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Surveillance, achats et accidents: même après plus de deux ans années de pandémie, les règles entourant le télétravail restent floues, selon des experts.
Surveillance, achats et accidents: même après plus de deux ans années de pandémie, les règles entourant le télétravail restent floues, selon des experts.
«C’est normal que ce ne soit pas clair pour tout le monde, le droit du télétravail, parce qu’en fait, il n’y a pas de règles spécifiques» pour ce cas de figure, explique l’avocate Marjolaine Condrain-Morel, vulgarisatrice juridique chez Éducaloi. Selon elle, «le droit est encore à construire», c’est-à-dire qu’il va falloir attendre «que les tribunaux se penchent là-dessus, sur des cas réels, pour voir qu’est-ce qui est légal et qu’est-ce qui ne l’est pas».
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En attendant, ce sont donc les normes habituelles qui s’appliquent. Cependant, quand les employés effectuent leurs tâches à partir de la maison, ces directives peuvent alors entrer en conflit avec d’autres lois.
«Quand on est sur les lieux de l’employeur, on se voit, on peut s’observer (…), l’employeur peut avoir une espèce de validation de ce qui se passe avec l’employé», rappelle Me Condrain-Morel. Mais quand les travailleurs restent dans leur propre logis, avoir ce niveau de surveillance nécessiterait l’activation de caméras, ou même le partage de son écran.
Comment alors savoir ce qui dépasse les bornes? Après tout, «quand on est à la maison, on a quand même ce droit à la vie privée qui nous est très cher», en vertu notamment de l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec.
Par exemple, avant même la pandémie, les tribunaux avaient tranché qu’un employeur avait le droit de surveiller électroniquement l’ordinateur de ses employés de manière aléatoire, comme ce n’était pas en continu, cela ne visait pas une personne en particulier et tous en avaient été informés à l’avance, affirme-t-elle.
«C’est certain qu’il ne faudrait pas que la caméra soit ouverte toute la journée, il faut être raisonnable dans notre supervision», note Me Marie-Hélène Jolicoeur, avocate spécialisée en droit du travail au cabinet Lavery. Selon elle, les employeurs peuvent «demander les heures de travail et faire de petites vérifications, requérir la disponibilité quand la personne est censée être présente, demander une certaine reddition de comptes» et organiser des rencontres de fin de journée pour faire un suivi, plutôt «que de demander d’être branché, d’allumer sa caméra, d’être toujours en ligne, par exemple sur des plateformes comme Teams».
Il serait par exemple difficile d’interdire à un employé de mettre un fond d’écran derrière lui lors d’une réunion sur Zoom, comme «on ne peut pas nécessairement exiger de voir les lieux du travail quand on est dans l’intimité de la personne».
Si un télétravailleur trébuche dans son propre escalier en se rendant à la salle de bain, son accident est-il couvert par son patron? Il se pourrait bien que oui, mais chaque situation doit être traitée au cas par cas.
Il faut que l’accident «ait lieu à l’occasion du travail», une définition qui est «assez large», selon Me Condrain-Morel. «Est-ce que ça a été fait pendant les activités professionnelles et non pas pendant les activités personnelles? Quand on est à la maison, la ligne est un peu plus mince.»
Il existe des précédents, dit-elle: «Une dame qui travaillait au deuxième étage est descendue pour aller à son heure de dîner, elle mangeait à la cuisine, elle a eu un accident et ça a été reconnu comme étant un accident de travail», de la même manière que si c’était arrivé au bureau. Dans un autre cas reconnu, un salarié avait glissé sur une plaque de glace à la sortie de son véhicule, de retour après être allé chez un client.
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) confirme par courriel qu’«il peut être plus difficile d’établir si la lésion est survenue par le fait ou à l’occasion du travail, puisque la sphère professionnelle se confond avec la sphère personnelle». Dans des cas comme ceux-ci, elle prend en compte le lieu et le moment de l’accident, mais aussi «la nature des activités exercées» et «la présence d’un lien de subordination entre l’employeur et le travailleur» au moment des faits.
Mais là où les règles se compliquent encore plus, c’est au chapitre de l’achat de l’équipement de bureau. Normalement, si l’on est payé plus cher que le salaire minimum, l’employeur peut exiger que l’on se procure soi-même son matériel. En télétravail, cela peut très bien inclure une chaise et une table.
Pourtant, l’employeur a aussi la responsabilité de «prévenir tout ce qui pourrait porter atteinte à la santé sécurité», remarque Me Jolicoeur. Cela vient brouiller les cartes, car même quand on reste assis toute la journée, des installations de bureau peuvent être la cause de maladies professionnelles, comme des maux de dos ou des tendinites.
La CNESST indique que «pour réduire le risque que les travailleurs développent des troubles musculosquelettiques à cause d’une posture statique, certaines mesures doivent être mises en place par l’employeur», dont «fournir des postes de travail ergonomiques».
Par contre, un patron n’est pas obligé «de fournir le mobilier de bureau aux télétravailleuses et télétravailleurs», explique la commission. Mais s’il fait le choix de fournir les équipements, alors là, il «a l’obligation de s’assurer que ceux-ci sont sécuritaires et d’en assurer le maintien en bon état.»
Me Condrain-Morel souligne que le patron n’est pas le seul qui doit faire de son mieux pour éviter les problèmes de santé, comme c’est une responsabilité partagée par l’employé. Ce dernier «doit lui aussi alerter son employeur s’il y a des problématiques», par exemple une chaise inconfortable. «Peut-être qu’il ne fournira pas la chaise, mais peut-être qu’à ce moment-là, le droit au télétravail ne sera plus permis pour cet employé-là, parce qu’il n’est pas adéquatement outillé à la maison».