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«On peut dire que c’est un peu l’option nucléaire que le ministre fédéral a choisie».
Ottawa menace d’intervenir au Québec pour protéger les caribous alors que le premier ministre François Legault invite le fédéral à ne pas s’immiscer dans ce qu’il considère être un dossier provincial.
L’ancien président du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada, Marco Festa Bianchet, se réjouit de l’ultimatum envoyé par le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, au ministre québécois des Forêts, de la Faune et des Parcs, Pierre Dufour.
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«On peut dire que c’est un peu l’option nucléaire que le ministre fédéral a choisie, je suis heureux de ce choix», a indiqué le professeur de biologie à l’Université de Sherbrooke.
Selon Marco Festa Bianchet, «c’est vraiment la première fois que le fédéral invoque les filets de sauvetage de la loi sur les espèces en péril» et c’est nécessaire de le faire, car «le gouvernement provincial a choisi de laisser l’industrie forestière détruire l’habitat des caribous depuis plusieurs années».
Dans une lettre datant du 8 avril, le ministre Guilbeault a lancé un ultimatum au ministre Dufour en lui demandant de «transmettre, d’ici le 20 avril 2022, toute information concernant la protection, par le Québec, du caribou boréal (forestier) et de son habitat essentiel».
Si la province ne s’engage pas rapidement à mettre en place des mesures de protection pour limiter le déclin de l’espèce, le ministre Guilbeault a écrit qu’il devra «recommander au gouverneur en conseil de prendre un décret pour protéger ces portions de l’habitat essentiel qui ne le sont pas».
Ainsi, Ottawa pourrait forcer Québec à créer des habitats protégés pour le caribou.
Lors d’un point de presse mardi matin, Steven Guilbeault a expliqué qu’il avait essayé, dans les derniers mois, d’en venir à une entente avec Québec, mais sans succès.
«Le Québec a encore l’opportunité d’agir et de venir à la table et de négocier de bonne foi, mais ça doit se faire rapidement», a précisé le ministre fédéral.
Selon Marco Festa Bianchet , «la stratégie provinciale a toujours été de ne rien faire, de prétendre de faire quelque chose et de retarder» afin de protéger les emplois dans l’industrie forestière.
L’ex-président du Comité sur la situation des espèces en péril au Canada a expliqué à La Presse canadienne que le caribou dépendait des forêts anciennes et épaisses pour se protéger des prédateurs et fournir du lichen pour se nourrir.
Au fil du temps, l’industrie forestière a enlevé une grande partie de la vieille forêt et l’a remplacée par des arbres plus jeunes, privant ainsi le caribou de son habitat et de sa nourriture. Également, les chemins forestiers favorisent le déplacement des prédateurs naturels du caribou comme l’ours et le loup.
Lors d’un échange avec les journalistes en après-midi, le premier ministre François Legault a déploré le ton «centralisateur» d’Ottawa.
«C’est un champ de compétence du Québec, donc on a une commission indépendante, qui se penche là-dessus. Il faut avoir un équilibre entre sauver le caribou, mais aussi protéger les emplois qui sont importants dans certaines régions du Québec», a déclaré le premier ministre.
Questionné à savoir combien il restait de caribous au Québec, François Legault n’a pas été en mesure de répondre.
Le caribou forestier a été désigné comme espèce «vulnérable» en 2005 en vertu de la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec, alors que le caribou montagnard a été désigné comme espèce «menacée» en 2009.
Selon les données de la province, de 2005 à 2016, la somme des individus de toutes les populations estimées de caribous forestiers au Québec variait de 5635 à 9981. Quant aux caribous montagnards, ils étaient environ une quarantaine en 2020.
La Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec) appuie l’intention du fédéral d’agir par décret.
«Face à l’absence de mesures de protection efficaces sur une grande partie de l’habitat essentiel du caribou forestier au Québec, le gouvernement canadien est légitime d’utiliser la disposition du filet de sécurité de la Loi sur les espèces en péril», a indiqué Alain Branchaud, directeur général à la SNAP Québec.
«Québec n’écoute pas la science dans ce dossier. Il a pourtant en main depuis longtemps la recette pour arrêter le déclin de l’espèce, entamer son rétablissement et protéger son habitat essentiel», a également indiqué la SNAP dans un communiqué.
Le contenu de la missive du ministre Steven Guilbeault a été transmis à différents médias le jour même où débute, en Gaspésie, la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards, à laquelle François Legault a fait référence.
Durant les prochaines semaines, la commission tiendra des consultations dans des régions où se trouvent les caribous.
La commission est dirigée par Nancy Gélinas (une experte en économie forestière), mais ne comprend aucun expert du caribou, ce que déplorent les groupes environnementaux.
De son côté, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) critique l’absence de considération pour les droits et intérêts des Premières Nations par le gouvernement du Québec pendant cette consultation.
«Cette commission est un stratagème que le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs a trouvé pour repousser à nouveau l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie de protection et de rétablissement des caribous forestiers et montagnards et de leur habitat», selon l’APNQL qui est d’avis qu’elle ne sert qu’à légitimer «l’inaction du gouvernement du Québec dans la protection et le rétablissement du caribou et de son habitat».
L’objectif de la Commission est de «recueillir les opinions des parties intéressées concernant les deux scénarios théoriques, proposés par le MFFP» ou sur «ou toute idée qui permettrait de trouver un équilibre réaliste et défendable pour concilier l’objectif de protection du caribou forestier et les intérêts économiques en jeu».
Le premier scénario proposé par le MFFP viserait à accroître la superficie en restauration de la zone d’habitat des cervidés et aurait une incidence sur les activités forestières actuelles et pourrait menacer des emplois. Tandis que le second comporterait une plus petite zone en restauration de l’habitat du caribou et n’aurait aucun impact additionnel sur les activités forestières et ne menacerait ainsi pas d’emplois.
Mais pour le biologiste Marco Festa Bianchet, ces deux scénarios ne peuvent empêcher le déclin des populations de caribous.
«L’un des scénarios propose qu’on fasse très peu pour le caribou, et on prétend que ce petit geste insuffisant va causer un désastre au niveau des emplois de l’industrie forestière», a résumé le biologiste.
«L’autre scénario suggère que l’on continue à oublier l’habitat du caribou et on admet que la façon de procéder va causer l’extinction de quatre populations dans la partie sud de leur distribution», a ajouté Marco Festa Bianchet.
Les consultations ont débuté mardi à Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie, et s’échelonneront jusqu’au 17 mai, pour la dernière rencontre prévue sur la Côte-Nord, à Baie-Comeau. Des arrêts à Baie-Saint-Paul, La Sarre, Val-d’Or, Chibougamau et Alma sont aussi prévus.