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Le prestige du travail au centre-ville est mort. [...] Pourquoi s’endetter à vie pour vivre et travailler dans un espace restreint où le pied carré coûte la peau des fesses? Pourquoi s’éloigner de la nature au lieu d’avoir les deux pieds dedans?
Le prestige du travail au centre-ville est mort. Mort comme l’amour d’un vieux couple demeuré uni pour les apparences, les habitudes ou sans jamais se demander pourquoi cette cohabitation existait.
Ce matin, je marchais dans «la ville souterraine» que j’ai tant côtoyée, j’en connais les moindres racoins. Cette ville si prisée par les clichés touristiques est pour l’instant éteinte. Même les locaux commerciaux du centre-ville sont délaissés.
À la gare Centrale, la foire alimentaire n’est plus l’ombre d’elle-même. Certains matins, dans les anciens secteurs prisés du centre-ville de Montréal, on se croirait dans une scène du film Vanilla Sky : un Time Square abandonné où l’on ne sait plus vraiment si l’on rêve ou pas.
On ne se demande plus si on va avoir une place dans le prochain wagon de métro trop bondé, on n’est même plus surpris de s’y asseoir à l’heure de pointe : les passagers ne s’y entassent plus autant comme du bétail. Le centre-ville a changé.
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En 2000, j’ai été engagé chez une firme comptable de renommée mondiale au 24e étage de la Place Ville-Marie, à l’époque où la valorisation sociale passait par sa position dans un immeuble et par le prestige de l’environnement de travail. On acceptait une paie à l’heure bien modeste et on remerciait le ciel d’avoir «une job».
Je montais les étages dans un ascenseur pour longer des bureaux prestigieux. La vue sur le Mont-Royal ou le fleuve était le symbole ultime de la réussite corporative. La prémisse était simple : dis-moi où est ton bureau, je te dirai qui tu es. Le prestige était proportionnel au numéro de l’étage affiché par le monte-charge à bétail.
Tous les matins, je prenais le monte-charge, au bureau ou chez des clients. Je cédais une partie de ma vie au bénéfice de quelqu’un d’autre. Le monde corporatif est simple : on aspire à améliorer sa position dans l’organisation pour faire ses apprentissages et exploiter éventuellement le travail d’autrui. C’est chacun son tour et chacun pour soi, le tout enveloppé dans un message corporatif complètement opposé «d’équipe», de «qualité des gens» et de «bonnes valeurs corporatives».
Pourtant, dans mon appartement de la rue Frontenac, j’étais bien loin de vivre dans la même équipe économique que le «collègue» à L’Île-des-Sœurs.
Le centre-ville était promesse de prestige, de succès et de sentiment d’accomplissement. La pandémie a fait une radiation totale de cette perception. Comment valoriser un bureau en coin dans un univers en télétravail ? Le vice-président dans sa tour ou son sous-sol se sent comme l’influenceur sans abonnés. Comme un joueur du CH devant un Centre Bell vide : ça perd de son sens. Maslow capote dans les étages supérieurs de sa pyramide.
On aborde 2023 avec une vision complètement différente d’il y a quelques années. La tempête parfaite a tout effacé : hausse des taux d’intérêt, pénurie de main-d’œuvre, évolution technologique et vie «postpandémie» etc.
Pourquoi s’endetter à vie pour vivre et travailler dans un espace restreint où le pied carré coûte la peau des fesses ? Pourquoi s’éloigner de la nature au lieu d’avoir les deux pieds dedans ? Pourquoi vouloir aspirer au regard des «autres en mode absent ?»
Voilà. Le centre-ville ne sera plus jamais le même. Les tours à condos ont beau avoir poussé comme des champignons, le télétravailleur avec son internet à fibre optique est crampé raide dans sa maison non loin de Sainte-Béatrix. Il a changé, le centre-ville aussi. Il n’en veut plus, plus jamais.
Après deux ans dans la nature, il réalise que l’écureuil n’en a rien à foutre du prestige, qu’Hugo Boss n’a aucune valeur à Sainte-Marcelline-de-Kildare et que le mijoté à l’Instant pot est pas mal moins cher que le dîner au steak frites molles à 90 $. Sur l’heure du midi, le villégiateur permanent se baigne dans un vrai lac et entend les vrais oiseaux. Pas besoin de payer 300 $ dans un faux spa nature ou de s’abonner à une application de méditation pleine conscience.
Maintenant, en plein choc démographique, on voudrait le forcer à retourner dans sa voiture, se taper deux ou trois heures de perte de vie par jour ? Le travailleur en veut-il encore ? La réponse est variable d’un individu à l’autre. La gloire du centre-ville a flétri, l’idylle d’autrefois est morte. On a beau y avoir planté un Anneau de Sauron à 5 millions de dollars, le télétravailleur est bien loin de son champ d’attraction.
On a vu des proches partir, on a vu la vie passer. On sait qu’on va tous crever, mais se crever à la tâche, c’est terminé. On va vivre loin, mais mieux. On va vivre peu et pleinement. Le centre-ville est victime de l’arbitrage géographique : il n’a plus le monopole de la bonne rémunération. Il a perdu sa valeur universelle d’autrefois : comme une ancienne vedette rock sur le déclin en supplémentaire au Bar Chez Maurice.
Alors, augmentez les taxes, augmentez les taux, investissez comme vous voulez dans des activités «structurantes ou culturelles». Le centre-ville d’autrefois est au tapis. Shayne Corson ou Kyle Chipchura ne diraient plus : it is just like old times. Le centre-ville effervescent est présentement en jachère ou en préretraite.
Bien assis dans son spa avec le regard sur la vallée, le télétravailleur a changé ses priorités. Du 24e étage de Place-Ville-Marie à Chertsey, il s’est choisi.