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«Je m’accroche à ces petits instants de grâce. Éphémères, mais précieux.»
Depuis quelques semaines, je travaille sur un fabuleux projet théâtral nommé La cage aux folles. Une belle aventure, avec des collègues hallucinants, que tu devrais venir voir au plus sacrant (ben oui, je me fais une plogue même pas subtile).
Mais avant d’en arriver à présenter ce spectacle devant public, il y a plein d’étapes à franchir et l’une de ces étapes, c’est d’apprendre son texte. Mémoriser chacun des mots et chacune des phrases que notre personnage aura à prononcer sur scène soir après soir. Dans mon cas, ce n’est pas le moment le plus festif du processus de création, mais il est nécessaire et crucial.
Je suis fasciné par la capacité de notre mémoire à mettre en banque toute cette partition de mots qui nous servira à chaque représentation. Des phrases qui ne nous appartiennent pas à la base, dans le sens qu’elles ne font pas partie de notre histoire et de notre vécu.
C’est de l’invention. De la fiction. Comme si notre cerveau ouvrait un faux dossier pour y déposer cette histoire qui n’est pas la nôtre. Ce dossier est là, prêt à servir, le temps que durent les shows. Comme dirait monsieur Tisseyre: «C’est fascinant!» Notre machine mentale est magique.
J’ai toujours eu de la facilité à mémoriser mes textes, que ce soit pour mes deux tournées en solo ou même notre émission «3X rien». Ça rentre bien, comme on dit dans le jargon du métier. Et ça n’a pas fait exception pour celui de La cage aux folles.
Et c’est là, un lundi matin ensoleillé, bien installé dans mon bureau à apprendre une scène, que le tout m’a frappé de plein de fouet. J’ai tout à coup repensé à ma mère dont la mémoire fuit de partout depuis plus de deux ans. Ça fuit n’importe comment, sans qu’elle puisse y faire quoi que soit.
Cette foutue maladie qui lui brasse les souvenirs comme une laveuse en plein essorage et qui nous les garroche pêle-mêle avec de moins de moins de chronologie. Comme un casse-tête qu’on aurait échappé par terre et dont tous les morceaux sont là, mais sens dessus dessous.
De temps en temps, ça se replace. Ça refait du sens. Le sens de notre histoire à nous. Ça dure un court, un moyen ou un long moment avant de repartir en vrille. Je m’accroche à ces petits instants de grâce. Éphémères, mais précieux.
Ce que je trouve étrange, c’est que, bien sûr, physiquement c’est toujours ma mère qui est devant moi. C’est sa voix, ses intonations et son rire, mais malheureusement, je n’ai plus vraiment accès à elle. Seulement par petits morceaux. Et ces petits morceaux de lucidité, on ne peut pas les prévoir. Ils arrivent quand ils arrivent, point.
On ne peut plus avoir d’attente, on peut juste laisser les choses se passer. Lâcher prise et essayer, je dis bien essayer, de ne pas se laisser envahir par un sentiment d’incapacité et de perte de contrôle. On ne peut pas rien faire. Et gros scoop, ça ne va pas aller en s’améliorant.
Aujourd’hui, je suis serein avec la situation. Je garde les meilleurs moments avec ma mère en tête et je demande à ma mémoire de vider régulièrement le dossier des moins bons moments dans la grande poubelle de la vie. Ça marche dans mon cas.
Ma méthode n’est pas révolutionnaire, je ne serai pas cité dans un cours de psychologie, mais pour moi, ça fait la job. Comme je suis un éternel optimiste et que j’ai de l’autodérision à la tonne, je tourne certains trucs à la blague. Ça m’aide solide.
Ça fait déjà 24 fois que j’annonce à ma mère que je fais un retour au théâtre et chaque fois, elle est heureuse pour moi. On est content tous les deux.
Au gré des visites, des fois j’ai un chum, pas de chums ou je viens de le sacrer là. Si c’était vraiment ma situation, je serais une guidoune notoire ou ma vie amoureuse ressemblerait aux soaps de fin d’après-midi.
Il n’y a pas longtemps, je suis entré dans sa chambre et elle m’a lancé: «Hein? T’es revenu du pôle Nord?» Je sais que je ne suis pas grand, mais de là à passer pour un nain du Père Noël.
Je lui ai simplement répondu que j’avais retardé mon voyage parce que ce n’était pas encore la saison des pingouins. On a ri et elle m’a traité de niaiseux avec amour. Ça m’a fait du bien. Ça n’en prenait pas plus que ce soit un beau petit moment.
Je n’écris pas ce texte pour faire pitié et recevoir des mots d’encouragements. Ça va, je suis majeur et vacciné. Je n’ai pas non plus le monopole de la souffrance et je sais très bien que, malheureusement, je suis loin d’être le seul à vivre cette situation avec un proche.
J’ai écrit ce texte parce que ça me fait du bien. Je l’ai écrit parce que le parallèle entre sa mémoire qui s’enfuit et la mienne qui est encore toute là, il y a un abysse. Et de mémoriser mon texte de théâtre me l’a remis en pleine face.
Je vous laisse, je dois appeler ma mère pour lui annoncer que je joue au théâtre.
Prise 25!
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