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Les tribunaux canadiens ont subi aussi les conséquences des restrictions sanitaires. Ils devront maintenant déterminer dans quelle mesure les retards occasionnés avec la COVID-19 devraient être jugés raisonnables et inévitables, alors que de plus en plus de causes approchent ou dépassent le délai maximal fixé pour les procès criminels, selon des experts.
La pandémie a interrompu les procédures judiciaires en personne pendant des mois dans de nombreuses provinces au cours des deux dernières années. La crise sanitaire a aussi suspendu les procès devant jury pendant de longues périodes, aggravant les retards existants.
Des mesures telles que des audiences virtuelles ont été mises en œuvre pour minimiser l’impact de la pandémie, bien que tous les cas ne puissent pas se dérouler à distance.
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Les règles fixant un plafond obligatoire à la durée des procès prévoient des exceptions pour les retards causés par des événements imprévus et inévitables. Mais à mesure que la pandémie se prolonge, cette définition devient moins claire, a déclaré le vice-président de l’Association des avocats criminalistes de l’Ontario, Daniel Brown.
Dans les dossiers qui ont précédé la crise sanitaire ou qui sont apparus lors de la fermeture des tribunaux, la cause des délais paraît plus évidente, a mentionné l’avocat de la défense établi à Toronto.
«Mais qu’en est-il des causes qui sont entrées dans le système par la suite, mais qui sont toujours affectées par le fait que ces affaires grugent beaucoup de dates de procès?», se questionne-t-il.
En remplacement d’un collègue, Me Brown a récemment obtenu une suspension des procédures en raison d’un retard déraisonnable dans une affaire d’agression sexuelle. Celle-ci avait commencé pendant la brève fenêtre au cours de laquelle les tribunaux ontariens étaient pleinement opérationnels à l’automne 2020, a-t-il expliqué.
Lorsque la cause était prête pour le procès, la seule date disponible était dans un an, ce qui allait au-delà du délai maximum, a mentionné l’avocat.
Avant la pandémie, les procureurs auraient simplement demandé au coordonnateur du procès une date antérieure, a expliqué Me Brown. Toutefois, ce n’est pas possible maintenant, car ces dates sont réservées aux cas plus anciens bloqués en raison de la COVID-19, a-t-il déclaré.
À l’heure actuelle, le seul recours disponible lorsqu’une affaire est réputée avoir pris trop de temps est la suspension des procédures.
Les causes qui ont émergé pendant la pandémie commencent seulement maintenant à approcher du seuil maximal, 18 mois pour la cour provinciale et 30 mois pour la Cour supérieure, a exposé Me Brown. Certains demandent de manière préventive une suspension des procédures par le biais de ce que l’on appelle une demande 11b, quand on leur donne des dates de procès au-delà de cette période, a-t-il affirmé.
«Au cours des six à 12 prochains mois, il sera révélateur de voir s’il y a plus de cas qu’avant qui seront suspendus pour retard», a commenté l’avocat.
Lorsque la Cour suprême du Canada a établi des délais obligatoires dans le cadre de l’arrêt Jordan, son objectif était de créer un «critère plus simple» pour évaluer le retard du procès, a évoqué la professeure à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York, Palma Paciocco.
Mais ces paramètres n’ont pas été conçus en fonction d’événements comme la COVID-19, précise-t-elle.
Dans le cadre de Jordan, les retards causés par la défense sont déduits de la durée totale de l’affaire. Après, si le décompte dépasse le plafond établi, il est présumé être un retard déraisonnable, a-t-elle expliqué. Il incombe alors à la Couronne de montrer que les contretemps ont été causés par des circonstances exceptionnelles qui ne pouvaient être atténuées, a précisé la professeure.
Cependant, cette analyse se concentre sur ce qui peut raisonnablement être fait pour compenser les retards dans une affaire spécifique, plutôt que dans l’ensemble du système judiciaire, a affirmé Mme Paciocco. Il serait difficile pour les juges d’évaluer de manière critique la pertinence des réponses systémiques à la COVID-19 en tenant compte des retards dans les cas individuels, a-t-elle observé.
Entre-temps, les retards causés par des problèmes systémiques tels que les ressources judiciaires limitées ont déjà été pris en compte dans la fixation des délais, a noté la spécialiste.
«Ce plafond supposait des opérations normales et non des fermetures de tribunaux», a fait valoir Mme Paciocco, qui a mené des recherches sur cette question.
Selon elle, le système se trouve dans une «impasse».
«Si nous permettons aux procureurs de la Couronne de dire simplement: “écoutez, la COVID-19 était imprévue et inévitable, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour prendre des mesures d’atténuation, et donc cela ne devrait tout simplement pas être compté”. Alors le résultat est que nous avons des personnes présumées innocentes qui subissent toujours tous les préjudices du retard d’un procès en termes de sécurité et de liberté et leur capacité à monter une défense complète, mais elles n’obtiennent pas de réparation pour cela.»
Il y aura probablement de nombreux cas où le retard du procès a coïncidé avec la pandémie et une demande en vertu de l’arrêt Jordan pourrait être possible, a déclaré la professeure. Les tribunaux devront déterminer ce qui est considéré comme un délai raisonnable dans ce contexte et ce qui aurait pu être corrigé par des efforts individuels, a-t-elle expliqué.
Dans certains cas, donne en exemple l’experte, des gens peuvent avoir besoin de reporter les dates d’audience en raison de la fermeture des écoles et des garderies. Il pourrait y avoir des différends quant à savoir si ce retard doit être déduit du décompte ou compté dans le temps total.
«Cela a de réelles considérations d’impartialité et d’équité lorsque nous pensons à la façon dont la pandémie affecte différemment différentes personnes», a-t-elle déclaré.
Un avocat de la défense de Calgary, Dale Fedorchuk, a vu ses procès retardés jusqu’à trois fois pendant la pandémie.
Mais l’avocat a indiqué qu’à ce moment-ci il hésiterait à demander un sursis en raison d’un retard déraisonnable. Les tribunaux de l’Alberta ont jusqu’à présent fait mention de la pandémie pour expliquer les délais.
«La question est maintenant de savoir si le préjudice subi par les clients l’emporte sur le retard systémique, de sorte que les demandes 11b commenceront à se succéder», a déclaré Me Fedorchuk.
Mais selon lui, cette prétention s’annonce «une bataille difficile».
«Un client devrait démontrer un préjudice particulier, dans le sens de ne pas pouvoir produire de témoin, ne pas pouvoir avoir accès à des documents qui existaient autrefois (...) ce qui pourrait déconsidérer l’administration de la justice avant qu’un tribunal ne dise que le délai systémique est dépassé par le préjudice causé au client.»