du premier mois de l’invasion, lorsque sa guerre a été écourtée.
Jeté à côté de l’épave d’une voiture en feu, il s’est traîné pour se cacher dans un bâtiment voisin et «a décidé qu’il valait mieux ramper dans le sous-sol et y mourir tranquillement», a-t-il déclaré.
Mais ses amis l’ont évacué vers l’aciérie d’Ilyich, qui est ensuite tombée à la mi-avril alors que les forces russes resserraient leur emprise sur Marioupol et son port stratégique sur la mer d’Azov. Trois jours se sont écoulés avant que les médecins ne puissent l’amputer, dans un abri anti-bombes au sous-sol. Il s’estime chanceux: les médecins avaient encore de l’anesthésie quand son tour est venu de passer sous le bistouri.
Quand il est revenu, une infirmière lui a dit à quel point elle était désolée qu’il ait perdu sa jambe.
Il a coupé court avec une blague: «est-ce qu’ils me rendront l’argent pour 10 séances de tatouage?»
«J’avais beaucoup de tatouages sur ma jambe», a-t-il relaté.
Après l’opération, il a été transféré à l’usine d’Azovstal, une place de près de 11 kilomètres carrés, avec un labyrinthe de tunnels souterrains et de bunkers de 24 kilomètres. L’usine était pratiquement imprenable.
Mais l'ambiance était sombre.
«Il y avait des bombardements constants», a dit Vladislav Zahorodnii, un caporal de 22 ans qui avait reçu une balle dans le bassin, déchirant un nerf, lors d’un combat dans une rue à Marioupol.
Évacué vers Azovstal, il y rencontre le soldat «Buffalo». Ils se connaissaient déjà : tous deux étaient originaires de Tchernihiv, une ville du nord encerclée et pilonnée par les forces russes.
Zahorodnii a vu la jambe manquante. Il a demandé à «Buffalo» comment il allait.
«Tout va bien, nous irons bientôt au bar», a répondu ce dernier.
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Zahorodnii a été évacué d’Azovstal par hélicoptère le 31 mars, après trois tentatives infructueuses.
C’était son premier vol en hélicoptère. Le Mi-8 a pris feu en sortant, endommageant l’un de ses moteurs. L’autre les a maintenus en l’air pendant le reste du trajet de 80 minutes tôt le matin vers la ville de Dnipro, dans le centre de l’Ukraine.
Il a marqué son sauvetage par un tatouage sur son avant-bras droit : «je l’ai fait pour ne pas oublier», dit-il.
Le tour de «Buffalo» est venu la semaine suivante. Il était indécis à l’idée de partir. D’une part, il était soulagé que sa part de la nourriture et de l’eau en baisse aille maintenant à d’autres encore capables de se battre. D’un autre, «C’était douloureux. Ils sont restés là, et je les ai laissés.»
Pourtant, il a failli rater son vol.
Les soldats l’ont tiré sur une civière hors du bunker profond et l’ont embarqué à bord d’un camion qui a roulé vers une zone d’atterrissage pré-arrangée. Les soldats l’ont enveloppé dans une veste.
La cargaison de munitions de l’hélicoptère a été déchargée en premier. Ensuite, les blessés ont été remontés à bord.
Mais pas Buffalo. Laissé dans un coin arrière du camion, il avait en quelque sorte été négligé. Il n’a pas pu donner l’alarme, car les tirs de mortier lui avaient blessé la gorge.
«Je me suis dit: “Eh bien, pas aujourd’hui alors”», se souvient-il. «Et tout à coup quelqu’un a crié: “vous avez oublié le soldat dans le camion!”» Parce que la soute était pleine, Buffalo a été placé en travers des autres, qui avaient été chargés à bord côte à côte. Un membre d’équipage lui a pris la main et lui a dit de ne pas s’inquiéter, ils rentreraient à la maison.
«Toute ma vie, a-t-il dit au membre d’équipage, j’ai rêvé de faire un tour d’hélicoptère. «Peu importe si nous arrivons – mon rêve est devenu réalité», a mentionné ce dernier.
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Dans son cockpit, l’attente parut interminable.
«Très effrayant», a-t-il dit. «Vous voyez des explosions autour et le prochain obus pourrait atteindre votre emplacement.»
Il n’est pas possible d’être absolument sûr que «Buffalo» et le pilote qui ont parlé aux journalistes dans une interview vidéo enregistrée et partagée par l’armée étaient à bord du même vol. Mais les détails de leurs histoires correspondent.
Tous deux donnaient la même date : la nuit du 4 au 5 avril. Oleksandr s’est rappelé avoir été visé par des tirs au-dessus de Marioupol. Une onde de choc a projeté l’hélicoptère «comme un jouet», a-t-il déclaré. Mais ses manœuvres d’évasion les ont tirés d’affaire.
«Buffalo» se souvient également d’une explosion. Les évacués ont appris plus tard que le pilote avait évité un missile.
Oleksandr a piloté l’hélicoptère à 220 kilomètres à l’heure et a volé jusqu’à 3 mètres au-dessus du sol, sauf lorsqu’il passait par-dessus des lignes électriques. Un deuxième hélicoptère de la mission n’est jamais revenu. Son pilote lui a dit par radio qu’il manquait de carburant. C’était leur dernière communication.
Sur sa civière, Buffalo avait regardé le terrain filer à travers un hublot. «Nous avons survolé les champs», a-t-il souligné.
Ils sont arrivés à Dnipro, en toute sécurité. À l’atterrissage, Oleksandr a entendu les blessés appeler les pilotes. Il s’attendait à ce qu’ils lui crient dessus pour les avoir secoués si violemment pendant le vol.
«Mais quand j’ai ouvert la porte, j’ai entendu des gars dire : “merci”», a-t-il déclaré.
«Tout le monde a applaudi», se souvient «Buffalo». «Nous avons dit aux pilotes qu’ils avaient fait l’impossible.»