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Des militants estiment que la flambée de violence est un «faux prétexte» pour justifier la hausse record du budget du Service de police de la Ville de Montréal.
Alors que les fusillades ont continué de défrayer les manchettes au cours des derniers mois à Montréal, des militants pour le définancement de la police estiment que les autorités font fausse route en misant sur une augmentation record du budget du SPVM pour endiguer la violence.
Pour 2023, la Ville de Montréal a bonifié le financement de son service de police de 63,2 millions de dollars, soit la plus importante augmentation budgétaire de son histoire.
Avec cette décision, Montréal se distingue de plusieurs grandes villes canadiennes, qui ont tablé sur des augmentations plus modestes des budgets de leurs corps policiers depuis les manifestations du mouvement Black Lives Matter de l’été 2020.
C’est ce qui ressort d’une analyse effectuée par le professeur agrégé de l’Université Concordia, Ted Rutland, qui s’est intéressé à l’évolution des budgets des services policiers des dix plus grandes villes canadiennes dans la foulée de la mort de George Floyd. La mort de l’homme afro-américain, tué par un policier à Minneapolis après avoir tenté de payer un achat avec un faux billet de 20$, avait amplifié les appels au définancement de la police un peu partout en Amérique du Nord.
Projet Montréal avait alors brièvement flirté avec l’idée de geler le budget du SPVM, mais la mairesse Valérie Plante a finalement rejeté la proposition des membres de son parti peu avant le déclenchement de la campagne électorale municipale, à l’automne 2021.
L'ex-ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault et la mairesse de Montréal Valérie Plante ont annoncé des montants exceptionnels pour lutter contre la violence armée, quelques jours après qu'une série de fusillades eût secoué la métropole. (Photo: Graham Hughes/La Presse canadienne)
Depuis, la mairesse s’est engagée à embaucher, avec l’aide financière de Québec, 450 nouveaux policiers d’ici 2027. En marge de l’annonce d’un investissement de 250 M$ sur cinq ans pour lutter contre la violence armée, en août, la vice-première ministre du Québec Geneviève Guilbault avait affirmé que «les Montréalais ont besoin de sentir la présence policière dans les rues et les parcs».
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«Les recherches sur la violence montrent depuis longtemps que plus de police ne réduit pas la violence», réagit Ted Rutland, auteur de l’analyse sur les budgets des corps policiers. Spécialiste de la sécurité urbaine et de la politique municipale, M. Rutland milite depuis plusieurs années en faveur du définancement de la police.
«Ce qui peut vraiment faire la différence, c’est un investissement dans des programmes communautaires très spécifiques», affirme le chercheur.
La plupart des militants pour le définancement avancent que la meilleure façon de réduire la violence et la criminalité est de s’attaquer aux inégalités sociales. Pour ce faire, ils proposent de détourner des sommes destinées à la police, afin de les réinvestir dans des programmes sociaux et communautaires. Dans leur viseur: les millions de dollars dépensés pour «militariser la police».
À VOIR | Définancer la police, malgré les fusillades? Le reportage d'Émilie Clavel:
«Quand on parle de définancer la police, on ne veut pas dire mettre la santé du public en danger ou éliminer les policiers qui font de l’intervention dans les communautés, nuance Julien Daigneault Boucher, membre du collectif politique Alternative socialiste Québec. C’est d’enlever l’argent dans les services qui servent à rien.»
Il cite en exemple les millions de dollars consacrés à l’achat par les corps policiers d’armes semi-automatiques et de camions blindés, ou encore la mise sur pied d’escouades de «profilage politique» pour surveiller les opérations de groupes militants.
Si ces millions de dollars étaient utilisés pour construire des logements sociaux abordables ou améliorer les services en santé mentale, argue-t-il, «il y aurait pas mal moins de pauvreté et pas mal moins de criminalité».
Pour Alexandre Popovic, porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers, il est inconcevable qu’on songe à embaucher davantage de policiers, alors que la ville affiche déjà l’un des plus hauts taux de policiers par habitant au pays.
En 2018, la métropole comptait 223 policiers par 100 000 habitants. À Toronto, ce taux était de 167 policiers par 100 000 habitants, tandis que la ville de Québec comptait 126 policiers par 100 000 habitants.
«On a trop de policiers à Montréal», juge M. Popovic, qui estime que la réponse policière «inefficace» à la vague de fusillades des derniers mois est la preuve que d’autres solutions doivent être envisagées.
«La réponse politique [à la violence], c’est toujours de sortir le chéquier. Et on fait pleuvoir les millions depuis un certain nombre d’années. Est-ce que ça fonctionne? Est-ce que quelqu’un prend le temps de se demander ce qui est arrivé avec les derniers millions qu’on a donnés?» demande le militant de longue date.
Si les fusillades des derniers mois ont été évoquées pour justifier des embauches supplémentaires à Montréal, Ted Rutland souligne que la montée de la violence armée est loin d’être unique à la métropole québécoise.
«Il y a une augmentation dans certaines catégories de crimes partout en Amérique du Nord, note-t-il. C’est le résultat de la pandémie qui a perturbé beaucoup de choses.»
La fermeture des frontières, en 2020, a par exemple perturbé les chaînes d’approvisionnement illégales du crime organisé et provoqué des conflits parfois sanglants. La fermeture des écoles, qui sont un facteur important de protection pour les jeunes à risque de se tourner vers la criminalité, a également joué un rôle, alors que les contraintes sanitaires et budgétaires ont empêché les organismes communautaires de prendre la relève auprès de ces populations, énumère-t-il.
Or, même confrontées à ces enjeux, d’autres grandes villes canadiennes ont fait des choix différents de Montréal. «Calgary, Edmonton et Toronto ont limité la hausse de financement de leur police et ont détourné des fonds vers des escouades civiles», note M. Rutland.
Ces escouades sont appelées à intervenir à la place des policiers lorsque des appels logés au 9-1-1 concernent des problématiques sociales ou de santé mentale. Un choix «qui incarne la logique du définancement», estime M. Rutland.
Si la Ville de Montréal a bonifié le budget consacré à l’Équipe mobile de médiation en intervention sociale (ÉMMIS) pour le faire passer à 10 millions de dollars en 2023, Ted Rutland estime que cette hausse est beaucoup trop timide.
«On a augmenté le budget du SPVM de 63 millions. Imagine la différence qu’on pourrait faire à Montréal-Nord ou à Rivière-des-Prairies avec 63 millions de dollars» lance-t-il.