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«Dans les projets proposés par monsieur Dubé, il y a deux grandes chaînes de pièces de dominos. Celle des infirmières et celle des médecins.»
D’abord l’ambition. Dans un précédent article sur ce site, j’expliquais que le pire risque qui guettait le ministre de la Santé était de soumettre des solutions qui ne soient pas dimensionnées à la hauteur de l’énorme problème d’accès au réseau santé québécois.
Rappelons que nous avons une des pires performances des pays de l’OCDE en matière de temps d’attente aux urgences et d’accès à un médecin de famille. La réforme doit être en adéquation avec l’immensité de ce problème. Souvent, les gouvernements moussent des solutions mineures pour faire face à des problèmes majeurs parce qu’ils n’ont pas le courage, le budget ou la vision pour chercher de vraies solutions d’envergure.
Avec un projet qui touche à toutes les dimensions de l’accès à la santé et un budget de plus de 5 milliards, il faut reconnaître que le ministre évite ce piège. Nous ne savons pas à quel rythme sera déployée la réforme et nous ne savons pas si les budgets seront au rendez-vous dans la durée. Mais on peut dire qu’au niveau des intentions, le ministre livre des solutions à la hauteur des problèmes que nous vivons. Déjà c’est un excellent premier point.
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Toutefois, Christian Dubé nous livre un projet de réforme risqué. Il nous propose des solutions qui en soi ne semblent pas suffisantes, mais qui s’imbriquent les unes dans les autres. Un peu comme un jeu où la chute d’une pièce de domino en fait tomber un autre qui en fait tomber une troisième et ainsi de suite. Il suffit que deux pièces soient trop éloignées l’une de l’autre pour que l’effet final ne soit pas atteint.
Dans les projets proposés par monsieur Dubé, il y a deux grandes chaînes de pièces de dominos. Celle des infirmières et celle des médecins.
Pour les infirmières, le ministre veut d’abord en embaucher plus de mille. Il faut qu’il le fasse de façon rapide et massive pour ne pas que leur travail soit simplement absorbé par une croissance normale du système.
S’il réussit, il aura des infirmières en banque pour combler les absences et ainsi mettre fin au travail supplémentaire obligatoire. Sans travail supplémentaire obligatoire, le système perdra moins d’infirmières, ce qui permettra d’ouvrir plus de lits.
Il y aurait deux mille lits dans les hôpitaux québécois qui ne sont pas utilisés parce qu’il manque d’infirmières. En ouvrant ces lits, on retire de la pression sur les urgences — un endroit où le temps supplémentaire obligatoire (TSO) est courant. Donc, plus d’infirmières, moins de temps supplémentaire, plus de rétention, plus de lits, moins de pression aux urgences.
La deuxième chaîne de pièces de dominos est celle des médecins. Nos médecins sont payés au moins deux fois plus que ceux de la plupart des pays de l’OCDE. Mais en échange de quoi, nous en avons très peu par habitant. L’objectif est donc de les faire travailler plus, mais uniquement dans les domaines où ils sont vraiment nécessaires.
Pour y arriver, le ministre espère d’abord proposer un système d’appels téléphoniques (ou l’interface WEB) permettant de filtrer les appels et de les canaliser le plus possible vers des solutions qui n’impliquent pas un médecin.
Par exemple un pharmacien pour renouveler une ordonnance, une psychologue, une travailleuse sociale, un infirmier ambulancier. etc. On veut aussi envoyer le plus de patients possibles vers le privé (pour les petites opérations répétitives comme la cataracte ou les opérations au genou ou à la hanche).
Finalement, on veut mesurer la performance des médecins et des groupes de médecins en les obligeant à prendre plus de cas orphelins. En interceptant le maximum de demandes avant qu’elles ne se rendent aux urgences, on espère libérer des médecins pour travailler auprès des patients qui occuperont les deux milles nouveaux lits. De plus, on veut ouvrir un autre 2000 lits supplémentaires en construisant des hôpitaux supplémentaires (à Montréal, Vaudreuil, Gatineau, La Malbaie, Mirabel).
Voilà. Il faut que toutes les pièces tombent en place pour que ça fonctionne. Ce n’est pas impossible. Dans les grands systèmes, il n’y a pas de juste milieu. Ce qui va mal dans un segment de la chaîne entraîne rapidement des congestions et des bris de services dans les autres segments. Inversement, lorsqu’on arrive à rétablir l’équilibre — par exemple au début de la chaîne — cela entraîne une amélioration tout au long de celle-ci.
Bien des gens ont des doutes sur le succès envisagé. Ils ont peur que le service téléphonique ne soit pas à la hauteur (par exemple pour les personnes âgées ou les personnes qui souffrent de maladies chroniques ou les aidant aux prises avec des proches qui souffrent de maladies mentales). Il est possible que ces clientèles préfèrent voir une personne en chair et en os et se précipitent aux urgences.
D’autres intervenants pensent que le délai de trois à cinq ans exigé par monsieur Dubé est beaucoup trop long pour que les synergies positives s’enclenchent les unes aux autres. D’autres enfin pensent que les infirmières et les médecins ne joueront pas le jeu et que les pénuries seront toujours aussi élevées.
Ça reste à voir. Mais le cumul des solutions proposées et l’ambition du projet de départ me semblent être des conditions de succès — pas suffisantes, mais du moins initiales.