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La consommation de cocaïne a explosé depuis 10 ans chez les jeunes : les 20 à 24 ans sont trois fois plus nombreux à en avoir fait, selon les données pré-pandémie de Santé Canada. Enquête sur les raisons sous-jacentes de cette hausse.
La consommation de cocaïne a explosé depuis 10 ans chez les jeunes Canadiens : ils sont trois fois plus nombreux à en avoir déjà consommé, selon les plus récentes données de l’«Enquête canadienne sur l’alcool et les drogues» (ECAD). La glorification qui en est faite sur les médias sociaux et l’espace que ces plateformes donnent aux vendeurs jouent un rôle important dans la popularisation de la coke, a établi l’ONU. Gros plan sur le phénomène.
Le party décontracté a lieu dans une ancienne usine reconvertie en lofts, non loin de la piste cyclable des Carrières qui sépare Rosemont du Plateau-Mont-Royal. La soirée commence à peine et Julia*, 23 ans, est déjà un véritable moulin à paroles.
Pour se dégourdir, elle a plongé la pointe d’une clé dans un petit sac rempli de poudre blanche, substance qu’elle a ensuite portée à son nez pour la renifler. Sa meilleure amie Amandine (nom fictif) et elle consomment de la cocaïne « une fois de temps en temps ». Ce premier party depuis la levée des mesures de confinement s’annonce autant poudré qu’arrosé.
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« La coke, ça nous donne plus de conversation, on est moins fatiguées, on peut tenir plus longtemps la soirée, énumère Julia. Mais principalement, ça rend un peu euphorique, tu as envie de parler à tout le monde et, le but, c’est de socialiser. »
La majorité des jeunes qui se sont confiés sur leur consommation ont refusé que leur véritable identité soit publiée, de peur que leur consommation occasionnelle nuise à leur avenir ou soit mal perçue par leurs proches. Certes, se faire une ligne de coke comporte encore des tabous, mais force est de constater que de plus en plus de jeunes se laissent tenter. Ils sont trois fois plus nombreux qu’il y a 10 ans à avoir mis de la «CC» dans leur nez, selon les plus récentes statistiques sur le phénomène, obtenues par Noovo Info.
Entre 2013 et 2019, la consommation de cocaïne déclarée au cours de l’année précédente est passée de 3,3 % à 9 % chez les jeunes de 20 à 24 ans, apprend-t-on par l’Enquête canadienne sur l'alcool et les drogues, qui a publié ces données à la fin décembre 2021.
Source: Santé Canada
« Le 9 % inclut autant ceux qui en ont fait une seule fois que ceux qui consomment sur une base régulière. C’est une augmentation très significative », constate Sarah Konefal, analyste en recherche et politiques au Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substance. « On n’a pas de chiffres plus récents que ceux de 2019, mais les méfaits associés à la consommation de cocaïne — visites aux urgences, hospitalisations, surdoses — ont continué d’augmenter depuis 2019, donc c’est évident que la consommation aussi [a continué d’augmenter] », explique Mme Konefal.
La cocaïne a fait 86 morts au Québec en 2019, soit 62 % des décès attribuables à une intoxication aux stimulants cette année-là. Depuis 2016, une moyenne de sept Québécois par mois meurent d’une surdose attribuable à la cocaïne.
Source : Institut national de santé publique du Québec (INSPQ)
L’analyste avance même que les chiffres réels sont probablement plus élevés que ceux rapportés par les enquêtes nationales, qui sondent difficilement certaines sous-populations. Jean-François Mary, directeur général de CACTUS Montréal, un organisme de première ligne en matière de consommation, croit aussi que ce genre de statistiques est sous-rapporté.
« Parce que c’est illégal, les gens qui consomment n’ont pas nécessairement envie de le dire et ils ne veulent pas que ces informations-là se retrouvent quelque part, souligne-t-il. Ce qu’on arrive à documenter en général avec ces enquêtes-là, c’est la pointe de l’iceberg. »
De quoi cet iceberg est-il constitué? Que se cache-t-il sous la surface qui puisse expliquer cette augmentation fulgurante durant la dernière décennie? Pour Jean-François, la réponse est d’une simplicité désarmante : les jeunes vivent, plus que jamais, un profond mal-être. Une étude menée en 2021 par l'Université de Sherbrooke a d’ailleurs révélé que près de la moitié des jeunes de 12 à 25 ans (48%) reconnaissait avoir des symptômes compatibles avec un trouble d’anxiété généralisée ou une dépression majeure. Un jeune sur deux est déprimé.
« L'avenir qu'on propose aux jeunes dans notre monde actuel, c’est un environnement qui tombe en déliquescence, un confort de vie qui n'est plus tant là, un coût de la vie qui augmente sans fin, la situation de la pandémie qui en a rajouté une couche sur ce qui était déjà existant, énumère-t-il. Il n’y a pas grand chose pour se réjouir. Donc, on va essayer de combler ce mal-être par quelque chose, et les substances répondent à ce besoin de bien-être. Et, à la rigueur, ça donne un break. »
Dans l’ancienne usine reconvertie en loft, la fête continue. Julia et Amandine (noms fictifs) en sont déjà à quelques clés discrètement sniffées, tout comme le DJ amateur, qui commence à perdre le contrôle de ses tables tournantes. Il n’est pas minuit qu’un invité est déjà au bord du coma éthylique. Ici, on fait la fête comme s’il n’y avait pas de lendemain. Parce que, plus que jamais, demain est on ne peut plus incertain. Aussi bien en profiter, non?
« Je pense qu’on vit dans des années compliquées, ce qui fait que, forcément, les jeunes sont davantage portés sur le moment présent qu’on ne l’était avant. Peut-être que c’est un défaut? Une qualité? Mais dans tous les cas, ça fait partie de notre génération »
— Amandine, 22 ans
Julia croit pour sa part que le mal-être de sa génération est aggravé par les médias sociaux et la pression qu’ils exercent sur eux. Plus les jeunes passent de temps sur les réseaux sociaux, plus ils sont anxieux, déprimés, se comparent, et plus ils risquent d’avoir des problèmes d’estime d’eux-mêmes; de nombreuses études le prouvent aussi.
« Quand tu prends de la coke, tu te sens plus centré, dans le moment présent. On a besoin de stimulants pour nous aider à pousser nos pensées. Et je pense que ça a à voir avec les réseaux sociaux, qui sont un gros négatif à notre génération, parce qu’ils altèrent totalement notre confiance en nous-mêmes », croit Julia, qui est « totalement » convaincue que de nombreuses personnes consomment de la cocaïne pour la confiance momentanée qu’elle procure.
À l’opposé, les réseaux sociaux véhiculent aussi du bonheur artificiel et de faux moyens pour y parvenir. Si la notion de plaisir subit, au fil du temps, toutes sortes d'influences, la plus importante de la dernière décennie est incontestablement celle des réseaux sociaux. Et parmi tout le contenu insipide qui s’y trouve, les blagues, anecdotes, et allusion à la consommation de drogue défilent à la même fréquence que les tutoriels de maquillage et les vidéos de challenge sur des plateformes comme Tik Tok, bousillant du même coup les référents des jeunes usagers qui y sont confrontés.
L’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) (un organisme soutenu par l’Organisation des Nations Unies [ONU]) l’écrit noir sur blanc dans son rapport annuel de 2021 : il existe « des preuves de plus en plus nombreuses d'un lien entre l'exposition aux médias sociaux et la consommation de drogues, qui touche de manière disproportionnée les jeunes ».
Le rôle des médias sociaux dans « la facilitation et la glorification de l’usage non médical de drogues » est reconnu sans détour. Les jeunes étant les principaux utilisateurs de ces plateformes, les algorithmes « exacerbent le problème » et « les confortent dans leurs choix ».
« L’exposition à un nombre disproportionné de publications et/ou de contenu qui montrent ou encouragent l’usage de substances peut également conduire à surestimer l’usage qui en est fait par les pairs, ce qui réduit les risques perçus et peut accroître la consommation », est-il écrit dans le rapport de 157 pages.
Les enquêtes Noovo Info
Le gouvernement du Canada s’est dit « préoccupé » par les constats évoqués dans ce rapport de l’OICS.
« Les jeunes et les jeunes adultes sont plus à risque, car ils sont également plus susceptibles de subir les méfaits de la consommation de substances, comme l'entrave au développement du cerveau, qui se poursuit jusqu'à l'âge de 25 ans environ », a répondu Charlaine Sleiman, porte-parole de Santé Canada et de l'Agence de la santé publique du Canada, dans un courriel.
L’OICS réclame que les autorités nationales fassent en sorte que les plateformes ne soient pas utilisées « en toute impunité par ceux qui encouragent les comportements illégaux » et demande aux gouvernements qu’ils « investissent davantage de ressources dans l’élaboration et la mise en oeuvre de programmes et d’activités de prévention de toxicomanie qui utilisent les médias sociaux ».
La porte-parole de Santé Canada a expliqué que l’organisation gouvernementale adoptait « une approche de santé publique qui est globale, collaborative et compatissante [et qui] guide toutes les actions fédérales sur les questions de consommation de substances, y compris celles liées aux stimulants comme la cocaïne ».
« Dans le cadre des efforts d’éducation du public du gouvernement, des informations sur la consommation de substances ainsi que des ressources et des informations pour aider à réduire, à prévenir et/ou à traiter les méfaits liés à la substance sont régulièrement mises en avant sur les plateformes de médias sociaux populaires, notamment Twitter, Facebook, Instagram et LinkedIn », a répondu Charlaine Sleiman, porte-parole de Santé Canada et de l'Agence de la santé publique du Canada.
Mme Sleiman a énuméré une série de campagnes de prévention et de sensibilisation mises sur pied par Ottawa, mais rien qui ne concerne directement l’augmentation fulgurante de consommation de cocaïne chez les jeunes adultes durant la dernière décennie.
Du côté de Québec, le cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux, Lionel Carmant, a répondu que le gouvernement « est sensible et actif sur les enjeux de dépendance, particulièrement chez les jeunes, ainsi qu’à la hausse du temps d’écran, encore une fois chez ces mêmes jeunes ». Le gouvernement travaille à la mise en place d’une « nouvelle Stratégie québécoise sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes ».
« La Stratégie sur l’utilisation des écrans et la santé des jeunes s’inscrit en complémentarité des actions décrites à l’intérieur du Plan d’action interministériel en dépendance (PAID) qui visent à prévenir, à réduire et à traiter les conséquences associées à la consommation de substances psychoactives, à la pratique des jeux de hasard et d’argent et à l’utilisation d’internet », a détaillé Lambert Drainville, attaché de presse au cabinet du ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux.
Mais encore faut-il que ces campagnes atteignent leur cible.
Alice nous ouvre la porte avec un grand sourire. Sa chevelure rouge flamboyante est agencée au tapis shaggy de la pièce principale de son appartement du Plateau, où livres et objets éclectiques donnent quelques indices sur son rapport aux drogues : une couverture brodée d’une image illustrant le « Bicycle Day », des encyclopédies de plantes psychoactives, des ouvrages de l’essayiste Michael Pollan… L’univers des drogues captive Alice, au point où elle a entrepris des études supérieures en psychologie par intérêt pour les thérapies assistées par des substances. La femme de 25 ans déplore que peu d’information sur une consommation responsable soit disponible.
« Les discours qu’on a en société par rapport à la drogue ne sont pas représentatifs de la réalité. Toute ma vie, je me suis fait dire que la cocaïne, tu essayais ça une fois et tu allais être accro pour la vie. C’était très épeurant. Puis, en essayant la cocaïne et d’autres drogues, je me suis dit : “Eille, au final, ça ne se réduit pas à la façon dont c’est présenté dans les médias et les conversations qu’on a en société” », raconte-t-elle, en soulevant les risques que ce discours alarmiste comporte.
« Ça peut devenir tentant de tomber dans l’autre extrême, de se dire : “Je me suis fait mentir toute ma vie, et là, fuck ça, je ne peux pas faire confiance à ce qu’on m’a dit et je vais embrace au max sans trop me poser de questions”. »
— Alice, 25 ans, étudiante en psychologie. Noovo Info ne dévoile pas son nom de famille, à sa demande.
Ce rejet du message de prévention, le directeur général de CACTUS Montréal l’a maintes fois observé.
« Ils sont plus informés. Les jeunes voient bien que la majorité des drogues se retrouvent dans de la médication, par exemple, soulève Jean-François Mary. Ils vont essayer et ils vont réaliser que ce n’est pas vrai que le lendemain ils veulent recommencer sans cesse. Et là, ils se disent : “Ah ben ce qu’on m’a appris à l’école, ce n’est pas si vrai. Les campagnes du gouvernement, c’était exagéré”. Et ils rejettent l’ensemble du discours de prévention et décident de se faire leur propre idée. »
Certes, consommer de la cocaïne comporte des risques. Son effet euphorisant, la confiance en soi qu’elle procure, l’énergie qu’elle donne sont des effets addictifs. La dépendance s’installe souvent sournoisement et, contrairement à une dépendance à l’alcool, celle à la cocaïne sera essentiellement psychologique et non physique.
« Tu vas consommer une fois par mois, quand tu vas dans un festival; après, chaque fois que tu sors en club; puis, ça devient toutes les fins de semaines; finalement, un lundi soir, je me fais une track; et le mercredi, et le jeudi… et, au final, tu consommes sept jours sur sept», illustre Jean-François Mary. « C'est comme ça que ça s'installe, une dépendance. Tu ne t'en rends pas compte, vraiment. Ça met des années. Ce n’est pas du jour au lendemain. Par contre, ce n’est pas parce que tu consommes que tu vas développer une dépendance non plus, comme pour l’alcool. »
La consommation de coke peut aussi causer des problèmes nasaux, respiratoires, cardiaques, une baisse de libido, des troubles de l’érection, une hémorragie cérébrale, etc. La cocaïne peut aussi être mélangée à d’autres substances nocives, comme le fentanyl, dont une faible quantité suffit à provoquer une surdose.
L’organisme CACTUS Montréal offre d’ailleurs un service d’analyse de substances dans un laboratoire à même ses locaux de la rue Sainte-Catherine, à Montréal. C’est gratuit et confidentiel. Le consommateur arrive avec sa drogue — n’importe laquelle — et fait analyser une micro-quantité pour savoir ce qu’elle contient avant de la consommer.
« On le fait essentiellement pour le volet éducatif, explique Jean-François. C’est par des modèles éducatifs comme ceux-là qu’on va arriver à avoir plus de prise sur les consommateurs. C’est par l’éducation. Et pour moi, ça commence dans les écoles. Il faut des programmes d’éducation à la consommation, pas un policier qui nous présente toutes les histoires d’horreur qu’il a vues dans sa vie. Les histoires d’horreur, c’est 1%, 2 % des gens. Moi, c’est le 98 % qui me préoccupe le plus. »
Pour toutes les dernières nouvelles sur la région du Grand Montréal, consultez Noovo Info.
Un volume inhabituel de cocaïne coupée aux « sels de bain » s’est mis à circuler à Montréal ce printemps. Des 18 échantillons d’usagers analysés récemment par le laboratoire de CACTUS, 16 étaient coupés avec des cathinones, communément appelés « sels de bain ».
« Ce ne sont pas des substances nocives en tant que telles mais, l’enjeu, c’est qu’elles sont plus propices à causer des comportements compulsifs de consommation. Des gens qui sont habitués à prendre un gramme par fin de semaine depuis des années se retrouvent à en consommer trois et ils ne comprennent pas pourquoi », explique Jean-François Mary. « Comme on sait que la cocaïne peut avoir des impacts cardiaques très forts, il y a des risques de surdose accidentelle. »
Cette substance « favorise les comportements de consommation excessive » et « produit un désir puissant d’en consommer plus », en plus de comporter plusieurs autres risques pour la santé, selon Santé Canada.
Jean-François Mary croit que le démantèlement d’un présumé laboratoire clandestin d’extraction de cocaïne à Saint-Jérôme, dans les Laurentides, au début du mois d’avril, n’est pas étranger à cette contamination.
« Ça illustre parfaitement le fait qu’on n’a pas un approvisionnement régulier et réglementé, soulève-t-il. Des réseaux comme ceux-là - qui travaillent bien, avec de bonnes installations - quand ils disparaissent, le temps que les réseaux se réorganisent, on voit apparaître des choses un peu aberrantes sur le marché. Pour nous, ce n’est pas une surprise. »
Montréal a aussi observé en avril une hausse des décès probablement liés à la consommation de crack. À la fin avril, le Direction régionale de santé publique (DSP) a émis une mise en garde concernant six décès possiblement causés par une surdose de crack qui pourrait avoir été contaminé avec du fentanyl, un puissant opioïde.
Pour des demandes d'aide et références en matière de drogue, consultez le site aidedrogue.ca