Début du contenu principal.
«Il est peut-être temps que la fougère change de main.»
«Chacun doit gérer sa fougère!» Telle est la déclaration choc de Geneviève Guilbeault concernant le transport collectif. D’ailleurs, elle a précisé sa déclaration en expliquant que «gérer le transport collectif et les sociétés de transport, ce n’est pas une mission de l’État».
Depuis hier, nombreux sont les intervenants qui se disent outrés de la déclaration de la ministre. C’est vrai qu’elle a de quoi choquer, que le ton est très direct et qu’elle semble se désengager de ce que l’on pensait être une mission importante pour l’État québécois, soit celle du transport collectif.
Cependant, ne soyons pas dupes! Mme Guilbeault est probablement la meilleure communicatrice de ce gouvernement et elle n’est pas du genre à faire ce type de déclaration sans comprendre sa portée. Là où certains dénoncent un désengagement ou une preuve du peu d’intérêt caquiste pour le transport en commun, il est important de saisir le positionnement de la ministre dans ce dossier.
Ce n’est pas la première fois que la ministre lance ce type de message. Les villes doivent prendre la responsabilité des déficits que leurs sociétés de transport engrangent. Déjà en 2022, l’Association du transport urbain du Québec (ATUQ) parlait d’un déficit qui pourrait atteindre 900 millions de dollars en 2027. Ces chiffres sont affolants et mettent le gouvernement devant une situation très difficile. Les villes font appel à lui pour couvrir ces déficits au nom de la contribution provinciale à la gestion du transport en commun.
Cependant, ces demandes se font dans un contexte où l’achalandage est encore loin des niveaux prépandémiques, et de surcroit, avec des sociétés de transport dont la gestion est totalement autonome. Il y a des conventions collectives, des modes de gestion, des structures et des choix sur lesquels le gouvernement n’a absolument aucune influence alors qu’on lui demande de couvrir la forte majorité des déficits de ces mêmes structures.
L’audit qui se terminera en septembre prochain permettra certainement à la ministre de répéter ce message de responsabilisation des sociétés de transport, mais elle ne pouvait pas laisser passer l’occasion d’en parler à l’étude des crédits.
Maintenant, une fois que l’on a provoqué la discussion et que la ministre a fait passer son message, la question qui suit est de savoir quelle est la solution à long terme. Dans les prochains mois, la ministre a l’intention de déposer un projet de loi afin de créer une agence sur le transport collectif qui aura la responsabilité de réaliser les projets de transport durant les prochaines années.
C’est une idée qui avait déjà été proposée par le parti Québec et son ministre des Transports en 2012, Sylvain Gaudreault. On a bon espoir au gouvernement qu’elle permette de faciliter la réalisation de projets de transport tels que le «REM de l’est» à Montréal, ou, qui sait, le projet de transport structurant à venir pour Québec.
Cette agence est créée pour s’occuper de la réalisation des projets de transport collectif, à moins que la «fougère» dont parle la ministre finisse par changer de main et que la gestion gagne aussi à être centralisée.
La question se pose et je pense que la ministre serait gagnante de faire le débat. D’un côté, la lutte aux changements climatiques nécessite la mise en place de meilleures structures de transport collectif dans notre province. Les investissements au programme québécois des infrastructures devront aller bien au-delà des 13 milliards actuels. D’un autre côté, une fois que ces infrastructures sont construites, il faut les gérer adéquatement et s’assurer qu’elles répondent aux besoins de la population. Est-ce que la division actuelle entre plusieurs agences locales ou régionales sert les intérêts de transport et de la population? Est-ce que l’on peut faire différemment ou même mieux? Est-ce que l’on ne devrait pas gérer le transport local, régional et provincial à un seul et même endroit? Ce sont toutes des questions qui méritent d’être posées.
La déclaration de la ministre a peut-être dérangé, mais elle est vraie. Actuellement, la gestion du transport collectif est décentralisée entre les mains de sociétés de transport qui sont toutes déficitaires. Combler les déficits sans remettre en question le modèle, c’est l’équivalent de ce qu’Einstein appelait la folie «faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent».
Il est peut-être temps que la fougère change de main.