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La marge de manœuvre des familles est limitée, voire nulle.
Si la période des Fêtes creuse un trou dans le budget des Québécois, la rentrée scolaire est aussi un moment de grandes dépenses pour de nombreuses familles. Et ce n’est pas le montant de 121 $, une somme octroyée par le gouvernement, qui calme leurs angoisses.
Chaque mois d’août, c’est la même chose. Marie-Pierre, mère de trois enfants, sent une boule d’anxiété lui monter dans le ventre.
«J’appelle ça mon mou d’août», confie cette éducatrice en garderie, en faisant référence aux nœuds qu’elle ressent physiquement. «On doit se serrer la ceinture pour réussir à joindre les deux bouts.»
La Lavalloise de 40 ans n’est pas la seule dans sa situation: 13% des enfants du Québec vivent dans une situation de pauvreté (Statistiques Canada, 2020). Le revenu viable (soit celui pour vivre décemment en 2024, tel que défini par l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques) est de 82 000$ à Montréal pour une famille de deux adultes et deux enfants.
Avec l’inflation et la montée vertigineuse des prix, que ce soit pour le logement, l’essence, l’épicerie et le matériel scolaire, la marge de manœuvre des familles est limitée, voire nulle.
Le retour en classe compresse au maximum le budget des familles : la somme totale déboursée pour les articles scolaires d’un enfant du primaire frôle les 150$ à Montréal, selon l’organisme Regroupement partage. Ce montant est près de 40% plus élevé qu’il y a cinq ans!
Marie-Pierre, comme plusieurs autres parents, déploie un éventail de stratégies pour économiser: des achats en gros, du magasinage tout au long de l’année pour attraper les aubaines, la lecture consciencieuse des circulaires, le recyclage, la réparation et la réutilisation des fournitures, les échanges avec d’autres familles, la consultation de sites de partage et d’entraide (sur Facebook par exemple), la visite de comptoirs familiaux et d’organismes communautaires, etc.
Bien sûr, on peut multiplier les conseils et les astuces pour économiser. Je trouve que les familles font preuve de débrouillarde et ingéniosité. Elles font, il me semble, leur bout de chemin. Mais, en contrepartie, elles doivent couper ailleurs : plusieurs doivent sabrer dans le poste des dépenses variables, dont le plus important est celui de l’alimentation.
Ce dont on parle peu, c’est l’aide gouvernementale pour ces familles, qui est nettement insuffisante.
Un rappel: le Supplément pour achat de fournitures scolaires a été mis en place par le Parti libéral en 2017. Les familles ont reçu un premier chèque de 100$ à la rentrée 2018. Il a monté de quelques dollars chaque année pour atteindre 108$ en 2022, 115$ en 2023 et 121$ cette année.
L’inflation a quant à elle bondi: le coût de la vie a explosé. La subvention ne couvre plus les coûts de la rentrée — et c’est aux parents, encore eux, à éponger.
Pas de vacances, pas de camps de jour, pas de nouveaux vêtements pour la rentrée, aucune folie du côté de l’épicerie, de la pharmacie et des loisirs, des forfaits cellulaires et télé de base, des taux d’intérêt négociés serrés, des déplacements actifs et en transports en commun pour éviter l’utilisation de la voiture… Que reste-t-il à couper, Marie-Pierre?
Au bout de la ligne, un silence, un silence qui en dit long.
«C’est impossible que les trois enfants arrivent avec tout le matériel requis au jour 1 de la rentrée», glisse-t-elle. «On n’y arrivera pas. Une dernière option, c’est que moi ou mon conjoint, on se trouve une deuxième job.»
Ce qui fait le plus mal? Les trois mousses de Marie-Pierre, âgés de 8, 10 et 11 ans, aiment l’école et ils sont fébriles à l’idée d’aller «magasiner leur matériel». Mais cette année, il faudra dire non, beaucoup et souvent.
«Je me souviens de mes propres rentrées scolaires, j’aimais recouvrir mes livres, ouvrir mes boîtes de crayons, recevoir mes cahiers neufs, cocher la liste… Mes enfants ne vont pas vivre cela. On va faire les choses autrement. Mais on va quand même célébrer le retour en classe!» lance-t-elle, un sourire dans la voix.
Bonne rentrée, Marie-Pierre.
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