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Au début des années 90, plus d’un bébé québécois sur cinq recevait un nom de famille composé. Aujourd’hui en âge de procréer, la «génération trait d’union» entretient toutefois une relation tortueuse avec ses noms de famille.
En Italie, les enfants porteront désormais «par défaut» les noms de famille de leurs deux parents, plutôt que celui du père uniquement. Légale au Québec depuis 1981, la pratique de transmettre un nom double peine toutefois à traverser l’épreuve du temps.
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La Cour constitutionnelle de l’Italie a déclaré mercredi que les enfants devront dorénavant porter les noms de famille de leurs deux parents par défaut, à moins que ceux-ci choisissent d’un commun accord de n’en transmettre qu’un seul.
Au Québec, une modification similaire (quoique moins contraignante) au Code civil du Québec avait été vue comme une avancée importante pour le mouvement féministe et l’égalité des genres. Et le nom de famille double est rapidement devenu populaire.
Au début des années 90, plus d’un bébé québécois sur cinq recevait un nom de famille composé. Aujourd’hui en âge de procréer, la «génération trait d’union» entretient toutefois une relation tortueuse avec ses noms de famille
Ayant détesté grandir avec un nom de famille double, Marie-Sarah Gilbert-Deschênes n’avait pas envie «d’imposer» le même sort à ses enfants. Alors en couple avec un homme qui porte aussi deux noms, le retour à un seul patronyme comporte toutefois son lot de défis.
«Le fait de donner juste un des deux noms de mon conjoint, ça a créé une dynamique plutôt difficile [dans sa famille], raconte-t-elle. On a senti la pression qu’il fallait qu’on prenne les deux noms.» Ses enfants portent donc finalement le même nom double que leur père, dont elle est aujourd’hui séparée.
Même si elle l’a fait un peu malgré elle, Marie-Sarah est loin d’être la seule à avoir perpétué la pratique du nom double. En 2010, les trois quarts des couples dont les deux parents portaient deux noms ont transmis un nom double à leur enfant, citant souvent la difficulté de choisir quelle lignée ils allaient rayer du certificat de naissance.
D’autres, comme Camille Desrosiers-Gaudette, l’ont fait de façon totalement délibérée, pour que les lignées de la mère et du père apparaissent toutes les deux dans le nom de leur enfant.
«Pour moi, c’est symbolique d’un combat des femmes», résume l’animatrice et blogueuse, qui souvent ses initiales «DG» pour raccourcir son nom sans «effacer» le nom de sa mère. À la naissance de son fils Paul, elle a donc tenu à ce que celui-ci porte au moins une partie de son nom.
«Pour moi, le côté féministe c’est l’équité. C’est que les deux parents soient présents», explique-t-elle.
Après une longue discussion – «quatre noms c’est pas simple, on sait qu’on peut heurter certaines personnes» –, le petit héritera du nom de famille Desrosiers-Noël.
Camille Desrosiers-Gaudette et son fils Paul Desrosiers-Noël. (Photo: Noovo Info)
Les enfants aux noms de famille doubles demeurent néanmoins des exceptions. En 2010, année la plus récente pour laquelle les données sont disponibles, ils ne représentaient plus que 9% des naissances.
Karine Lévesque-Labrecque est l’une de celles qui souhaitaient transmettre un seul nom de famille à ses enfants, coûte que coûte.
«Je m’étais dit que j’allais donner le nom de mon conjoint, mais j’ai rencontré Jonathan, qui a lui aussi un nom double», raconte-t-elle en s’esclaffant. Ça n’a toutefois pas empêché le couple de trancher, pour transmettre un seul de leur quatre noms à leurs deux bambins.
Karine Lévesque-Labrecque et Jonathan Leclerc-Coulombe ont seulement transmis le nom Coulombe à leurs enfants. (Photo: Noovo Info)
La sociologue et professeure à l’Institut national de la recherche scientifique, Laurence Charton, s’est penchée sur les facteurs qui poussaient les parents québécois à transmettre un nom de famille simple ou double à leurs enfants.
Elle souligne que plusieurs raisons peuvent pousser des parents à transmettre simplement le nom du père, même s’ils portent eux-mêmes un nom double.
«Il y a des personnes qui le font surtout pour reproduire des pratiques coutumières, explique-t-elle. Donc la tradition: ça s’est toujours fait comme ça, alors on va le faire comme ça.»
D’autres couples vont vouloir reconnaître le parent «non-porteur». Il pourrait alors s’agir du père dans un couple hétérosexuel ou de la mère qui n’a pas porté l’enfant dans un couple lesbien, illustre Mme Charton.
«Certaines personnes qui portaient un double nom ont aussi trouvé ça difficile de choisir entre le nom de leur père et celui de leur mère, rapporte la chercheuse. Ou pour éviter des chicanes dans la famille, ils ont décidé de revenir à une certaine tradition et de transmettre uniquement le nom du père.»
Certains détestent tellement vivre avec deux noms de famille qu’ils n’en utilisent qu’un dans la vie courante, voire décident d’officialiser le changement auprès du Directeur de l’État civil.
Selon des données compilées par Noovo Info, 201 Québécois ont officiellement retiré un de leurs noms de famille en 2021, ce qui représente 13% des changements de nom effectués l’an dernier.
Au Québec, le processus pour changer de nom comporte plusieurs étapes et peut s’avérer coûteux.
Il faut d’abord remplir le formulaire de «Demande d’analyse préliminaire pour une modification d’un nom ou d’un prénom» pour que le Directeur de l’état civil fasse une première analyse de la requête. Vous devrez y détailler les modifications demandées à votre nom et les raisons qui motivent votre demande.
Si la requête est jugée admissible, vous recevrez ensuite par la poste le formulaire de demande de changement de nom pour finaliser votre demande, moyennant des frais de 148$.
Avec votre autorisation, le Directeur de l’état civil avisera certains ministères du changement, mais vous devrez vous assurer de mettre à jour toutes vos pièces d’identité.
Si Paul choisissait un jour d’abandonner le nom de sa mère, Camille Desrosiers-Gaudette admet qu’elle serait blessée.
«Je me dirais que j’ai échoué, en quelque part», confie-t-elle.
«Quand j’ai su que j’étais enceinte d’un garçon, je me suis dit que ça allait peut-être être un travail double de m’assurer que ça allait être quelqu’un qui allait respecter la femme, qui allait comprendre l’apport de la femme dans la société. Et aussi petit et niaiseux que ça puisse paraître, je pense que d’effacer le nom de sa mère, ce serait un geste symbolique.»