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Cher MBC,
Tu permets que je t’appelle MBC ? Sinon Mathieu. C’est la première fois que je m’adresse à toi directement et je ne sais pas trop par où commencer.
En premier, j’ai pensé te dire que ta chronique qui adressait la «disparition» des Québécois au dépend de l’immigration m’avait titillé un brin pour reprendre les mots de mon grognon de patron. Mais pas pour les raisons que tu pourrais croire. Tu vois, j’écris en français, j’ai étudié dans le système francophone (du primaire à l’université, toujours en français) pour finalement écrire et travailler dans les deux langues. Je suis une journaliste culturelle qui écrit en anglais pour faire connaître la culture québécoise et la musique québécoise aux anglophones. Tout un amalgame non ? Et ceci pour créer des ponts entre nos deux «solitudes» !
La culture québécoise que je couvre depuis maintenant plus d’un an est foisonnante que jamais. Je la trouve belle. Elle ambitionne (avec raison) de s’exporter, elle y réussit et elle rêve d’aller plus loin et de se dépasser. Et elle adopte une magnifique couleur. Je voulais justement causer de cette couleur avec toi. Là où tu vois une disparition, moi je vois des gens qui veulent faire vivre cette culture.
J’ai envie de te parler de Chloé Savoie-Bernard, une jeune Québécoise d’origine haïtienne qui a été finaliste au prix du Gouverneur général. Son dernier recueil de poésie est inspirant. Il illustre cette capacité à utiliser la langue française comme un instrument de musique.
Laisse-moi te faire découvrir Gayance, une talentueuse DJ de Montréal-Nord. Gayance est sollicitée de par le monde entier, un monde qui danse au rythme de ses compositions. Elle est aussi une militante antiraciste active à Montréal.
Connais-tu Kaytranada, Connaisseur Ticaso, Béatrice Deer, Skiifall, Pierre Kwenders, Clerel, Dominique Fils-Aimé ? Ils se démarquent tous à l’international et sont tous originaires du Québec. Je te l’accorde, certains chantent et se produisent en anglais, mais ils sont tous heureux, sans exception, d’appartenir à notre beau coin de pays et de se dire Québécois.
On nous enseigne Dany Laferrière et Wajdi Mouawad au secondaire et au cégep dans les cours de Littérature québécoise. On rit des «jokesv» de Mehdi Bousaidan et d’Adib Alkhalidey. On aime le rap de Sarahmée et de Maky Lavender, on chante les refrains des chansons de Karim Ouellet. Et on regarde les films de Kim Nguyen avec fierté.
Ils sont nombreux à vouloir contribuer à la culture d’ici. Ils sont si nombreux à vouloir y mettre leur couleur. Et ils réussissent à percer sur les scènes locales et internationales sans se compromettre. Ils ne sont pas les premiers, ils ne seront pas les derniers. Parce que tu vois, MBC, NOUS avons toujours été là.
Les années 90 sont peuplées de beaux exemples de cette culture colorée. Tu te rappelles des Colocs ? Il n’y a pas plus Québécois qu’eux. Regarde, je connais les paroles des chansons presque par cœur. Et les Colocs, c’est aussi l’influence des frères Diouf. La musique métissée est un témoignage de la beauté de la culture québécoise.
Parce que tu vois, MBC, contrairement à ce que tu sembles croire, le Québec ne disparaît pas. Il se réinvente. Il épouse les cultures d’ailleurs et les fait siennes. Il est adopté par les autres pour son terreau fertile de créativité, par un désir d’appartenance à ce petit coin de pays. Le Québec nous pousse à nous dépasser. C’est pour cela qu’on l’adopte. Surtout, c’est pour cela que mes parents l’ont adopté. Moi aussi je suis issue de l’immigration comme tous les artistes que je te nomme. Et ma culture métissée est férocement québécoise.
La culture québécoise que je vis, elle est colorée, douce, et surtout rassembleuse. La tienne semble blanche et poussiéreuse. Et crois-moi, je pense qu’elle a besoin d’un bon dépoussiérage. Tu n’aimerais pas voir les couleurs en dessous de cette poussière qui la recouvre ? Tu serais peut-être surpris de constater que d’autres aussi adoptent ton projet de pays.
Je dis ça, je ne dis rien, mais si tu te rappelles bien, Loco Locass avait un membre, Chafiik (Mathieu Farhoud-Dionne, fils de la romancière québéco-libanaise Abla Farhoud), qui lui aussi était issu en partie de l’immigration. Et il me semble bien qu’il chantait le rêve d’un pays, le même rêve que tu as.