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Le Canada doit mettre en place des conditions favorables pour développer l’industrie du carburant d’aviation durable (SAF), sinon cette expertise risque de filer aux États-Unis, prévient un regroupement d’entreprises de l’industrie aérienne.
Il existe plusieurs procédés industriels pour fabriquer du carburant d’aviation durable, mais ces carburants ont en commun le fait d’émettre «au minimum 50 %» moins d’émission de gaz à effet de serre. Ces procédés sont plus coûteux que celui du carburant traditionnel, ce qui complique le développement de cette filière sans appui gouvernemental.
«La rentabilité n’est pas vraiment là pour les fournisseurs, explique le directeur du Conseil canadien des carburants d'aviation durables (C-SAF), Geoff Tauvette, en entrevue. On a besoin d'un peu d'aide du gouvernement pour mettre en place un plan d'action pour nous aider à stimuler la production.»
L’association, qui regroupe une soixantaine de transporteurs aériens nationaux et internationaux, a élaboré une feuille de route avec des propositions pour soutenir l’essor du carburant d’aviation durable au Canada.
Le fédéral a des dispositions réglementaires pour l’attribution de crédits carbone pour les utilisateurs de SAF, par exemple, mais l’industrie canadienne a besoin d’une politique globale, plaide M. Tauvette. «Au Canada, on n'a pas vraiment une politique concrète pour supporter le SAF comme tel», déplore-t-il.
Pendant ce temps, le gouvernement Biden a lancé le «défi du SAF» qui vise à produire annuellement 3 milliards de litres de carburant d’aviation durable d’ici 2030 aux États-Unis.
Sans réponse canadienne, l’industrie dépendra des importations pour décarboner l’industrie. «On risque de devenir simplement un fournisseur de matières propres (nécessaire à la fabrication du carburant) aux régions qui ont mis en place des incitatifs, comme les États-Unis», prévient le directeur.
L’objectif du C-SAF est l’atteinte d’une production annuelle de carburant d’aviation durable de 1 milliard de litres d’ici 2030 au Canada. Il demande au fédéral de mettre en place des politiques qui favorisent la production et l’utilisation du SAF.
Le C-SAF demande aussi au gouvernement de trouver une façon de prioriser le secteur de l’aviation dans la production de carburant durable. Le procédé pour faire du diesel renouvelable et du carburant d’aviation durable à partir de matière organique est relativement similaire, mais il exige des étapes supplémentaires dans le cas de l’aviation, explique M. Tauvette.
Il existe plusieurs projets en biocarburant dans les cartons qui pourraient produire du carburant pour l’aviation en totalité ou en partie, souligne le C-SAF. En théorie, la conversion pourrait permettre d’atteindre une production de 500 millions de litres de carburant d’aviation durable d’ici 2030, soit la moitié de son objectif, selon des informations contenues dans sa feuille de route.
Il s’agit d’un scénario «optimiste», convient l’association qui souligne qu’une partie des projets pourraient tout de même décider de produire du carburant pour l’aviation avec les bons incitatifs.
Pourquoi déplacer le biocarburant d’un secteur vers un autre? Contrairement aux autres formes de transport, le carburant d’aviation durable serait le seul moyen de réduire les émissions de l’industrie aérienne, répond M. Tauvette. «Tous les autres modes ont plus d'options qui peuvent être mises en place plus rapidement. Nous, on n'a pas le choix. Tous les autres modes ont des choix.»
Au Québec, le ministre de l'Économie et de l'Énergie, Pierre Fitzgibbon, reste à convaincre sur la pertinence d'accorder des blocs d'énergie pour le développement de projets de carburant durable dans le secteur aérien. «On n’a pas encore décidé», avait-il dit à la mi-mai.
Confronté à la fin des surplus énergétiques et une forte demande industrielle, le Québec n’a pas le choix de faire des choix entre les nouveaux grands projets qui veulent se connecter au réseau d’Hydro-Québec. «Le SAF, c'est un peu comme l'hydrogène. Ça prend de l'hydrogène pour faire du SAF. Il faut faire attention parce que la capacité énergétique (du Québec) est limitée», avait dit le ministre Fitzgibbon.
À Montréal, le projet du Consortium SAF+, qui compte Air Transat et Airbus parmi ses partenaires, s’appuie sur la technologie du «power to liquid (PtL)». Ce type de carburant durable est produit en captant le CO2 des grands émetteurs industriels, qui est par la suite synthétisé avec de l'hydrogène renouvelable.
Cette filière est moins avancée que la production de carburant durable à partir de matières agricoles et forestières, nuance M. Tauvette.
Pour sa part, le directeur général de Consortium SAF+, Jean Paquin, avait, lui aussi, souligné que son projet n’était pas immédiat, en entrevue avec La Presse Canadienne récemment pour réagir aux propos du ministre.
Le projet montréalais devrait entrer en commercialisation en 2028. Cette fenêtre de temps donnerait une certaine flexibilité à Hydro-Québec qui compte augmenter sa capacité énergétique d'ici là. «Le projet, ce n'est pas pour demain», insistait M. Paquin.
Dans tous les cas, le gouvernement du Québec aurait toutefois intérêt à s’assurer de développer sa propre filière du carburant d’aviation durable, plaide M. Tauvette. «Les industries aérienne et aérospatiale sont d’importantes sources de création de richesse au Québec. En soutenant la décarbonation de l'industrie, ça nous garde concurrentiels. Je pense que c'est dans l'intérêt public.»