Début du contenu principal.
«Si c’était comme avant, si les hommes géraient les affaires et si les femmes restaient à la maison, ça irait mieux.»
«Si c’était comme avant, si les hommes géraient les affaires et si les femmes restaient à la maison au lieu d’être sur le marché du travail, ça irait mieux. Et tu aurais le temps de tout faire ce que tu as à faire.»
Ces propos ne sont pas sortis d’un film des années 1950. Ils n’ont pas non plus été prononcés dans un pays lointain, rétrograde. Ils sont plutôt sortis de la bouche du fils de Stéphanie*, sans préavis.
Cette mère de famille, qui travaille dans le monde des finances et qui habite en Montérégie, est tombée en bas de sa chaise lorsqu’elle a entendu son fils de 16 ans s’exprimer ainsi.
«Je venais de mentionner que je manquais de temps pour tout faire, entre mon boulot et les tâches à faire à la maison et il m’a sorti ça, sans avertissement, raconte-t-elle. J’étais bouche bée !»
Elle confie qu’il a ajouté que «les femmes ont voulu prendre trop de place».
Choquée par son discours, Stéphanie avoue qu’elle a été prise de court. «J’ai été surprise, très surprise, lance-t-elle au bout du fil. Je n’en revenais pas. J’ai lâché un gros mot et je lui ai demandé où il avait pris ça…»
Stéphanie précise qu’elle a fait un baccalauréat, qu’elle est ouverte et bien informée. À 43 ans, elle a une belle vie professionnelle. Pour elle, les mots de son fils sont sortis de nulle part. «Oui, j’étais mal à l’aise, dit-elle. J’ai trouvé ça intense. C’est tellement fort, comme propos ! Je me suis dit : “OK, on a un problème, un gros problème”.»
Tout au long de notre conversation téléphonique, je sens le désarroi de la mère. Elle est désemparée. Et stressée par la situation.
Au fil de ses échanges avec son garçon, elle comprend que son discours est tiré (et inspiré) de ce qu’il voit et entend sur les réseaux sociaux. Est-ce qu’il est abonné aux comptes de certains masculinistes ? Elle me confirme que oui.
«Je n’en reviens pas que mon fils en soit rendu là dans son raisonnement et que son opinion soit à ce point arrêtée. C’est un reality check pour moi !»
Est-ce que Stéphanie est un cas à part ? Bien sûr que non. La montée de la droite, aux États-Unis, en France et chez nous, ramène une vague de valeurs conservatrices qui donnent la chair de poule. Plusieurs droits acquis par les femmes ces dernières décennies sont remis en cause, qu’on pense simplement à l’avortement.
Pas plus tard qu’au début du mois, à Québec, des centaines de militants pro-vie ont tenu une manifestation. Certains d’entre eux ont exprimé publiquement que même en cas de viol, l’avortement est un «geste de violence envers le bébé» (rectification au sujet du terme « bébé » : la littérature scientifique utilise le terme «embryon» avant huit ou dix semaines puis le mot «fœtus»).
Chez nos voisins du Sud, des livres jeunesse sont bannis parce qu’ils évoquent le transgenrisme. Les informations sur les menstruations ne sont plus relayées à l’école primaire. On se croirait en pleine dystopie !
Ce ne sont là que quelques exemples de ce qui se passe. Et je dirais même, de ce qui nous passe sous le nez.
Je ne compte plus les membres du personnel scolaire qui m’ont parlé de ce qu’ils entendent dans les corridors d’écoles : des propos sexistes, voire misogynes, envers les filles. Des remarques désobligeantes, arriérées, obscures, parfois carrément violentes. En réaction, des filles se referment (sommes-nous surpris ?). Elles deviennent imperméables aux approches des garçons, même les plus gentils, attentionnés et ouverts.
Et l’influence de la porno ? Je n’en parle même pas, tellement elle est accessible à tous, tout le temps, n’importe où. Cela vient aussi brouiller les perceptions. Bonjour la confusion dans la sexualité de nos jeunes. Entre ce qui est « normal » ou « attendu » et ce qui est sain et consentant, beaucoup d’adolescents et de jeunes adultes ne savent plus trop vers qui se tourner.
Les relations gars-filles sont plongées dans la tourmente. Et on en parle trop peu.
Comment ça se passe chez vous ? Le savez-vous ?
Stéphanie, en tout cas, est en pleine enquête. Elle cherche à mieux comprendre pour mieux intervenir auprès de son fils… et mieux sensibiliser.
«On ne pense pas qu’ils peuvent penser de cette façon, étant donné qu’on ne leur a pas donné cet exemple et qu’on ne les a pas élevés de cette manière, dit-elle. Mais on dirait bien que notre façon de les élever peut prendre le bord quand ils vieillissent. Parfois, une bonne mise au point est nécessaire.»
*Stéphanie a témoigné sous le couvert de l’anonymat afin de protéger l’identité de son garçon et de sa famille.