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Des experts sondés par la coroner Géhane Kamel ont qualifié de «zone de guerre» la situation dans les milieux d'hébergement pendant la première vague.
La coroner Géhane Kamel a déposé son rapport sur les décès des personnes âgées ou vulnérables survenus dans les milieux d'hébergement pendant la première vague de la pandémie de COVID-19.
Pour émettre ses conclusions et recommandations, la coroner a entendu plus de 220 témoins dans le cadre d'audiences publiques.
Le 17 avril 2020, la coroner en chef, Pascale Décary, avait ordonné une enquête publique sur les circonstances ayant engendré la flambée de cas et de décès dans les CHSLD et les résidences privées pour aînés (RPA). Les 53 décès survenus dans le CHSLD Herron entre le 12 mars et le 1er mai 2020 ont servi de «tronc commun pour l'analyse de la présente enquête avec un échantillonnage régional d'autres milieux d'hébergement où sont survenus un nombre de décès significatif».
Le Dr Jacques Ramsay et les procureurs Dave Kimpton et Julie Roberge ont respectivement appuyé la coroner Kamel dans les aspects médicaux et légaux au cours de l'enquête.
Des experts travaillant sur la réalité des personnes âgées au Québec n'ont pas mâché leurs mots sur la gestion de la crise dans les milieux d'hébergement. Certains d'entre eux ont qualifié la situation dans ceux-ci de «zone de guerre» et d'«hécatombe» et ont jugé qu'elle aurait pu être «amoindrie».
Les Drs Réjean Hébert, Quoc-Dihn Nguyen et Vinh-Kim Nguyen ont dénoncé «l'âgisme systémique, voire le manque d’indignation de la population quant à l’hécatombe». Le retrait des proches aidants du jour au lendemain, «alors que le personnel soignant, dépassé et mal protégé, continuait à propager la maladie» a également été condamné. Enfin, l'un des experts a qualifié «d'euthanasie sans guillemets» le traitement réservé aux aînés et juge qu'il aurait été possible de les sauver en les hospitalisant prestement.
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L'ex-président de l'Association des médecins gériatres du Québec, le Dr Serge Brazeau, a quant à lui critiqué l'interférence des autorités gouvernementales et juge que davantage de responsabilités auraient dû être déléguées aux médecins. Il souligne surtout que très peu de place a été accordée aux gériatres. Alors qu'il a communiqué le 19 mars 2020 pour obtenir une représentation des gériatres au ministère, ce n'est que le 13 avril 2020 qu'un groupe d’experts en gériatrie a été créé par la ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque et de la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants. Les membres de celui-ci ont toutefois dû signer une entente de confidentialité les enjoignant à ne pas parler aux médias.
Selon le Dr Brazeau, «d’avoir scindé le MSSS pour créer une responsabilité ministérielle propre aux aînés [n'était pas] une bonne idée» et cela a pu engendrer des problèmes de communication. «Quand on crée deux chaises comme ça, il y a un risque que les gens se retrouvent pris entre les deux», souligne-t-il.
La coroner Kamel insiste sur le fait que la crise de la COVID-19 «illustre des décennies de politiques publiques défaillantes concernant les CHSLD et qui étaient déjà connues».
Comme principaux facteurs ayant contribué à celle-ci, elle identifie la capacité hospitalière du Québec, réduite en comparaison à d'autres pays de l'Organisaction de coopération et de développement économique (OCDE) et la «fragilité préalable» des CHSLD. Ces circonstances ont amené les autorités à éviter le transfert des résidents vers les hôpitaux afin de préserver la capacité de ceux-ci.
La lenteur bureaucratique liée aux nombreux paliers d'intervention a également été pointée du doigt. «La crise vécue lors de la 1re vague invite notre société à devenir proactive quant aux réflexions nécessaires sur le système de santé québécois», souligne la coroner Kamel. Celle-ci note toutefois que cette responsabilité n'appartient pas qu'aux élus, mais aussi aux autres acteurs du secteur de la santé.
La coroner Kamel émet 23 recommandations au gouvernement du Québec, au ministère de la Santé et des Services sociaux, aux CISSS et CIUSSS et au Collège des médecins du Québec.
Au gouvernement du Québec, il est notamment recommandé de revoir le rôle du directeur national de santé publique afin qu'il puisse travailler plus librement et «sans contrainte politique».
Il est aussi suggéré au ministère de la Santé et des Services sociaux de rendre plus imputables les gestionnaires des CISSS, des CIUSSS et du ministère concernant les soins prodigués aux personnes âgées en perte d'autonomie.
Me Kamel recommande également au Collège des médecins du Québec de «revoir les pratiques médicales individuelles des médecins traitants des CHSLD Herron, des Moulins et Sainte-Dorothée, notamment quant à leur décision de poursuivre les soins en téléconsultation malgré le besoin de soutien et le très grand nombre de décès.»
La parution du rapport a suscité différentes réactions. Le porte-parole de Québec solidaire en matière de santé, Vincent Marissal a souligné que le rapport faisait écho à des affirmations du parti. concernant le manque d'indépendance de la santé publique vis-à-vis du gouvernement.
«Dès le lendemain de la démission du docteur Arruda, j’ai demandé à François Legault de revoir le processus de nomination du directeur national de santé publique afin qu’il puisse garder un bras de distance avec le politique», a indiqué le député dans un communiqué.
Se demandant si les décisions de la santé publique relevaient davantage de la science ou de la politique, M. Marissal a affirmé qu'un gouvernement solidaire s'assurerait que le directeur national de santé publique soit indépendant du gouvernement.