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La technologie pourrait servir à repérer les sites internet malveillants dits «prosuicides», où des gens mal intentionnés fournissent des moyens de passer à l'acte.
Dans un monde de plus en plus virtuel, où nos vies sont branchées en permanence sur internet, les stratégies de prévention du suicide doivent s'adapter, reconnaissent des experts qui cherchent à parsemer la toile de remparts contre les drames irréparables.
À titre d'exemple, pour une nouvelle génération qui utilise de moins en moins le téléphone pour passer des appels, préférant la rapidité et le détachement que permettent les textos ou le clavardage, il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils se tournent vers une ligne téléphonique d'urgence en cas de crise.
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Lors de son témoignage devant l'Enquête publique du Bureau du coroner sur la thématique du suicide au Québec, lundi, le directeur général de l'Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), Jérôme Gaudreault, a évoqué ce problème et a souligné le succès du service de clavardage «suicide.ca», où l'on peut parler à un professionnel par texto ou en ligne en tout temps pour demander de l'aide.
«Le service a plus d'un an et demi, l'augmentation de l'utilisation est en croissance constante, a-t-il affirmé devant la coroner Me Julie-Kim Godin. Tous les mois, on constate une hausse de 10 %.»
Cette plateforme serait très majoritairement utilisée par des gens de moins de 40 ans qui vivent une détresse plus grande que la clientèle au téléphone.
«Il y a peut-être un sentiment d'anonymat dans le fait de ne pas être entendu ni être vu», a-t-il avancé pour expliquer l'intérêt envers ce service. Les utilisateurs ne sont toutefois pas complètement anonymes puisqu'ils doivent se nommer.
L'ensemble de l'offre de services en ligne comprend aussi un outil d'autogestion pour aider les personnes qui souffrent à mieux contrôler leur état.
Dans le cadre d'une conférence présentée dans le cadre du Congrès national en prévention du suicide, tenu le mois dernier à Montréal, le Dr Réal Labelle, professeur titulaire au département de psychologie de l'UQAM et psychologue clinicien, a décrit comment l'intelligence artificielle (IA) et l'apprentissage automatique pourraient éventuellement servir à détecter les comportements inquiétants en ligne.
Par l'analyse du discours, des algorithmes pourraient éventuellement être en mesure de repérer des mots et des expressions employés par un internaute pour signaler sa détresse. De tels outils sur les plateformes de réseaux sociaux permettraient possiblement de proposer des ressources d'aide à l'utilisateur par la publicité ciblée par exemple.
Cette même technologie d'analyse du discours oral ou écrit par l'IA pourrait même servir d'outil pour les professionnels de la santé dans l'établissement d'un diagnostic. On serait notamment en mesure de déterminer qui présente un plus grand risque de passer à l'acte et qui représente un moindre risque. Le professeur Labelle prévient cependant que l'on est encore loin de voir une telle chose se concrétiser dans nos hôpitaux.
«Ça va peut-être arriver dans 10 ou 15 ans. Avant qu'une pratique comme ça se retrouve officiellement utilisée par des professionnels de la santé mentale, elle doit franchir tout un univers de la recherche, mais aussi éthique et juridique», rappelle en entrevue le chercheur associé au Centre de recherche et d'intervention sur le suicide, enjeux éthiques et pratiques de fin de vie (CRISE).
D'une certaine façon l'IA est toutefois déjà mise à contribution dans la création d'outils complémentaires aux pratiques traditionnelles des professionnels de la santé mentale. Grâce à des questionnaires en ligne, par exemple, ils sont en mesure d'effectuer des évaluations plus avancées et d'obtenir des résultats instantanés, mesurés par l'application.
La technologie pourrait aussi servir à repérer les sites internet malveillants dits «prosuicides», où des gens mal intentionnés fournissent des moyens de passer à l'acte. Parmi ses recommandations soumises à l'enquête publique, l'AQPS a suggéré d'effectuer une veille, puis de bannir ces sites qui peuvent avoir un impact dévastateur.
Le merveilleux monde des réseaux sociaux est lui aussi associé à plusieurs incidents dramatiques impliquant des jeunes ayant choisi de diffuser leur détresse en ligne. Plusieurs gestionnaires de plateformes se retrouvent souvent dans la situation délicate de recevoir des confidences troublantes de personnes souffrantes.
Pour les aider, la plateforme «Commentparlerdusuicide.com» fournit divers outils, dont des guides de bonnes pratiques afin de savoir comment répondre à ces personnes en détresse. Les «influenceurs» aussi sont invités à consulter ce contenu avant de se livrer à des confidences devant leur auditoire.
Le professeur Réal Labelle souligne qu'au cours des dernières décennies, les médias traditionnels ont établi des pratiques éthiques pour traiter du suicide de manière responsable. Une éthique qui est trop souvent inexistante dans le contenu en ligne et qui «tarde beaucoup à venir», déplore le psychologue.