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Bien qu’elle constitue, à certains égards, un «buzzword» et qu’elle est souvent employée telle une vertu ostentatoire, l’intersectionnalité est plus que pertinente pour le féminisme d’aujourd’hui.
La journée internationale des droits des femmes arrive à grands pas. Il est plus que déplorable que le gouvernement en place ait refusé de débattre de la motion présentée à cette occasion par la députée solidaire Ruba Ghazal conjointement avec les député-es Marceau (Parti libéral), Arseneau (Parti québécois) et Nichols (indépendante), et ce, en raison de la présence du terme «intersectionnelle» dans celle-ci.
Dans une déclaration transmise au journal Le Devoir, la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, qui assure vouloir souligner le 8 mars comme il se doit, affirmera que le féminisme intersectionnel ne correspond pas à la vision du féminisme de la Coalition avenir Québec. Quelques jours plus tard, le député Bérubé renchérira en écrivant sur la plateforme Twitter que «le Parti québécois n’adhère pas à l’approche intersectionnelle», mais plutôt à un féminisme «universaliste».
Précision suite au texte de R. Martineau :
— Pascal Bérubé (@PascalBerube) February 27, 2023
Le Parti Québécois n’adhère pas à l’approche intersectionnelle. Notre féminisme est universaliste. Notre appui à une motion récente était uniquement pour souligner la Journée internationale des femmes du 8 mars, comme à chaque année.
La juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw est reconnue comme étant celle ayant utilisé le terme pour la première fois, et ce, pour expliquer les discriminations spécifiques que vivent les femmes noires dans le contexte du travail ainsi que lors des violences conjugales et/ou sexuelles qu’elles subissent.
Dans l’ouvrage phare Intersectionality des sociologues Sirma Bilge et Patricia Hill Collins, on définit l’intersectionnalité comme une manière d’analyser et de comprendre la complexité du monde, des individus ainsi que des conditions sociales et politiques qui les traversent.
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En d’autres termes, les individus ainsi que les rapports de pouvoir et de résistances qui traversent leurs relations avec les institutions ne peuvent être déterminées ou expliquées par qu’un seul facteur, comme la «race», la classe sociale ou le genre. Au contraire, ces facteurs s’autoinfluencent et se renforcent les uns les autres.
Bien qu’elle constitue, à certains égards, un buzzword et qu’elle est souvent employée telle une vertu ostentatoire, l’intersectionnalité est plus que pertinente pour le féminisme d’aujourd’hui. En plus de ne pas être une notion nouvelle, elle est considérée comme un incontournable en études de genre, tant dans la recherche, l’intervention et le militantisme féministes.
Son influence dépasse toutefois ces domaines puisqu’on retrouve le terme dans plusieurs documents gouvernementaux aux échelles fédérale, provinciale et municipale, ce qui rend cette «controverse» d’autant plus ironique.
En outre, comprendre que les femmes ne constituent pas un bloc monolithique me semble élémentaire et fait largement consensus au sein du mouvement féministe. Comme cadre d’analyse, l’intersectionnalité permet notamment de comprendre les spécificités qui régissent les relations entre les femmes. Si «universalisme» il devait y avoir, c’est bien que ce l’intersectionnalité nous offre, soit, de ne laisser personne derrière.
En refusant de reconnaître ceci, la ministre responsable de la Condition féminine ainsi que les élus ayant retourné leurs vestes à la suite de pressions de chroniqueurs font la démonstration de leur ignorance en la matière. En ce 8 mars, j’espère que ceux-ci auront la décence de faire leurs devoirs pour prendre conscience qu’ils sont en décalage total avec les groupes de femmes et les organisations féministes sur le terrain au Québec.