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«Le discours de rejet de l’État ne dépasse pas le 5 % de la droite marginale. Il est appelé à augmenter sensiblement dans les prochaines années.»
Tout le monde a constaté que le message des manifestants d’Ottawa a évolué entre les premières revendications et l’arrivée du convoi à Ottawa. D’abord un mouvement de manifestation des camionneurs contre l’obligation de quarantaine au retour des États-Unis, il est devenu un mouvement de rejet de l’État — de sa légitimité et surtout de sa capacité de contrôle et de coercition.
La liberté est devenue le cœur de la revendication et l’État son principal ennemi. Mais de quelle liberté s’agit-il ? Quel rapport entre l’obligation vaccinale et l’emprisonnement des oppositions en Biélorussie ? Dans la tête des manifestants, il n’y en a pas. Toute contrainte imposée par l’État est un abus et un leurre.
Les chroniques de Luc Ferrandez:
Pour décrier l’État, quoi de plus facile que de prétendre que ses actions sont incohérentes et dangereuses, que dans le fond l’État impose des règles par envie de contraindre et non pas pour arriver à des objectifs de santé publique. L’État est un ennemi qui n’agit que pour lui-même par envie du pouvoir ou par incompétence ou pour les deux.
Cette intention prêtée à l’État peut sembler risible et elle l’est. Les États ne s’amusent pas à inventer des pandémies, à financer des vaccins qui ne fonctionnent pas ou qui rendent les gens malades, à bloquer l’économie et à réduire ainsi leurs sources de revenus tout en faisant exploser leurs dépenses et leurs dettes.
La plupart des gens comprennent ça, n’est-ce pas ? Eh bien non, je pense au contraire que la capacité de comprendre dépend uniquement de la faiblesse des impacts. Pour les certains anti-vax, la moindre contrainte est déjà inacceptable. Mais pour le reste de la population, il n’est pas impossible que l’augmentation de la dose de contrainte amène au même refus.
Quand les prix de l’essence vont se mettre à augmenter suite à l’augmentation de la taxe carbone, combinée à l’inflation, je serais prêt à parier que c’est l’incompétence de l’État qui sera ciblée comme la principale source de nos problèmes. Pas la crise climatique ou l’inflation.
Ce qui m’inquiète, c’est que nous allons faire face à de multiples crises dans les années à venir : le climat, la pénurie de main-d’œuvre, l’inflation, le vieillissement de la population et la crise du logement. Or, toutes ces crises vont exiger de la part de l’état des lois et règlements contraignants.
Il suffira que le discours du refus de l’État soit expurgé de quelques caricatures et incohérences pour qu’il soit adopté à bras ouvert par une part de citoyens de plus en plus grande et de moins.
Depuis presque 20 ans, les États ont cajolé les électeurs. Ils n’ont pas eu à augmenter les taxes et les impôts, ils les ont même baissés dans plusieurs provinces. Pas de contraintes sur l’étalement urbain (en dehors de la CMM), pas de contraintes sur la taille des maisons, pas de contraintes sur la spéculation immobilière. Tant de gens se sont enrichis.
Cette période de croissance qui semblait éternelle est bel et bien finie. Dans les années qui viennent, nous allons faire face à un État fouettard. Un État qui, entre autres choses, imposera le carbone — donc pratiquement tous les produits que nous consommons — de l’essence aux matériaux de construction en passant par les voyages et les automobiles. Mais un État cherchera de nouveaux revenus pour prendre soin des personnes très âgées et qui peinera à trouver des employés dans de nombreux domaines.
Est-ce que la base de soutien de l’État va résister face à un discours qui s’imagine que toute ingérence de l’État est pire que les problèmes encourus s’il n’intervenait pas ?
En y réfléchissant froidement, la réponse est non. Comptez le nombre de chroniqueurs — qui sans soutenir les discours du « Convoi pour la liberté », en profitent tout de même pour signaler que la population est fatiguée des contraintes — comme si on pouvait les lever comme par magie. Comme si elles avaient trop duré. Comme si elles étaient imposées de façon incompétente par des dirigeants déconnectés. Ou comme si l’État pouvait toujours être sans faille.
Je ne crois pas que nous sommes prêts à soutenir un État imparfait, mais de bonne volonté. Un État aux prises avec des problèmes insolubles, mais tentant quand même de les résoudre. Un État nous imposant des taxes et des impôts, mais sans arriver complètement à résoudre tous les problèmes.
Le discours de rejet de l’État ne dépasse pas le 5 % de la droite marginale.
Il est appelé à augmenter sensiblement dans les prochaines années.