Début du contenu principal.
Le couple marié travaille à l'Hôpital général juif et dit qu'il ne voit pas d'avenir au Québec pour eux et leurs deux garçons, âgés de trois et un ans.
Deux jeunes urgentologues, élevés et formés à Montréal, quittent leurs emplois après seulement deux ans pour revenir à Toronto et disent que le système de soins de santé du Québec et la loi 96 sont à blâmer.
Ceci est une traduction de CTV News Montreal.
Le couple retourne en Ontario et ne s'attend pas à retourner chez lui de sitôt.
Les deux médecins travaillent à l'Hôpital général juif et disent qu'ils ne voient pas d'avenir au Québec pour eux et leurs deux garçons, qui sont âgés de trois et un ans.
Deux services d'urgence de Toronto se préparent donc à les accueillir.
«La décision a été très difficile à prendre», indique la Dre Daria Denissova, 34 ans. Son mari, le Dr Philip Stasiak, 37 ans, a de son côté déclaré qu'ils l'avaient prise «avec le cœur lourd».
«J'aime Montréal. C'est la ville où j'ai grandi, et c'est décevant de la quitter pour la deuxième fois», a mentionné M. Stasiak.
Ils quittent Montréal à un moment où le système de santé québécois est fortement critiqué pour sa fragilité.
Selon des données publiées par le gouvernement le 4 juillet, il manque 18 399 travailleurs de la santé à Montréal seulement.
Après y avoir longuement réfléchi, les deux médecins ont compris qu'en comparaison avec leurs souvenirs du système hospitalier de Toronto, les conditions de travail difficiles et inflexibles de Montréal étaient incompatibles avec l'éducation d'une famille en bonne santé. Ils disent que ces conditions sont une conséquence naturelle des règles gouvernementales limitant l'embauche.
Et s'ils avaient encore des doutes, la nouvelle loi linguistique du Québec, la loi 96, leur a donné raison.
Les deux médecins n'ont aucun mal à communiquer avec les patients en français ou en anglais. Ils sont trilingues: la Dre Denissova parle aussi le russe et le Dr Stasiak, le polonais.
Mais ils craignent que la loi visant à protéger la langue française n'affecte les soins dispensés aux patients et ne rende encore plus pénible un milieu de travail déjà difficile.
«C'est très flou. Quelles seront les véritables implications de cette loi? S'agit-il d'une manoeuvre politique? Comment la loi va-t-elle être appliquée?» s’est demandé M. Stasiak. «Personne ne le sait vraiment.»
Il espère pouvoir continuer à faire preuve de discernement à l'hôpital où il travaille, qui est anglophone, mais il a des doutes.
«Est-ce que cela se ressentira dans mes interactions avec les patients, dans mes discussions avec mes collègues, quand je parle à un consultant, une infirmière ou à quelqu'un d'autre d'une profession paramédicale? Qu'en est-il de la tenue de mes dossiers?»
«Nous sommes parfaitement bilingues, mais le fait est qu'il y a tellement d'acronymes en médecine... Pour décrire une situation à quelqu'un d'autre qui a besoin de voir ces informations, ne serait-il pas mieux de continuer comme avant?» a suggéré M. Stasiak.
«Je n'aime pas [qu'on puisse décider pour moi] à qui je dois m'adresser en anglais ou en français, déplore Mme Denissova. Le plus important est de communiquer efficacement avec les patients.»
«Le fait même que nous ayons cette conversation est très frustrant, a-t-elle ajouté. Est que les gens vont devoir montrer leur certificat d'admissibilité lorsqu'ils se rendent à l'hôpital pour recevoir des soins?»
Ils ne sont pas les seuls à s'inquiéter. D'autres groupes, comme le Collège des médecins du Québec, tirent la sonnette d'alarme au sujet du projet de loi 96 depuis des mois.
Dans un courriel adressé à CTV News lundi, le Collège des médecins du Québec a réitéré que l'organisation «restera vigilante» concernant le projet de loi 96, car «la réforme pourrait avoir un impact sur la relation médecin-patient».
«Je ne voulais tout simplement pas vivre dans un endroit où je n'avais plus l'impression de représenter mes opinions et mes valeurs», a précisé Mme Denissova.
Un enjeu beaucoup plus important qui plane sur les jeunes parents, cependant, est de savoir comment la loi 96 pourrait avoir un impact sur les choix scolaires de leurs enfants lorsqu'ils seront en âge de fréquenter le cégep, et après qu'ils aient fréquenté les écoles primaires et secondaires francophones, comme ils l'ont fait lorsqu'ils étaient plus jeunes.
«Nous voudrions qu'ils aient la liberté de choisir entre [choisir d'aller dans un cégep anglophone ou un cégep francophone], comme nous l'avons fait», souligne M. Stasiak.
Mais ils craignent que les changements apportés à la loi sur la langue ne rendent cela impossible.
Le projet de loi 96 plafonne les inscription dans les cégeps anglophones et pourrait rendre l'accès au cégep de plus en plus difficile pour les étudiants francophones et allophones.
Compte tenu de ces restrictions, le couple veut s'assurer que leurs enfants ne passent pas toutes leurs jeunes années à étudier le français dans une province qui pourrait, plus tard, freiner leurs succès individuels.
«Ils gèlent les inscriptions dans les cégeps anglophones et ils donnent la priorité aux étudiants venant des écoles anglophones, déplore la Dre Denissova. Qu'en sera-t-il dans 10 ou 15 ans ?»
La seule solution possible serait d'envoyer les garçons dans des écoles anglophones privées de Montréal qui offrent la possibilité de faire une 12e année, de sorte qu'ils puissent éviter d'aller au cégep et qu'ils obtiennent un diplôme d'école secondaire de l'Ontario.
Mais dans ce cas, leur maîtrise du français en prendrait un coup, ont-ils fait remarquer. Ils sont dans une impasse, à moins qu'ils ne quittent le Québec.
«Je pense que la plus grande ironie est qu'alors que nous retournons à Toronto, nous allons les envoyer dans une école privée francophone», dit Mme Denissova.
«Nous voulons qu'ils maîtrisent parfaitement le français... mais pas au détriment de leur future liberté, de leurs choix futurs et de leurs possibilités de carrière», a-t-elle ajouté.
Le couple dit qu'il a du mal à croire qu'il ait bouclé la boucle et qu'il quitte à nouveau sa maison.
Ils ont déménagé en Ontario une première fois parce qu'ils ne pouvaient pas obtenir de permis pour exercer à Montréal après qu'ils aient terminé leur résidence dans les hôpitaux universitaires de l'Université McGill.
Le gouvernement détermine le nombre de médecins qu'une région ou un hôpital peut embaucher, à l'aide d'un système de distribution de permis connu sous le nom de PREMs/PEMs (Plan régional d'effectifs médicaux), et il n'y en avait pas pour eux.
Pendant cinq ans, ils ont donc travaillé dans les salles d'urgence de Toronto.
«Puis, une fois que nous avons eu notre premier enfant, nous avons décidé que ce serait vraiment bien de retourner à la maison. Le français me manquait. Montréal me manquait en tant que ville. Nous allions nous rapprocher de nos parents», se souvient le Dr Stasiak.
Des aspects de Montréal étaient formidables : les grands-parents à proximité, la maison, le quartier. Après environ un an, la perspective du couple a cependant changé.
«Je me suis rendue compte que l'environnement de travail était vraiment plus difficile et que le projet de loi 96 avait fait les manchettes, ce qui m'a fait prendre conscience de toutes ces choses», a affirmé Mme Denissova.
Elle s'est demandé s'ils allaient pouvoir supporter la charge de travail, les nombreux quarts de travail, qui étaient de 30 à 50% plus longs qu'à Toronto, a-t-elle calculé, et rester en bonne santé au cours des 20 prochaines années s'ils continuaient sur la même voie.
Leur environnement de travail, disent-ils, n'était pas exclusif à l'hôpital où ils travaillaient, selon les médecins. Mme Denissova a pu le constater lorsqu'elle a pris quelques quarts de travail aux urgences d'un autre hôpital de Montréal.
Les deux jeunes médecins estiment que l'intense charge de travail a beaucoup à voir avec le système de permis de la province.
«En raison du système PREM, les conditions de travail sont beaucoup plus difficiles, le travail est beaucoup moins flexible en termes d'heures et de quarts de travail», a dénoncé Mme Denissova.
Lorsqu'il s'agit de cette évaluation, elle a un allié en la personne d'un médecin généraliste montréalais chevronné qui vient de poursuivre le ministère de la Santé en justice au sujet du système PREM et de la façon dont il est utilisé pour répartir, ou ne pas répartir, les médecins de famille à Montréal.
«Cela n'a aucun sens que nous ayons des restrictions sur le recrutement, soutient le Dr Mark Roper. Alors que nous avons un tel manque de personnel, un manque de médecins d'urgence, cela n'a aucun sens, n'est-ce pas?»
Il croit que le fait d'avoir plus de médecins de famille à Montréal soulagerait la pression sur les salles d'urgence débordées, car ils verraient plus de patients dans leur cabinet et feraient des rotations aux urgences.
«Il est certain que nous bénéficierions d'avoir un plus grand nombre de médecins», a affirmé Mme Denissova, découragée de voir que des médecins beaucoup plus âgés qu'elle sont toujours aussi débordés.
Elle n'envisage pas non plus que son mari et elle puissent un jour bénéficier d'un horaire de travail flexible qui leur permettrait de mieux s'occuper de leurs enfants et de les emmener à la garderie et à l'école, à moins que divers aspects du système ne changent radicalement.
«C'est vrai, renchérit le Dr Roper. Le système PREM et le système PEM, qui correspond davantage aux contrôles de la main-d'œuvre pour les hôpitaux, obligent les chefs de service à n'utiliser que des médecins à plein temps et les temps partiels ont beaucoup de mal.»
Il y a tellement peu de personnel, dit Mme Denissova. Cela mettrait trop de pression sur le reste de l'équipe si elle était autorisée à réduire ses heures pendant quelques années, ce qu'elle pourra désormais faire à Toronto.
«À peu près dès que j'ai parlé au département de Toronto où je travaillais auparavant, ils m'ont dit [qu'ils accepteraient le nombre de quarts de travail que je voudrais faire].»
«Si vous voulez travailler moins dur pendant quelques années de votre vie parce que vous avez des enfants plus jeunes, nous pouvons nous accommoder de ce que vous voulez.» Le contraste était donc frappant, pour Mme Denissova.
Le système PREM du Québec les a forcés à déménager à nouveau.
Annoncer leur décision à leurs collègues de l'urgence de l'Hôpital général juif a été «difficile», a mentionné le Dr Stasiak. «Ce sont des gens avec qui nous avons été formés, que nous connaissons, qui sont nos amis, j'ai l'impression que nous les laissons peut-être même un peu tomber d'une certaine manière, et ils sont aussi déçus.»
«Mais tout le monde est très compréhensif. Ils comprennent parce qu'ils se rendent compte des conditions», a-t-il ajouté.
«Nous devons faire ce qui est le mieux pour nous et pour notre famille», même si cela signifie laisser les autres derrière.
Note de la rédaction : des corrections ont été apportées à ce texte après sa publication.