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Même s’il n’est pas écrit explicitement dans la loi canadienne que les émissions de gaz à effet de serre (GES) en aval doivent être considérées dans l’approbation d’un projet, les groupes environnementaux qui demandent à la Cour fédérale d'annuler l'approbation par Ottawa du projet pétrolier de Bay du Nord considèrent que la loi le requiert.
Ces groupes souhaitent également que la cour prenne en considération les décisions de cours de justice ailleurs dans le monde qui ont conclu que les études environnementales devaient considérer les émissions de GES en aval pour ce type de projet.
Selon la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI), les promoteurs d’un projet qui fait l’objet d’une évaluation d’impact fédérale doivent fournir une estimation des émissions de GES de ce projet.
Dans le cas d’un projet pétrolier comme Bay du Nord, le promoteur fournit par exemple une estimation des émissions pendant l’extraction.
Selon le processus du gouvernement fédéral, il «n’est pas nécessaire d’estimer les émissions en aval».
Pourtant, la vaste majorité des émissions d’un baril de pétrole sont émises lors de sa combustion, par exemple au moment où ces émissions s’échappent du tuyau d'échappement d'un véhicule, donc en aval.
Selon Ecojustice, qui représente la Fondation Sierra Club Canada, Équiterre et Mi'gmawe'l Tplu'taqnn, le processus d’extraction du projet pétrolier extracôtier de Bay du Nord, à Terre-Neuve-et-Labrador, ne représentera que 10 % des émissions et les 90 % restants proviendront de la combustion du pétrole.
Au bout du compte, il faut que le processus fédéral inclue explicitement les émissions en aval, selon l’avocat d’Ecojustice, Alan Andrews.
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Le combat que mènent les trois organisations qui poursuivent le gouvernement fédéral est semblable à ceux menés par d’autres organisations qui ont réussi à faire annuler des décisions concernant des projets industriels en raison de leur contribution au changement climatique.
Dans un mémoire des faits soumis au juge mercredi, une avocate d’Ecojustice, Anna McIntosh, a notamment fait référence au projet de mine de charbon à ciel ouvert de Gloucester Resources qui a été rejeté par un tribunal australien.
Au dernier paragraphe de sa décision rendue en 2019, le juge australien Brian Preston a indiqué que cette mine serait «à la mauvaise place, au mauvais moment».
«C’est le mauvais moment parce que les émissions de GES de la mine de charbon et de ses produits augmenteront les concentrations totales de GES à un moment où il est maintenant nécessaire, et de toute urgence, afin d'atteindre les objectifs climatiques généralement convenus, de diminuer rapidement et profondément les émissions de GES. Ces conséquences désastreuses doivent être évitées», peut-on lire dans la décision du juge.
Ecojustice fait également référence à une autre décision prise par un tribunal de la Nouvelle-Galles du Sud qui a conclu, dans une poursuite engagée par l'écologiste Pete Gray, que le gouvernement n'avait pas correctement évalué les émissions de gaz à effet de serre qui seraient causées par l'exploitation de la mine Ani Hill et l'utilisation ultérieure du charbon, donc des émissions en aval.
Toutefois, contrairement à la politique du gouvernement fédéral, la réglementation de la Nouvelle-Galles du Sud, où ces projets de mine étaient envisagés, requiert explicitement que l’évaluation d’impact d’un projet considère les GES en aval.
Mais selon Alan Andrews, d'Ecojustice, une «bonne interprétation» de la Loi sur l'évaluation d'impact «conformément à son objectif de protection de la santé humaine et de l'environnement, et au principe de précaution, nécessite la prise en compte des émissions en aval».
Le ministre fédéral de l'Environnement, Steven Guilbeault, a approuvé le projet en avril dernier à la suite d'un examen de l'Agence d'évaluation d'impact et d'une évaluation environnementale.
Dans son mémoire, Ecojustice fait valoir que ni l'agence ni le ministre de l’Environnement ne pouvaient interpréter la Loi d'une manière qui leur permette d'exclure les émissions en aval, compte tenu de la réalité acceptée des dommages graves liés au changement climatique.
Le document d'Ecojustice souligne que les décisions de l'agence doivent tenir compte «des objectifs de la Loi qui vise à promouvoir le développement durable qui ne compromet pas les besoins des générations futures et qui assure que les décisions d'évaluation environnementale sont prises d'une manière qui protège l'environnement et la santé humaine et applique le principe de précaution».
L’avocate Anna McIntosh a notamment plaidé mercredi que la Cour suprême avait reconnu que les gaz à effet de serre n’avaient pas de frontière et que les effets causés par les émissions d’un projet «ne dépendent pas de l’endroit où elles sont émises, que ce soit au Canada ou ailleurs».
Mais selon l'avocat d'Equinor, le promoteur de Bay du Nord, l’entreprise ne peut être tenue responsable de choses hors de son contrôle et il serait impossible d'évaluer les émissions produites lors de l'utilisation du pétrole, puisque Equinor ignore qui seront les acheteurs.
« Nous ne savons pas quelles seront les utilisations en aval», a dit Sean Sutherland devant la cour jeudi.
«Mais le fait est qu'il ne s'agit pas que d'un seul projet - d'autres sont à l'horizon, et nous avons donc besoin que le gouvernement fédéral exige clairement que tous les projets tiennent compte des émissions en aval et de leur compatibilité avec les engagements du Canada en vertu de l'Accord de Paris», a indiqué l’avocat Alan Andrews, d'Ecojustice, dans un échange avec La Presse Canadienne.
L’audience a eu lieu mercredi et jeudi et le juge Russel Zinn a déclaré qu'il y avait tellement de preuves présentées dans l'affaire qu'il lui faudrait un certain temps pour prendre une décision.