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Le magasinage tel que vous le connaissez serait-il en voie de disparition?
Plusieurs curieux ralentissent leur cadence en passant devant le tout nouveau Marché Aisle 24, rue William, dans Griffintown. Certains collent même leur nez sur la vitrine orangée pour voir ce qui se trame à l’intérieur. Cette épicerie complètement automatisée et sans employés, la deuxième à Montréal, ouvrira officiellement ses portes à la fin du mois d’avril.
Voyez dans la vidéo qui accompagne ce texte les dessous des magasins sans employés et sans caisse à Montréal.
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Cellulaire à la main, c’est à l’aide de l’application Aisle 24 que nous déverrouillons la porte principale du magasin. Une fois à l’intérieur, une dizaine de caméras épient nos faits et gestes jusqu’à une des deux bornes libre-service. Pas un employé en poste.
Dans la folie des préparatifs, à l’approche de l’ouverture de cette nouvelle succursale, cinq ou six travailleurs vont et viennent, remplissent les étagères, placent et déplacent des présentoirs. Il n’y aura jamais eu autant de personnel dans cette épicerie sans employés, qui sera ouverte aux clients jour et nuit.
«C'est une mini épicerie automatisée, donc il n'y a aucun employé ici, explique Jessika Venne, aux commandes des succursales du Québec. C'est ouvert 24 heures sur 24. L'accès se fait via votre téléphone, en téléchargeant l'application.»
Crédit photo: Jennyfer Exantus/Noovo Info. L’ouverture officielle de la succursale située à Griffintown est prévue le 23 avril prochain.
Il y a quelques mois, Jessika Venne et son conjoint Daniel Lambert, maîtres franchiseurs, achetaient les droits québécois de cette bannière ontarienne. Depuis, ils planifient établir des Aisle 24 aux quatre coins du Québec. Après avoir lancé une première succursale dans le Vieux-Montréal il y a six mois, voilà qu’ils sont à quelques pas d’ouvrir ce deuxième emplacement, puis un troisième, à Saint-Laurent, au début du mois de juin.
«On voulait s'aventurer ici et voir si c'était viable au Québec, révèle Mme Venne. La réponse a carrément été géniale.»
Malgré des moments d’affluence en matinée et pendant l’heure du lunch, c’est entre 21h et 2 heures du matin que la succursale, qui dessert les clients du Vieux-Montréal, est la plus achalandée. Les deux acolytes n’auraient pas facilement su combler ces quarts de nuit, en cette période de pénurie de main-d'œuvre.
«C’est le futur, soutient Mme Venne, qui projette d’ouvrir 25 succursales dans la Belle Province au cours des cinq prochaines années. C'est dur de trouver des employés qui veulent travailler dans des épiceries 24/7. Et l’on constate qu'une bonne partie de la population est plus hésitante à être en contact avec des employés qui sont, eux-mêmes, en contact avec beaucoup de monde durant la journée.»
Crédit photo: Jennyfer Exantus/Noovo Info. Jessika Venne, aux commandes des franchises québécoises du Marché Aisle 24.
Direction centre-ville de Montréal. Sur le campus de l’Université McGill, le dépanneur du coin est plutôt un laboratoire de quartier. Bienvenue au «Couche-Tard Connecté», peut-on lire sur l’enseigne du géant québécois.
Le dépanneur, sur Sherbrooke Ouest, est né d’un partenariat avec l’Université McGill et l’École Bensadoun de commerce au détail. D'emblée, une section «Connectée», d’un blanc strident, détonne du reste.
À l’entrée, nous scannons l’application Couche-Tard. Une fois à l’intérieur, près d’une vingtaine de caméras au plafond et environ deux caméras par étagère scrutent chacun de nos mouvements. Vous posez les mains sur un sac de chips? Cha-ching. Un produit est ajouté à votre facture virtuelle. Vous optez plutôt pour une barre de chocolat? Reposez l’article et il est aussitôt retiré de votre somme totale. Une fois que vous quittez le dépanneur, un montant est automatiquement ajouté à votre carte de crédit, préalablement enregistrée dans l’application. Pas de caisse. Pas de bornes libre-service. Rien.
Big Brother se serait-il transformé en caisse?
«C’est un magasin sans caisse, donc les caméras suivent le consommateur durant son magasinage. Elles peuvent capter des détails microscopiques comme la dimension, la couleur et le logo d’un produit pour identifier ce qu’on a acheté», explique Zahoor Chughtai, gestionnaire des opérations et projets du Laboratoire d’innovation en commerce de détail, à l’Université McGill.
Crédit photo: Jennyfer Exantus/Noovo Info. L’entrée du dépanneur Couche-Tard Connecté sur le campus de l’Université McGill.
Les épiceries et les dépanneurs ne sont pas les seuls commerces pouvant profiter de ce magasinage autonome.
«C’est une technologie de vision qui nous aide non seulement à identifier le produit, mais aussi à identifier la démographie du client, précise M. Chughtai, donc on peut obtenir une estimation de son âge, par exemple.»
Ces avancées technologiques pourraient éventuellement offrir une solution à la vente autonome de produits réglementés comme l’alcool et le tabac, qui requièrent justement une preuve d’âge.
Des bannières comme Walmart et la SAQ ont d’ailleurs cogné à la porte du Laboratoire d’innovation en commerce de détail afin de constater les possibilités de cette technologie, nous indique M. Chughtai.
«Le magasin [Couche-Tard Connecté] connaît un grand intérêt auprès de plusieurs détaillants nationaux et institutions d’envergure qui cherchent à visiter et à explorer les possibilités de l’expérience sans friction au sein de leurs industries», révèle également Magnus Tägtström, chef de service de l’innovation numérique globale chez Couche-Tard.
Les bornes libre-service sont de plus en plus monnaie courante dans les magasins du Québec. Ce qui l’est moins par contre : une expérience d’achat sans employés ou sans caisse. L’intérêt est-il au rendez-vous?
GetApp, une plateforme axée sur le développement technologique pour les entreprises, a réalisé un sondage pancanadien plus tôt cette année. Les résultats démontrent que 80% des répondants québécois se disent «intéressés par ce concept de magasinage sans caisse», note Audrey Belot, spécialiste marketing de l’entreprise pour le marché francophone canadien.
Celle-ci précise d’ailleurs que l’absence de files d’attente constitue le principal avantage perçu par les répondants.
L’âge a également «un impact sur l’adoption ou l’intérêt pour ces nouvelles technologies permettant un magasinage sans caisse», soulève Mme Belot.
En effet, pas moins de 94% des participants québécois âgés de 18 à 25 ans s’intéressent au magasinage sans caisse contre 74 % pour la tranche d’âge de 56 à 65 ans.
Les technologies sont au rendez-vous. L’intérêt également. Les épiceries traditionnelles seront-elles éventuellement en voie d’extinction? Malgré l’ajout de bornes libre-service dans la plupart des supermarchés, le retrait total des caisses ne semble pas, pour le moment, enclenché. Chez nos voisins américains, la technologie Just Walk Out, d’Amazon, est en plein marathon, empruntant même le chemin de Londres.
«Ça répond au fait qu’on a moins de main-d'œuvre, ça répond au fait que les clients veulent un service 24/7 et ça répond au fait que la technologie, qui s'améliore de plus en plus, offre de nouvelles opportunités», analyse Jean-Luc Geha, directeur de l’Institut de vente HEC Montréal
«Ça permet également de maintenir les prix, et même, éventuellement, de les diminuer, renchérit-il. Je pense qu'il y a d'autres postes dans lesquels on va pouvoir replacer ces caissiers. Ils vont effectuer d’autres tâches qui auront une meilleure valeur ajoutée pour les entreprises.»
Le nombre de postes vacants dans le commerce de détail au pays est en hausse de 62,5% par rapport à la même période, en 2020. Ce manque criant de personnel permet «presque à cette option de devenir une solution naturelle», estime M. Geha.
«Les clients vont de plus en plus s'y habituer et à un moment, cela deviendra peut-être plus naturel, juge-t-il. Si l’on doit lancer un horizon, on pourrait parler de trois à cinq ans avant que l’on retrouve de plus en plus ce type de commerces au Québec.»