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Le ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) travaille depuis une dizaine d'années, même plus dans certains cas, à protéger les 83 territoires en question dans le sud du Québec.
Québec s'apprête à annoncer une dizaine de nouvelles aires protégées dans le sud de la province, annonce qui doit avoir lieu en juin prochain.
D'après les informations obtenues par La Presse Canadienne, il s'agit d'une dizaine d'autres projets parmi les 83 qui avaient été délaissés en 2020 au profit d'aires protégées dans le Grand Nord québécois.
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Déjà, en février dernier, un premier groupe de dix de ces projets avaient finalement été approuvés et une poignée d'autres sont sur le point de l'être.
«On progresse. Il ne faut plus parler de 83. On est plus près de 70 et dans quelques jours, quelques semaines, on sera encore bien en deçà de ce chiffre», a confirmé le ministre de l'Environnement, Benoit Charette, en entrevue avec La Presse Canadienne plus tôt cette semaine.
Le ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) travaille depuis une dizaine d'années, même plus dans certains cas, à protéger les 83 territoires en question dans le sud du Québec.
Benoit Charette soutient que c'est le temps qui a joué contre l'approbation de ces aires protégées au sud du 55e parallèle.
«Le gros problème avec cette liste-là, c'est qu'elle avait été établie dans certains cas en 2012, 2013, 2014. Il y a eu plusieurs nouveaux élus municipaux qui se sont fait élire dans l'intervalle. Il fallait revalider les appuis que les projets avaient obtenus il y a près d'une dizaine d'années».
«Ce qu'on veut éviter à l'avenir, c'est justement des délais aussi longs. Attendre 10 ans avant qu'un projet soit présenté, ça laisse place à beaucoup d'incertitude et c'est ce qu'on veut corriger.»
Le biologiste Alain Branchaud, directeur général de la Société de la nature et des parcs division du Québec (SNAP Québec), estime toutefois que le temps n'est pas la principale raison de ce retard. «La plupart des projets d'aires protégées, ça se fait en 10 ans. Une décennie pour faire un projet, ce n'est pas quelque chose d'exceptionnel», dit-il.
«Pour les projets qui ont été mis de côté, le principal obstacle, c'était vraiment l'obstruction organisée du ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs (MFFP). Le ministère de l'Environnement aurait souhaité que les 83 projets passent durant les annonces de la fin décembre 2020», affirme M. Branchaud.
«Les ficelles n'étaient pas complètement attachées au niveau des consultations interministérielles. Ç'a été dit à plusieurs reprises que c'était le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs qui était le joueur qui empêchait la décision gouvernementale.»
En 2020, le gouvernement Legault avait plutôt annoncé son intention de protéger des territoires dans le Grand Nord, au-delà du 55e parallèle, une démarche qui lui permettait d'atteindre son objectif de protéger 17 % du territoire (dans les faits, le registre des territoires protégés du ministère de l'Environnement fait état de 16,7 % de la superficie du Québec protégée en date du 31 mars dernier).
Cette décision de délaisser les projets au sud au profit de territoires nordiques avait été décriée par les groupes environnementalistes et les Premières Nations, dont plusieurs cherchent à protéger des territoires traditionnels qu'elles revendiquent.
Les Innus de Pessamit ont ainsi annoncé leur intention, plus tôt cette semaine, d'envoyer une mise en demeure au gouvernement de donner le feu vert à l'un de ces projets, soit l'aire protégée de Pipmuakan sur la Côte-Nord, notamment pour protéger le caribou forestier. Aller de l'avant rapidement avec cette protection permettrait d'ailleurs au gouvernement Legault non seulement d'échapper à un éventuel recours judiciaire, mais aussi d'éviter la partie de bras de fer complexe qui se dessine avec Ottawa, le ministre fédéral de l'Environnement, Steven Guilbeault, menaçant toujours d'adopter un décret pour passer par-dessus Québec afin de protéger le caribou.
Il a été impossible de savoir, cependant, si l'aire protégée de Pipmuakan fait partie des projets dont l'annonce est imminente. Chose certaine, le ministère des Forêts ne voit pas d'un bon oeil la perte de possibilité forestière sur ce vaste territoire.
Fait à noter, les 10 aires protégées annoncées en février dernier représentent une superficie totale de 279 kilomètres carrés, selon nos informations, et non les 300 kilomètres carrés annoncés par le gouvernement. Or, la superficie qui était initialement prévue par le MELCC pour ces 10 projets était de 458 kilomètres carrés. Le ministère a ainsi dû concéder 39 % de la superficie de ses projets afin que ceux-ci obtiennent l'aval du gouvernement.
Les critiques les plus souvent entendues à la suite de la désignation des aires protégées dans le Grand Nord sont liées au fait qu'elles ne représentant pas une grande biodiversité, puisqu'il s'agit d'écosystèmes qui se ressemblent, et qu'elles ne sont pas accessibles à la population, qui ne pourra en profiter, contrairement aux projets dans le sud de la province.
Étonnamment, Alan Branchaud s'inscrit toutefois en faux contre cette interprétation.
«Ce n'est pas vrai qu'on a choisi seulement des territoires faciles à protéger où il n'y a pas de contraintes ou de biodiversité. Les obstacles et les contraintes au nord, il y en a qui sont super importantes au niveau de l'exploration et de l'exploitation minière. Il y avait un lobby très fort pour éviter de soustraire tout ce potentiel minier, mais le Québec est quand même allé de l'avant», dit-il.
«Pour ce qui est de la biodiversité, on a quand même deux grandes hardes de caribous migrateurs dans le Grand Nord. Plusieurs de ces aires sont des endroits stratégiques extrêmement importants pour le caribou migrateur.»
Sans surprise, le ministre Charette a aussi des réserves face aux critiques, mais elles sont d'une autre nature.
«Parlez à nos amis cris, qui par moments étaient offusqués d'entendre que c'est un territoire cri qui a moins de valeur parce qu'il est plus au nord. Les communautés cries tenaient à ces territoires protégés. Pour eux, ce n'est pas parce qu'ils sont plus au nord qu'ils sont moins méritoires», dit le ministre.
«Et avec ces territoires, le Québec a réussi à atteindre son objectif (de 17%) et c'est la première fois que le Québec atteignait une cible d'une entente internationale en matière d'environnement», souligne-t-il.
Alain Branchaud rappelle toutefois qu'on est encore loin de l'objectif pour 2030, qui est de protéger 30% du territoire. Même dans le Grand Nord, «quand on regarde les points de pourcentage au Nunavik, donc au nord du 55e parallèle, on est à 20% de protection. Il y a encore des gains à aller faire au nord.»
Tout en reconnaissant qu'il faudra faire encore beaucoup plus de gains dans le sud, il note qu'à 17%, «c'est normal qu'on ait des déséquilibres importants, mais ce n'est pas comme si tout notre 17% était dans le Grand Nord.»
«C'est vrai qu'on a un important déficit d'aires protégées au sud. Il y a tellement d'efforts à faire pour obtenir des gains dans le sud du Québec qu'il faut diversifier les approches sur la façon d'aller chercher ce consensus et de rallier les gens autour d'une proposition», affirme-t-il.
De plus, ajoute-t-il, il manque d'effectifs au MELCC pour faire avancer les dossiers plus rapidement et avec plus d'autorité.
Malgré tout, le biologiste refuse d'adopter un discours catastrophiste, car le portrait d'ensemble est moins sombre qu'on pourrait croire. «Quand on compare ce que le Québec réussit à faire avec ce qui se passe ailleurs au Canada, on est vraiment très bons. C'est fantastique ce qui se fait au Québec comparativement aux autres provinces.»
Il pointe notamment la modernisation de la Loi sur la protection du patrimoine naturel qui «vient ouvrir de nouveaux statuts, de nouvelles approches de conservation qui sont compatibles avec les objectifs de conservation de la biodiversité, les objectifs de conservation d'éléments bioculturels, entre autres avec les nouveaux statuts d'aires protégées d'initiative autochtone. C'est le genre de choses qu'on ne voit pas ailleurs au Canada.»
«Le Québec a semé des graines solides pour être en mesure d'atteindre les objectifs de 2030. Ce qui manque, c'est un engagement ferme du gouvernement du Québec avec une feuille de route et des décisions gouvernementales importantes», plaide-t-il.
«Ça demande du temps, ça demande du travail. (?) En ce moment on est en retard et on doit aussi prévoir comment on va se structurer, comment on va s'organiser pour les prochaines étapes qui vont mener à 2030.»
La Côte-Nord «manque un peu d'amour»
Il souligne au passage que l'une des régions les plus négligées du sud du Québec, c'est justement la Côte-Nord «qui manque un peu d'amour pour les aires protégées», là où se trouvent de multiples projets, dont celui de Pipmuakan ou encore celui de parc national du lac Walker «qui est voulu par la région, qui est rêvé, mais qui est bloqué par le ministère des Forêts».
La rivière Magpie, également, est sur la liste des projets, notamment en raison de son potentiel de sports en eau vive, un des meilleurs au monde. Dans ce cas, toutefois, c'est le ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles qui fait obstacle et, derrière lui, Hydro-Québec. Bien que la société d'État se défende d'avoir des projets de barrage sur cette rivière à haut potentiel énergétique, Québec hésite à la libérer en raison de ce potentiel.
Alain Branchaud rêve, et il n'est pas le seul, d'une offre récréotouristique locale qui comprendrait les activités d'eau vive sur la Magpie, l'île d'Anticosti, le lac Walker et le parc des îles Mingan. «Une personne pourrait raisonnablement dire qu'elle s'en va sur la Côte-Nord passer trois semaines pas mal remplies d'activités intéressantes.»
C'est avec ce genre d'approche que les projets d'aires protégées du sud du Québec prennent tout leur sens, soit de redonner à la population des espaces naturels dont elle pourra bénéficier de façon pérenne.