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«C'est absurde.»
L'école est presque finie, la chaleur estivale s'installe et les enfants d'une petite municipalité de la Montérégie pourront bientôt passer leurs journées à jouer dans la rue – s'ils ont rempli les documents nécessaires.
La semaine dernière, la municipalité de Les Cèdres a publié un rappel aux résidents d'un règlement adopté en septembre dernier qui autorise les zones de jeu libre dans les rues résidentielles à condition que les enfants obtiennent la signature d'au moins deux tiers des ménages de la rue.
«En demandant une zone de jeu libre, vous augmentez le niveau de sécurité des jeunes de votre quartier et vous leur permettez de jouer légalement dans la rue», peut-on lire dans le message.
Isabelle Laberge travaille à l'école primaire de la municipalité et son fils de 11 ans joue parfois dans la rue avec ses amis. Elle pense que la plupart des résidents de cette muncipalité située à environ 45 kilomètres de Montréal n'étaient pas au courant du règlement et que la façon dont la ville a communiqué le changement a semé la confusion parmi les résidents qui craignaient que de jouer devant leur maison était désormais interdit.
«Je trouve que c'est un peu exagéré, mais en même temps je comprends les préoccupations en matière de sécurité parce qu'il y a un problème récurrent à Les Cèdres avec des gens qui roulent vite, qui ne font pas leurs arrêts, mais je ne suis pas sûre que cela va vraiment aider non plus», a-t-elle confié lors d'une entrevue mercredi.
Amélie Rhéaume, qui vient chercher sa fille à la même école, explique qu'elle n'autorise pas ses enfants à jouer dans leur rue, l'une des plus animées de la ville, en raison du nombre de voitures qui y circulent. Mais d'autres rues plus calmes sont remplies d'enfants qui peuvent jouer en toute sécurité.
«C'est très triste pour un petit village comme le nôtre d'avoir besoin d'un tel règlement», a-t-elle déploré, ajoutant qu'à son avis, il n'est pas très utile et ne sera pas respecté.
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Le Code de la sécurité routière du Québec interdit d'entraver la circulation sur un chemin public, mais il laisse aux municipalités la possibilité d'adopter des règlements qui exemptent les enfants qui jouent de cette interdiction.
En tant que chauffeur d'autobus scolaire, Philippe Thinel doit toujours être vigilant à l'égard des enfants sur la chaussée, mais il affirme que les conducteurs devraient savoir qu'il faut ralentir lorsqu'ils voient des enfants en train de jouer. En attendant la fin des classes mercredi, il a qualifié le règlement de réponse «exagérée» aux dispositions «mesquines» du Code de la sécurité routière.
Chantal Tremblay, directrice des communications de la municipalité de Les Cèdres, a déclaré que la municipalité n'avait pas encore établi de zones de jeu libre. Elle précise toutefois que les enfants pourront toujours jouer librement et que le règlement permet simplement de créer des zones officielles de jeu libre avec une signalisation visible.
La police a toujours toléré que les enfants jouent dans la rue, mais elle a reconnu qu'elle pourrait intervenir si elle recevait des plaintes.
Les esprits se sont échauffés et des larmes ont coulé lors de la réunion du conseil municipal de mardi soir, lorsque le maire Bernard Daoust a expliqué que l'objectif du règlement était d'accroître la sécurité.
Stéphane Quintal, agent de la police provinciale, a souligné lors de la réunion que la police s'efforcerait d'empêcher les gens de gêner la circulation, et non de jouer.
«Nous ne donnerons pas de contraventions aux enfants qui jouent au hockey dans la rue; au pire, nous leur donnerons un avertissement», a-t-il affirmé.
«Nous avons un certain niveau de tolérance, car la route est utilisée par tout le monde.»
Christian Savard, directeur général de Vivre En Ville, une organisation québécoise faisant la promotion des communautés durables, a déclaré que le règlement mettait une charge supplémentaire aux enfants et aux parents, qui devront obtenir l'autorisation de jouer.
«Le fardeau a été imposé aux enfants qui doivent aller chercher des signatures juste pour pouvoir jouer dans la rue, dessiner dans la rue, jouer au hockey dans la rue. C'est absurde», a-t-il critiqué.
M. Savard estime que le processus devrait être inversé et que les voisins devraient recueillir des signatures pour interdire les jeux dans la rue s'ils deviennent problématiques. Il souhaite que Les Cèdres suive l'exemple d'autres municipalités québécoises.
En mai, Saint-Lambert, sur la Rive-Sud de Montréal, a autorisé les jeux de rue, sauf pour les rues spécifiquement nommées. D'autres municipalités de la province, dont Mascouche et Gatineau, ont adopté des règlements semblables.
Selon M. Savard, contrairement aux terrains de jeux des parcs clôturés, les enfants jouent dans la rue de façon non structurée et spontanée, ce qui contribue positivement à leur développement. Qu'il s'agisse d'accueillir un match de hockey de rue ou de fournir une toile de trottoir pour l'art de la craie, la rue offre aux enfants un espace de socialisation qui est suffisamment proche pour que les parents puissent le surveiller, a indiqué M. Savard.
Louise de Lannoy, directrice générale de Outdoor Play Canada, est du même avis. Selon elle, plus de jeux libres dans la rue signifie moins de temps passé à être sédentaire et à regarder des écrans.
«Si le jeu peut se dérouler dans un espace naturel, les avantages sont encore plus grands. Mais en réalité, toute forme de jeu en plein air est bénéfique pour la santé et le bien-être physique, mental, émotionnel, social et environnemental des enfants», a-t-elle conclu.