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«Je suis complètement sidéré.»
Une femme qui est sortie en larmes d’une réunion d’un comité parlementaire mercredi demande des excuses à une députée libérale qui a fait dérailler une discussion prévue sur la violence contre les femmes en faveur d’un débat sur le droit à l’avortement.
Cait Alexander s'était rendue sur la Colline du Parlement pour témoigner lors d’une rare audience estivale du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes lorsque la députée libérale Anita Vandenbeld l’aurait revictimisée en tant que survivante de violence familiale.
«Je suis complètement sidéré», a témoigné Mme Alexander dans une entrevue réalisée après la réunion de mercredi.
«C’est exactement ce que j’ai ressenti ces dernières années, où je montre littéralement mon corps matraqué, saignant et meurtri et où les gens qui ont l’autorité et le pouvoir dans ce pays disent : “Eh bien, nous nous soucions de vous.” Mais ensuite ils vous font taire», a-t-elle décrit.
Mme Vandenbeld, qui est secrétaire parlementaire du ministre du Développement international, n’a pas immédiatement répondu à une demande de commentaires.
Mme Alexander était l’une des deux témoins qui ont quitté en trombe la réunion organisée pour que les députés puissent entendre les défenseurs des victimes de violence domestique et un chef adjoint de la police régionale de Peel.
Bien que les témoins aient commencé à affirmer sombrement que le système actuel de justice et de libération sous caution laisse tomber les victimes, la séance a rapidement déraillé dans un chaos de querelles politiques.
Lors d’une déclaration d’ouverture, Cait Alexander, qui dirige le groupe de défense End Violence Everywhere, a partagé son histoire personnelle sous le regard de sa famille dans une zone publique.
«Je suis censée être morte», a-t-elle affirmé avec aplomb, montrant aux députés des photos graphiques des abus qu’elle a subis de la part de son ex-petit ami, il y a trois ans.
«Si vous n’aviez pas rencontré de survivante ni de famille de victime, eh bien, maintenant vous l’avez fait.»
Quelques instants plus tard, les interventions des députées ont dégénéré en démonstration partisane qui a tourné au chaos procédural.
Le tout a commencé quelques minutes seulement après les déclarations liminaires de Mme Alexander, puis de l’avocate Megan Walker et du chef adjoint de la police Nick Milinovich, au terme d'un premier tour de questions et réponses avec la députée conservatrice Michelle Ferreri.
La députée libérale Anita Vandenbeld a ensuite pris la parole. Après avoir assuré que le gouvernement fédéral prenait la question au sérieux, elle a réprimandé les conservateurs pour avoir politisé la question et les a accusés de laisser peu de temps aux autres partis pour se préparer ni de leur laisser l'opportunité de recommander des témoins.
«Nous n’utilisons pas les victimes et les survivantes de traumatismes pour tenter de marquer des points politiques au sein de cette commission», a-t-elle fait valoir.
«Il est cruel de faire revivre à des gens le traumatisme qu’ils ont enduré juste pour pouvoir tenir une réunion. Si cette rencontre n’est pas acceptée, on peut ensuite lire sur les réseaux sociaux que les libéraux ou d'autres partis ne se soucient pas de ces enjeux; or, nous le savons tous, nous nous en préoccupons très profondément», a-t-elle ajouté.
Au lieu de revenir à la discussion du sujet à l’étude avec les témoins, Mme Vandenbeld a plutôt proposé que le comité reprenne une discussion différente sur le droit à l’avortement.
Les témoins, laissés en suspens, ont commencé à invectiver Mme Vandenbeld.
Alors que Mme Alexander a montré à nouveau les photos de ses blessures, Mme Walker, visiblement bouleversée, a demandé, à propos de la députée : «A-t-elle écouté quelque chose de ce qui a été dit ce matin ?».
Le droit de parole n'a pas été redonné aux témoins. Au lieu de cela, un long va-et-vient entre les députées a suivi, avec de multiples rappels au règlement présentés à la présidente du comité.
La députée néo-démocrate Leah Gazan a accusé la présidente du comité, la conservatrice Shelby Kramp-Neuman, de ne pas lui avoir donné la parole et de favoriser plutôt sa collègue conservatrice.
«Le fait que ma voix soit réduite au silence au sein de la commission, alors que je n’ai pas eu la possibilité de faire entendre des témoins, est profondément offensant, profondément violent et profondément troublant», a-t-elle souligné.
«Je suis dégoûtée parce que je n’ai pas eu la chance de présenter des témoins, alors que je représente Ground Zero pour les femmes et les filles autochtones assassinées et disparues», a poursuivi la néo-démocrate.
La mère de Mme Alexander, frustrée, a fait savoir à l’instigatrice libérale qu’elle était «déçue», et que l'instrumentalisation du témoignage de sa fille constituait à ses yeux une autre forme d'abus.
Peu de temps après, Mme Alexander est sortie en trombe de la pièce, en larmes, suivie de Mme Walker.
La députée conservatrice Anna Roberts s’est dite «dégoûtée par toute cette journée» et a présenté ses excuses aux deux témoins.
Mme Ferreri a pour sa part fustigé Mme Vandenbeld, lui rappelant que les victimes étaient venues témoigner afin de provoquer un «changement légitime».
Elle a ajouté que le comité devrait tenir davantage de réunions sur le sujet pour entendre d’autres témoins, présentant ensuite ses excuses à la mère de Mme Alexander, qui se tenait derrière la table des témoins.
«Être désolée ne suffit pas», a rétorqué la dame.
La députée bloquiste de Shefford, Andréanne Larouche, a ensuite dénoncé «le garrochage de bouette entre le parti au pouvoir et l’opposition», qui a mené selon elle à la politisation d’un grand nombre de comités parlementaires.
«J’ai remplacé au comité de la Santé, ce comité est devenu politique; j’ai remplacé au comité de la Sécurité publique, ce comité est devenu politique; j’ai remplacé au comité des Affaires étrangères, ce comité est devenu politique», a-t-elle énuméré.
«Je me croisais les doigts en me disant que mon comité, celui de la Condition féminine, ne ferait pas ça, a-t-elle poursuivi. Et je suis extrêmement déçue de voir qu’aujourd’hui, il a fait la même chose.»
«Au nom de la partisanerie, ça n’avance plus. Vous êtes tous et toutes entrés dans le piège de rendre l’enjeu de la violence envers les femmes politique.»
«Les femmes ne doivent pas être instrumentalisées politiquement, et c’est ce qui est en train de le devenir. Les grandes perdantes, aujourd’hui, ce sont les femmes victimes de violence», a-t-elle renchéri.
La réunion a été levée peu de temps après.