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La charge mentale suffocante jette à terre les femmes, les mères.
Les menstruations et la ménopause.
Les grossesses et les congés de maternité.
Les virus des enfants et les bobos des parents qui vieillissent.
Tous ces aspects de la vie d’une femme ont un dénominateur commun: ils augmentent sa charge mentale… et la freinent dans ses aspirations et ambitions. Vous pensez que j’exagère? Pas du tout.
Si on met bout à bout tous les sacrifices et les compromis que les femmes font à notre époque pour tenir à bout de bras la vie de famille et leur vie professionnelle, on comprend mieux à quel point les femmes font encore partie d’un groupe stigmatisé.
Tout un pan de la vie économique est basé sur leurs services (essentiels) à la nation, gratuits, invisibles et constants. Ce n’est pas tangible ni montré: c’est juste là, en filigrane. C’est attendu.
La charge mentale suffocante jette à terre les femmes, les mères. Elles deviennent zombies, à ne plus trop bien se connaître (et se reconnaître).
«J’ai de moins en moins de plaisir à être avec mes enfants, à être en famille, me confie Ariane, 37 ans, mère de deux enfants d’âge scolaire. Je me sens aspirée par ma liste de tâches.»
«Comme une automate, ajoute Véronique, une autre mère de jeunes enfants qui m’a écrit en privé. Je me sens sur le pilote automatique, dans une sorte de brouillard.»
Déjà, lorsqu’elles donnent naissance, on les pénalise en les soutenant trop peu pendant le congé de maternité et en les privant d’avancement au retour. Peu importe les qualités de l’assurance parentale au Québec, ce ne sera jamais facile ni simple de manquer un an de travail, une fois, deux fois, trois fois.
«J’ai dit à mon chum : “Essaie donc, toi, de t’absenter aussi longtemps et aussi souvent que moi du travail”, lance Isabelle-Marie, mère d’une fille de 5 ans et d’un nouveau-né. On verra quel impact cela aura… et ce que dira ou pensera ton boss !»
Quand je dis que ce n’est pas facile, je ne parle pas que pour le curriculum vitae, les compétences ou les habiletés: je parle aussi pour la vie sociale, les relations, le réseautage, les contacts, les connexions, tout ce qui est un non-dit, mais qui permet d’avancer dans sa carrière et sa vie professionnelle.
Autour de la machine à café, qu’elle soit virtuelle ou pas, il s’en passe des choses. Et la femme qui allaite, épuisée par ses nuits trop courtes, n’a pas accès à la même information, au même pouvoir.
Est-ce qu’elle angoisse à l’idée de ne pas retrouver sa place au bureau? Est-ce qu’elle se demande si son poste sera aboli ou si elle a été remplacée? Est-ce qu’elle doute de sa valeur? Est-ce qu’elle se demande si elle ne ferait pas mieux de démissionner vu son sentiment croissant d’être mise à l’écart?
Oui, oui, oui et oui.
«Il y a quelque chose de drainant que de savoir, dans toutes les fibres de son corps, qu’on serait parfaite pour tel ou tel poste, mais de constater qu’on n’est pas considéré, raconte Laurie, 28 ans, nouvellement maman. Ma patronne m’a dit : “Finis ta famille et on s’en reparle”. Je n’ai pas su quoi répondre.»
Et lorsqu’elle revient, qu’elle constate les changements, les modifications, les petites tournures d’événements appelés des «hasards», qui lui font perdre tantôt un poste ou un titre, tantôt l’espoir d’amélioration ou d’avancement, elle se retrouve déçue, éteinte, en colère.
C’est injuste et inéquitable. Et tout le monde le sait.
Elle court pour aller à la garderie ou à l’école (elle fait le plus petit salaire des deux alors c’est elle qui y va, vous comprenez), s’occupe du repas, des devoirs, du bain, de la vaisselle, du lavage, du rangement, des factures, du compost, sans oublier ces papiers à signer pour l’autorisation à la sortie culturelle de l’aîné, tout en attrapant son cellulaire pour prendre des nouvelles de son père, il vieillit, il a mal à une hanche, pourvu qu’il ne soit pas tombé…
Proche aidante, elle aurait elle aussi besoin d’attention comme elle en donne tant aux autres. Prendre soin. Elle connaît ces deux mots, mais elle ne les applique pas à elle-même — ou si peu. Elle n’a pas le temps.
«On me dit souvent que je suis gentille, dit Marie-José, quadragénaire, dans ma messagerie Instagram. Au début ça me faisait plaisir, mais maintenant, ça me rend agressive. Peut-être que je suis trop gentille et pas assez “vraie” ?»
La fée du logis n’est pas fatiguée, elle est épuisée. Lasse et écœurée. En burnout parental, elle n’a jamais autant travaillé. Et avec cette frontière floue, encore plus floue depuis la pandémie, entre vie personnelle et vie professionnelle, elle se juge incompétente partout, prise d’une langueur jusque-là inconnue.
Elle se souvient qu’au secondaire, elle a manqué des jours d’école à cause de ses règles douloureuses. Elle a ensuite manqué du boulot pour ses fins de grossesses compliquées. Elle a pris le congé parental parce que financièrement, ça faisait plus de sens (elle fait le plus petit salaire des deux — ah, je l’ai déjà dit).
Elle manque encore du travail, à l’occasion, pour soigner le bobo de sa plus petite ou le gros bobo de sa mère octogénaire. Et si elle ose manquer pour des symptômes pénibles de ménopause, là, franchement, elle exagère…
Pas surprenant que rendu à l’âge de la retraite, les femmes soient plus pauvres que les hommes : elles touchent une pension qui représente en moyenne 60 % de celle des hommes au pays. Et dans le monde, 70 % des personnes âgées pauvres sont des femmes.
On a fait du chemin? Oui. Mais il en reste à faire, assurément. Pénalisées tout au long de leur vie, victimes des disparités entre les sexes, elles sont 50 ans derrière les hommes en termes de parité salariale.
Professionnellement et financièrement, les femmes sont loin derrière.
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