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Le locataire n’est pas qu’une colonne de chiffres à optimiser, c’est aussi une famille qui se loge. Un propriétaire n’est pas qu’une corporation, c’est parfois une petite famille qui s’endette jusqu’au cou pour se faire une place en ce monde.
On fait grand bruit de l’augmentation de loyer qui attend les locataires en 2023. Pour un logement non chauffé, le Tribunal administratif du logement (TAL) estime qu’un locataire doit s’attendre à un ajustement de base moyen de 2,3 %.
Le prix élevé des logements conjugué au niveau d’inflation de la dernière année générera beaucoup de discussions. Il faut analyser le calcul proposé par le TAL pour en comprendre les bases avant de contester une éventuelle hausse devant celui-ci.
Le problème de l’estimation du TAL, c’est qu’elle crée un biais d’ancrage dans la tête du locataire et du propriétaire: une mauvaise gestion des attentes. L’estimation du TAL est une moyenne basée sur des hypothèses. Mais soyons honnêtes, si le propriétaire a refait le toit et a changé les armoires de cuisine en 2022, le calcul sera différent. Le locataire ne peut pas brandir l’estimation moyenne de 2,3 % du Tribunal comme un pourcentage d’augmentation universel.
L’estimation moyenne d’ajustement de base est calculée à partir des proportions observées dans 2 579 calculs effectués par le Tribunal en 2021 et 2022. Source: TAL
Pour illustrer les particularités du calcul du TAL, on utilise le cas de figure suivant:
1) Impossibilité d’amortir le choc
Si une augmentation des coûts annuels survient, le propriétaire doit exercer son droit de refiler la facture à la première occasion à son locataire. Pourquoi ? Parce qu’il ne peut pas dire au locataire « je te donne une chance cette année, mais je t’augmenterai plus l’année prochaine ». S’il veut augmenter le prix d’un logement, il doit le faire dès que possible selon la logique mathématique du calcul du TAL.
2) Hausse en fonction du prix des logements : un locataire subventionne l’autre
L’outil de calcul 2023 du TAL a comme biais de baser les hausses de loyer non pas sur la valeur marchande du logement, mais sur le prix actuel du loyer. Pour les défenseurs des droits des locataires, le calcul est logique, mais laissez-moi vous présenter une incohérence pour l’équité entre locataires d’un même immeuble.
Disons que deux locataires de notre cas habitent deux logements identiques. L’écart de prix de 500 $ par mois existe pour des raisons historiques. Dans le calcul du TAL, on répartit les hausses annuelles non pas en fonction de la portion des coûts de l’immeuble attribuables réellement à chaque logement, mais plutôt en fonction de ces mêmes coûts au prorata du revenu du loyer visé sur l’ensemble des revenus loyers de l’immeuble.
Dans notre cas de duplex, le locataire qui paye 1500 $ par mois se verra attribuer plus d’augmentation en dollars. Ce qui ne fait que gonfler annuellement l’écart de prix entre deux logements identiques. Un locataire subventionne implicitement l’autre. Selon le calcul du TAL, la hausse de chaque logement est de 3,14 %.
Le logement de 1500 $ pourrait être augmenté de 47 $ et celui de 1000 $ de 31 $.
3) Les travaux majeurs pénalisent le propriétaire
Disons que le propriétaire dépense 100 000 $ sur l’immeuble pour refaire le toit, les fenêtres, les balcons et de la maçonnerie. Cela permettrait de hausser les loyers dans les proportions suivantes si on isole la portion des travaux majeurs:
Loyer de 1000 $: 127 $ (158 $ moins les 31 $ de hausse de base).
Loyer de 1500 $: 190 $ (237 $ moins 47 $ de hausse de base)
Donc, le propriétaire avec 100 000 $ en travaux peut négocier 317 $ de plus par mois de ses locataires ou 3 804 $ par année…
Faites le calcul, le délai de récupération du capital serait alors de 26,3 ans (sans compter le coût de financement ni la valeur de l’argent dans le temps).
Peu importe la position que l’on a dans cette observation, le locataire au loyer le moins élevé se voit moins pénalisé par la hausse pour des travaux dont il bénéficie pourtant à parts égales avec l’autre locataire de l’immeuble.
À la lueur de ce calcul, on n’est pas surpris que des logements ne soient pas décemment entretenus.
Voici les détails du calcul:
4) Le coût de financement : une stabilité pour le locataire
Que l’immeuble soit payé ou non, l’augmentation soudaine du coût de financement n’affecte pas le calcul de hausse des loyers. Par exemple, si le propriétaire d’un duplex subit une hausse de 4 % des taux d’intérêt parce qu’il a signé un prêt variable ou qu’il est en renégociation au terme de son contrat de prêt, cela n’affecte en rien le calcul du TAL. Pourtant, un propriétaire contractant un prêt hypothécaire de 500 000 $ ne pourra pas refiler l’augmentation de son coût de financement : c’est le risque qui appartient au propriétaire par son choix d’investissement et sa façon de se financer.
La hausse du taux d’intérêt de 4 % augmente de 1053 $ par mois le paiement mensuel du propriétaire sans pouvoir refiler cette facture aux locataires. Évidemment, cette dépense d’intérêt supplémentaire est déductible des revenus de loyer.
Le but de ce texte n’est pas de semer la polémique ou de prendre le bord de qui que ce soit dans le débat. Le but est de souligner la logique mathématique derrière les calculs du TAL et d’éviter qu’une incompréhension de ce que le calcul génère des contestations que l’on pourrait éviter.
Particulièrement en 2023, le locataire doit s’attendre à payer plus qu’une hausse de 10 $ ou 15 $ mensuellement. Avant d’aller engorger le TAL avec une contestation, dites-vous que le régisseur utilisera la grille de calcul et demandera une copie des pièces justificatives. Si vous avez déjà ces informations en main, que gagnerez-vous réellement à contester la hausse ?
Évidemment, c’est le propriétaire qui profite de l’effet de levier de voir un immeuble de grande valeur se faire payer par les loyers qu’il collecte mensuellement. La hausse de valeur des deux dernières décennies grâce à la chute des taux d’intérêt a bien servi les propriétaires. Maintenant que le taux directeur a dépassé le seul de la neutralité, que le risque de coût de financement augmente et que l’inflation frappe tout le monde, la vie économique est chambardée.
Les locataires et les propriétaires ont une relation d’affaires, mais ce sont aussi des partenaires de mode de vie. Le locataire n’est pas qu’une colonne de chiffres à optimiser, c’est aussi une famille qui se loge. Un propriétaire n’est pas qu’une corporation, c’est parfois une petite famille qui s’endette jusqu’au cou pour se faire une place en ce monde. Une discussion transparente, honnête et raisonnable entre les deux parties me semble toujours la meilleure option. Si un propriétaire n’est pas une brute sans cœur, le locataire n’est pas une porte non plus.
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