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C’est brutal, glauque, sanglant, violent et chargé...
C’est brutal, glauque, sanglant, violent et chargé. Le film d’horreur The Substance est un coup de poing féministe au culte de la jeunesse et de la beauté. Qu’on aime ou pas, impossible de sortir indemne de cette satire mordante et cruelle. Cœurs sensibles s’abstenir.
Demi Moore signe son grand retour en incarnant Elizabeth Sparkle, une ancienne grande actrice recyclée en animatrice d’une émission d’aérobie matinale. Son producteur télé macho et sexiste (Dennis Quaid, prénommé ici Harvey — le lien est vite fait) lui fait comprendre qu’à 50 ans, il est temps qu’elle se taise et se tasse.
Trop vieille, trop fripée, trop moche.
Allez ouste!
Grâce à une mystérieuse substance commandée sur le marché noir, Elizabeth accédera à la cure de jeunesse dernier cri : la division cellulaire fera naître une deuxième version d’elle-même, plus jeune, plus ferme, plus lisse, plus belle. Au top quoi !
Cette version 2.0 s’appelle Sue (Margaret Qualley). Et lorsqu’elle prend vie, l’autre « s’endort ». Seul hic : même si elles ne forment qu’une, Elizabeth et Sue doivent alterner leurs vies, à coup de sept jours. Elles ne peuvent coexister. C’est chacune son tour. C’est la règle.
Disons que l’expérience va déraper solidement. Sue aime beaucoup sa vie parfaite de nymphette adulée, voyez-vous.
Pendant deux heures et vingt minutes, on assiste à la descente aux enfers d’Elizabeth. En gros plans. Litres de sang inclus. C’est gore, déjanté, violent.
Ça dérange, bouleverse et rend mal à l’aise — peut-être autant que les injonctions faites aux femmes pour ne pas vieillir et rester éternellement belles (dans le regard des hommes). Le film est aussi une allégorie brute et brutale de la haine que les femmes entretiennent envers elles-mêmes, une haine de soi internalisée, modulée par les diktats de la société.
Jusqu’où aller pour ne pas disparaître dans le regard de l’autre ? Pour ne pas prendre une ride ? Pour rester rayonnante, souriante, avenante, aimable, gentille ? Pour être convenable, rentrer dans le moule et incarner ce qu’on attend de nous ?
Ce n’est plus : sois belle et tais-toi. C’est : sois belle ou meurs. En ce sens, la fin du film, extrêmement décriée, est plus chargée de sens qu’il n’y paraît. (Je ne veux/ne peux rien dire sans que ça ne divulgâche la scène finale, ma foi, aussi graphique que pénible… et inoubliable).
C’est là le message de la scénariste et réalisatrice française Coralie Fargeat (qui a signé un autre film contenant des scènes de « rage féminine », Revenge) et elle nous le rentre au travers de la gorge comme un long couteau tranchant qu’elle nous pousse à avaler d’un coup.
Le corps de la femme tantôt magnifié, adoré, célébré jusqu’à en être objectivé et exploité (celui de Sue) est aussi décrié, détesté, caché, dénoncé, abusé, tué (celui d’Elizabeth).
Le malaise était palpable dans la salle. Je remarque qu’il y a beaucoup de femmes présentes, de tout âge. Je remarque aussi que je ne suis pas la seule à détourner le regard (je ne compte pas le nombre de fois où j’ai enfoui mon visage dans mon foulard ; même chose pour la personne qui m’accompagnait).
Lauréat du Prix du scénario du Festival de Cannes cette année, le film The Substance nous rentre dedans comme une thérapie foudroyante et crue, sans merci. Personne ne sera épargné.
J’en suis ressortie échevelée, les jambes flageolantes, le cœur au bord des lèvres — et depuis, ces images ne m’ont pas quitté. Son message non plus.
Je suis bien éveillée et réveillée.