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La juge Ketanji Brown Jackson pourrait devenir la première femme afro-américaine à siéger au plus haut tribunal des États-Unis, la Cour suprême.
Le moment est historique : la juge Ketanji Brown Jackson pourrait devenir la première femme afro-américaine à siéger au plus haut tribunal des États-Unis, la Cour suprême.
Joe Biden en avait fait la promesse lors de débats présidentiels l’opposant à Donald Trump en 2020. Un peu comme il l’a fait pour son cabinet, la promesse était la suivante : les institutions doivent représenter l’Amérique actuelle et il y aura une femme noire à la Cour suprême si une position devient vacante. Parce que l’Amérique représentée par la Cour suprême depuis 1789 est très masculine et surtout très blanche (108 sur 115 des juges étaient ou sont des hommes blancs). L’annonce du départ à la retraite du juge Stephen Breyer a ouvert la porte à cette opportunité.
Diplômée d’Harvard et récemment nommée à la prestigieuse Cour d’appel de Washington DC., la juge Jackson est, sur papier, hautement qualifiée pour ce poste qui est le Saint Graal de l’univers judiciaire. Je précise sur papier, parce qu’au-delà de son C.V., c’est l’ensemble de sa vie qui est sous la loupe du comité judiciaire du Sénat qui doit évaluer sa nomination avant de passer au vote. De ses fréquentations à l’université, à toutes les actions qu’elle a dû prendre durant sa carrière de juriste, autant comme juge que lorsqu’elle était avocate à l’aide juridique.
Le processus de nomination des juges à la Cour suprême des États-Unis est à la fois unique et fascinant. Il s’étale sur plusieurs journées, lors d’audiences diffusées en direct à la télévision, et le questionnement de la candidate peut durer une douzaine d’heures.
Mais ce qui me surprend à chaque fois, après avoir regardé attentivement les quatre derniers marathons de confirmations à avoir lieu depuis 2016, c’est que ce sont les sénateurs membres du comité judiciaire qui sont mis en valeur. De son côté, la personne qui est questionnée doit répondre lors de plusieurs épisodes de haute voltige.
Autant chez les républicains que les démocrates, le temps de parole alloué à chacun est une occasion de faire valoir leurs priorités, leur message aux électeurs. L’exercice est aussi la preuve que leur idée est bien souvent faite avant même qu’un seul son sorte de la bouche de la principale intéressée.
Les audiences des juges Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, tous deux nommés par Donald Trump, se sont fait dans la division la plus totale. Dans le premier cas, les sénateurs se sont surtout intéressés à des allégations très graves d’agressions sexuelles datant de son époque universitaire. Le processus de nomination a été suivi par des millions de personnes et s’est transformé pendant plusieurs jours en ce qui semblait être une cour de justice. Malgré un témoignage très crédible de la victime alléguée, la nomination de Kavanaugh a été de l’avant, avec un vote serré de 50-48.
Photo: Les juges Coney Barrett (à gauche) et Brett Kavanaugh au Capitole, en mars 2022. Crédit: Scott Applewhite | The Associated Press
Pour Coney Barrett, la troisième nomination de Donald Trump dans son mandat comme président, l’accent était plutôt sur les limites de son conservatisme comme juge pour des enjeux sociaux comme l’avortement et le mariage entre personnes de même sexe qui est toujours dans la balance même des années après l’avoir légalisé. D’autant plus qu’elle était nommée dans la hâte, après le décès soudain de l’icône qu’était Ruth Bader Ginsburg pour les progressistes américains.
Rappelons aussi que nous étions à quelques semaines d’une élection présidentielle et que par le passé les républicains avaient bloqué le processus de nomination d’un juge par Barack Obama dans un contexte très similaire (ironie, quand tu nous tiens).
Cette nomination a eu un impact déterminant sur la Cour qui est composée de 9 juges et qui passait à un total de 6 juges considérés comme conservateurs contre 3 progressistes seulement. La question de la loi contre l’avortement au Texas qui est toujours en place est un exemple parmi plusieurs autres de l’impact d’une cour conservatrice sur la société américaine .
Dans le cas qui nous intéresse, l’agenda des républicains est tout sauf subtil : démontrer que Brown Jackson ne peut être objective, qu’elle est trop progressiste et ne devrait simplement pas avoir sa place à la Cour. Parmi les critiques, son passé d’avocate à l’aide juridique où elle a dû défendre des détenus de la prison de Guantanamo accusés de terrorisme.
Elle aurait aussi donné des sentences trop clémentes dans des cas associés à de la pornographie juvénile. Bref, elle est présentée par la moitié des sénateurs comme une juge qui sera trop faible face aux criminels et qui ne serait rien de moins qu’une marionnette des socialistes.
Malgré les critiques d’un côté et les éloges de l’autre, sa nomination devrait être officialisée ce printemps comme les démocrates ont la (mince) majorité. Dans un monde idéal, des sénateurs républicains voteraient également en faveur de sa candidature.
Dans l’univers politique extrêmement polarisé, c’est possible, mais pour un nombre très faible d’entre eux. Nous sommes bien loin de l’époque de la nomination de la juge Bader Ginsburg en 1993 qui avait été facilement confirmée (96-3) malgré son clair penchant progressiste ou encore du juge Breyer l’année suivante (87-9).
Ce serait un vœu pieux de penser que nous retrouverons cette bipartisanerie. Même chose de penser que sa nomination changera quelque chose dans le court terme comme elle remplacera un autre juge progressiste. La balance restera à majorité conservatrice jusqu’à ce qu’un juge prenne sa retraite ou décède. Parce oui, une nomination à la Cour suprême, c’est pour la vie.