Début du contenu principal.
«J’ai souvent pensé à abandonner le projet parce que lorsque quelqu’un est blessé je souffre aussi», a raconté M. Falardeau en marge du festival Hot Docs qui s'ouvre samedi à Toronto
Le cinéaste québécois Philippe Falardeau affirme que pendant les quatre années qu’il a consacrées à la série documentaire sur le déraillement à Lac-Mégantic, on a dû le dissuader d'abandonner le projet à quelques reprises.
«J’ai souvent pensé à abandonner le projet parce que lorsque quelqu’un est blessé je souffre aussi», a raconté M. Falardeau en marge du festival Hot Docs qui s'ouvre samedi à Toronto. «Ça m’a fait mal, mais les gens de Lac-Mégantic et mes co-rédacteurs m’ont dit de ne pas arrêter et ils avaient raison».
S’appuyant sur les témoignages poignants des victimes ainsi que sur des entrevues avec des représentants des chemins de fer et de la ville, «Lac-Mégantic – ceci n’est pas un accident» et sa version anglaise avec des sous-titres «Lac-Mégantic — This Is Not an Accident» retrace comment la petite municipalité de l’est du Québec est devenue le site de l’une des pires catastrophes ferroviaires du Canada le 6 juillet 2013. La série sera projetée samedi au festival Hot Docs à Toronto et sera présentée en première mardi sur le service de vidéo sur demande de langue française de Vidéotron.
À lire également :
Les citoyens de Lac-Mégantic racontent en détail les décisions et les conditions qui, selon eux, ont contribué au déraillement d’un train parti à la dérive transportant 72 wagons-citernes chargés de pétrole de schiste de Bakken, causant une explosion qui a tué 47 personnes, déplacé 2000 résidents et déversé plus de 7,7 millions de litres de pétrole brut.
«La voix principale devait être celle des gens de Lac-Mégantic, sinon cela n’aurait pas eu de sens pour moi», a déclaré M. Falardeau, le réalisateur qui était notamment en nomination aux Oscars pour le film «Monsieur Lazhar» dans la catégorie du meilleur film étranger.
«En leur parlant et en leur expliquant ce que je voulais faire, j’ai eu l’impression d’avoir la permission non écrite de raconter cette histoire comme elle s’est produite pour la prochaine génération qui n’était peut-être pas au courant de la tragédie», a-t-il expliqué.
C'est lors d’une randonnée à vélo avec sa fille, quelques années après la tragédie, que l'idée de la série documentaire a germé.
«Je n’arrêtais pas de voir tous ces wagons-citernes stationnés et de penser que, dans un monde post-Lac-Mégantic, c’est sûrement maintenant un endroit plus sûr. J’ai donc lu le roman d’Anne-Marie Saint-Cerny, Mégantic, pour me rendre compte que peu de choses avaient changé», a déclaré M. Falardeau.
«La colère a commencé à s’installer en moi, une colère dirigée en partie contre moi-même parce que j’étais si naïf et que je supposais que les choses changeraient dans un monde où l’industrie ferroviaire joue un rôle très important sur le plan économique.»
Une enquête du Bureau de la sécurité des transports (BST) a permis de cerner 18 causes et facteurs contributifs, dont une «faible culture de sécurité» à la Montreal, Maine & Atlantic Railway (MMA) — dont l’ancien directeur général est interviewé dans le document — et une «surveillance inadéquate des changements opérationnels» à Transports Canada. Parmi les autres problèmes relevés par le BST, mentionnons la vitesse excessive du train et les problèmes mécaniques de la locomotive.
De nombreux habitants de Lac-Mégantic interrogés croient que l’industrie ferroviaire actuelle est incapable d’apporter les changements nécessaires pour éviter une autre tragédie.
«Les ministres des Transports nous diront toujours cette phrase fabriquée de toutes pièces: «La sécurité est notre priorité absolue », ce que je croyais auparavant, mais plus maintenant», a souligné M. Falardeau.
«Je sais qu’ils ont aussi le mandat de promouvoir l’économie par le transport, alors comment conciliez-vous les profits et la sécurité des Canadiens? Je pense qu’ils accorderont la priorité aux profits à chaque fois», a dit le cinéaste.
De nombreux résidents ont raconté à quel point ils étaient mécontents lorsque l’ingénieur Thomas Harding et deux autres employés de la MMA ont été acquittés en 2018 de négligence criminelle dans la catastrophe, et les accusations criminelles ont été abandonnées quelques mois plus tard contre l’entreprise.
Philippe Falardeau reconnaît qu'il était d'abord tenté de faire une fiction inspirée de la tragédie, mais que les éléments environnants qui indiquaient un problème non résolu ont changé ses intentions.
«J’étais très inquiet à l’idée de faire un spectacle de cela, de leur douleur et de leur deuil. Je disais souvent aux gens qu’ils devaient trouver leur propre raison d’être dans ce film».
Durant les trois heures de la série, seulement sept minutes de la tragédie y sont insérées.
Pascal Charest, visiblement émotif, y parle de la perte de sa partenaire de longue date Talitha Coumi Begnoche et de ses filles, Bianka, âgée de 9 ans et Alyssa, âgée de 4 ans.
Pour Philippe Falardeau, il était important d’éviter aux familles des victimes les pires éléments visuels de la tragédie et de se concentrer sur ce qui a causé tant de décès.
«J’avais peur que ces docuséries divisent les gens… mais cela a eu l’effet contraire. Pour la première fois depuis un certain temps, certains ont été rappelés de ceux qui étaient les vrais coupables», a déclaré le cinéaste québécois.
«Les victimes de Lac-Mégantic voulaient que ce soit clair. Il ne s’agissait pas d’un accident et il fallait s’assurer que les auditoires savaient que cela pouvait être évité», a-t-il souligné.
Bien que ce ne soit pas le premier documentaire de Philippe Falardeau, il s'agit de sa première participation au festival Hot Docs, même s’il reconnaît qu'il a hâte de retourner à la fiction.
«Je me suis surtout rendu compte que je suis davantage un cinéaste de fiction grâce à ce processus», a dit M. Falardeau, tout en soulignant qu'il a trouvé l’expérience enrichissante.