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Le premier refus est toujours celui qui fait le plus mal...
À peu près à cette date-ci, quand j’avais 16 ans, ma mère est entrée sans frapper dans ma chambre (comme toujours) et a déclaré sur un ton sérieux : il faudrait que tu te fasses un CV afin de te trouver une job d’été.
Elle l’avait dit sur son ton qui voulait dire qu’aucune argumentation ne sera possible. Ce sera ça, ton destin d’ado qui mue encore. J’étais figé sur mon lit. Le mot CV résonnait dans ma tête comme une sentence horrible. Et aussi, parce que je ne savais pas vraiment ce que c’était un CV. Mais je venais de comprendre que les étés entiers à faire ce que je voulais n’existaient plus. L’oisiveté estivale venait d’être placée dans la boîte à souvenirs juste à côté de celui de mon premier wet dream.
Je suis donc allé chez ma tante Johanne, parce qu’elle avait une dactylo électrique (ça faisait plus propre et plus sérieux) me permettant de concocter mon premier CV à vie ! Un CV qui contenait une mine d’informations comme mon nom, mon adresse, mon numéro de téléphone, mon âge et mon numéro d’assurance sociale. Rien de moins. Sous la rubrique expérience de travail on y trouvait : gardiennage, tondre la pelouse et bénévolat. J’avoue, ce n’était pas vrai pour le bénévolat, mais ça donnait l’impression que j’étais responsable et gentil. Dans la section hobby, on pouvait découvrir : judo, films d’horreur, bicyclette et rire des gens. À la suite des pressions de mon entourage, dont ma mère, j’ai dû retrancher : rire des gens. Y paraît que ça me faisait mal paraître.
Par la suite, je me suis rendu au dépanneur près de chez moi qui détenait un appareil technologique de fou qu’on appelait une photocopieuse. Juste avant de repartir avec mes 25 copies (soit j’avais beaucoup d’ambitions ou aucune confiance en moi, je vous laisse choisir), j’ai voulu tester le marché et j’ai demandé au propriétaire s’il avait besoin de personnel pour l’été. Il m’a répondu que oui, mais que j’étais trop frêle pour gérer le déplacement de caisses de 24 bières et que je n’avais pas l’âge pour donner les cassettes VHS XXX aux clients qui sortaient rapidement derrière les portes de saloon au fond du dépanneur. Je me suis dit que le premier refus est toujours celui qui fait le plus mal.
Finalement, les refus du Dunkin Donuts, du McDo, du Burger King, du Canadian Tire, du Woolworth, de l’animalerie Sonia et du restaurant Won-Ton m’ont fait tout aussi mal. Les expériences de travail de mon CV n’étaient pas si pertinentes selon les patrons. Surprenant non ? Pas même mon bénévolat. Comment voulez-vous acquérir de l’expérience si on ne vous donne jamais de chance ? Je me sentais comme le chien Le Vagabond, rejeté de tous.
Mais heureusement, comme on dit dans le jargon du travail, j’ai eu une plogue. J’ai abouti à la vente d’objets de poterie à la Poterie de Port-au-Persil, mon village natal dans Charlevoix. Esther, la proprio, connaissait ma famille. Ben en fait, dans le coin, on se connaît tous. C’est bizarre à dire, mais ma référence, c’était ma grand-mère. C’est elle qu’Esther a appelée pour être certaine que je n’étais pas un voleur de poteries artisanales qui se consacrait à un trafic international de jarres à bonbons en terre cuite. Et j’ai eu le travail.
J’ai passé tout mon été à expliquer les techniques des artisans potiers aux touristes. Je savais tout par cœur. Je répondais en français, en anglais et par signes aux autres langues. J’emballais mes ventes minutieusement dans de la vieille gazette pour ne pas que ça pète en mille morceaux dans l’avion. J’époussetais chaque matin mes tablettes parce qu’un stationnement en terre, ça cochonne vite ton magasin quand la porte reste ouverte toute la journée. Je tenais mon inventaire à jour. Je portais même un tablier tissé au métier parce que ça me donnait un air encore plus campagne qui plaisait beaucoup aux vieux Français. Ça moussait mes ventes. Bref, j’avais pris ce boulot très au sérieux.
C’est cet été-là que j’ai compris que je devenais un peu, un adulte. Je découvrais le pouvoir d’avoir son propre argent et que le dépenser un peu n’importe comment, ça faisait un peu plus mal parce que c’est moi qui l’avais gagné. J’avais des responsabilités plus exigeantes que de surveiller ma cousine pour ne pas qu’elle mange la tête de sa Barbie quand je la gardais. J’étais encore un ado, mais un ado qui était en train de forger sa personnalité en dehors du nid familial, des amis et de l’école. Je découvrais mes forces et aussi mes faiblesses. Même si j’étais le seul vendeur de la boutique, j’étais le meilleur vendeur de la boutique. Je me trouvais assez hot !
Si vous engagez des jeunes cet été, pensez à ça. L’impact positif que vous pouvez avoir sur eux. La possibilité de leur ouvrir de nouveaux horizons et de leur permettre de se découvrir des talents qu’ils ne connaissaient pas. Découvrir qui ils sont. Mais méfiez-vous quand même de ceux qui se disent bénévoles dans leurs temps libres.