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Au final, ce que l’on retiendra de cette 94e cérémonie des Oscars, ce sera cette altercation au lieu de tous ces accomplissements. L’agression de Will Smith envers Chris Rock fera tout sauf faire œuvre utile.
C’est le moment des Oscars dont tout le monde parle ce matin.
Hier soir, lors de la 94e édition de la prestigieuse cérémonie, l’acteur Will Smith, présent dans l’assistance, est monté sur scène pour gifler le comédien Chris Rock après une blague sur l’apparence et le crâne rasé de sa femme, Jada Pinkett Smith. Rock présentait alors le gagnant pour le meilleur documentaire. Smith a ensuite hurlé à plusieurs reprises «Garde le nom de ma femme hors de ta pu**in de bouche !» («Keep my wife’s name out of your fu**ing mouth!») devant une audience absolument abasourdie, au départ, qui croyait à une farce. (Merci au visage choqué de l’actrice Lupita Nyong’o pour les indices).
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La «misogynoire» se veut une contraction entre les mots «misogynie» et «noire». C’est un concept ayant été inventé par la professeure universitaire et chercheuse afro-américaine queer Moya Bailey. Plus largement, il vise à aborder la discrimination spécifique dont sont victimes les femmes noires. Cela peut prendre la forme, mais sans s’y limiter, de représentations stéréotypées ou encore l’effacement de leur contribution à la société. Entre autres, les femmes noires sont souvent considérées non désirables et jetables selon les standards de beauté véhiculés à Hollywood.
Ainsi, la question des cheveux des femmes noires est extrêmement sensible et chargée.
Jada Pinkett Smith affiche un crâne rasé non pas par choix. Elle vit avec une maladie auto-immune – l’alopécie – dont l’un des symptômes est la perte importante de cheveux. Elle a parlé publiquement à plusieurs reprises notamment lors de son talk-show Red Table Talk, de cette réalité avec laquelle elle a du mal à composer.
Photo: Jada Pinkett Smith (à droite) et Will Smith sur le tapis rouge des Oscars, le 27 mars 2022. Crédit: Jordan Strauss | Invision via The Associated Press
Ceci est d’autant plus ironique puisque Chris Rock a fait partie d’un documentaire en 2009 intitulé, Good Hair, portant précisément sur l’industrie très prolifique des cheveux au sein des communautés noires, particulièrement chez les femmes noires. En général, les femmes noires dépensent des sommes faramineuses pour prendre soin de leur chevelure, et ce, en partie en raison de la pression exercée par la société sur leur apparence. Le documentaire aurait été inspiré par une question de la fille de Rock qui lui aurait demandé, à l’âge de 3 ans, pourquoi ses cheveux sont laids.
Visiblement, Chris Rock n’a pas compris grand-chose de son propre documentaire.
Initialement, on voit Will Smith trouver la blague amusante jusqu’à ce que l’on croise le regard exaspéré de sa femme. Sans cautionner la violence, la blague de Chris Rock était de très mauvais goût. Il n’y avait rien de glorieux à descendre une femme noire de cette façon, à la télévision, et ce, dans une salle remplie de pairs de l’industrie. La violence des mots peut être tout aussi dommageable que celle des poings.
L’attente aurait été de garder le silence — comme à l’habitude. Or, visiblement, c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour Pinkett Smith — qui est une personnalité publique depuis plusieurs décennies, probablement «habituée» aux blagues à son égard.
Toutefois, Will Smith a «marqué son territoire» de la façon la plus «patriarcale» qui soit, par la violence, pour défendre «sa» femme, comme si elle était sa propriété privée. Très troublant de le revoir reprendre son siège et écouter le reste de la soirée, comme si de rien n’était.
Quelques minutes plus tard, Smith remporte le prix du meilleur acteur pour King Richard, dans lequel il a joué le père des célèbres joueuses de tennis, Venus et Serena Williams. Il s’excuse alors pour son comportement sans toutefois faire amende honorable à Rock. Or, cette altercation est venue ternir son moment — il est l’un des rares hommes noirs à remporter cet honneur.
Il a aussi porté ombrage aux moments de celui d’Ariana DeBose (West Side Story), Troy Kotsur (Coda) et Jane Campion (The Power of the Dog) qui sont respectivement la première femme ouvertement queer et racisée, le premier homme sourd et la troisième femme meilleure réalisatrice à remporter un Oscar.
Au final, ce que l’on retiendra de cette 94e cérémonie des Oscars, ce sera cette altercation au lieu de tous ces accomplissements. L’agression de Will Smith envers Chris Rock fera tout sauf faire œuvre utile.
Quel gâchis!