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«Quand on y réfléchit de plus près, c’est vrai que le premier endroit où on est confrontés à des comportements d’intimidation, c’est à l’école.»
J’ai été très troublée par un papier d’Isabelle Tremblay publié à la mi-octobre dans Le Soleil. La journaliste y raconte l’histoire d’une ado trans qui subit de l’intimidation grave à son école secondaire. Tout cela se déroule à Alma, au Lac-Saint-Jean. Kloé a été victime de harcèlement et s’est fait agresser physiquement à plusieurs reprises, tellement que ses parents ont décidé de la retirer de l’école.
Ce qui m’a frappée dans ce qu’ils ont raconté à la journaliste, c’est qu’ils ont eu l’impression d’être abandonnés par l’école. Même que le centre de services qui dessert le Pavillon Wilbrod-Dufour semblait, selon la mère, soulagé qu’elle retire l’enfant de l’établissement. Ce que j’ai compris, c’est que le cas de Kloé était devenu une espèce de patate chaude qu’on était tanné de «gérer».
Ce qui m’a surpris, aussi, ce sont les réactions que j’ai pu lire sur les médias sociaux lorsque j’ai commenté le cas de cette ado. Des gens sont venus écrire qu’on avait juste un côté de la médaille, celui de Kloé, et que la jeune fille récoltait ce qu’elle semait. Dit plus clairement, on lui reprochait de chercher le trouble, d’être provocatrice. Comme si c’était de sa faute si elle se faisait battre à la sortie des toilettes.
Des Kloé, il y en a des dizaines dans les écoles du Québec. Je parle d’ados intimidés à répétitions et pour lesquels les directions-écoles ne semblent d’être d’aucun secours. J’ai dans ma boîte de réception des témoignages à la pelle où on me raconte sensiblement toujours la même histoire : mon enfant a été intimidé à l’école, ça s’est poursuivi sur les médias sociaux, l’école a fait quelques interventions. Puis rien. La situation ne s’est pas améliorée, ou s’est améliorée temporairement. Et par la suite, c’est devenu pire.
Avec tout ce qui s’est passé avec Occupation Double, le sujet de l’intimidation est plus présent que jamais dans l’espace public. C’est peut-être là l’occasion de se regarder un peu dans le miroir par rapport à cette question épineuse.
De l’intimidation, il y en a partout : à l’école, sur la route, au travail, au sein des dynamiques familiales et dans les couples. Ce trait peu enviable de la nature humaine se faufile dans toutes les sphères de notre existence, même dans une télé-réalité. Mais, quand on y réfléchit de plus près, c’est vrai que le premier endroit où on est confrontés à des comportements d’intimidation, c’est à l’école.
Dans mon temps (je suis une enfant des années 80), l’intimidation était perçue comme quelque chose de «normal». Tu te faisais écœurer, tes parents te disaient de laisser faire, que ça venait avec le fait d’aller à l’école, qu’il y avait du monde méchant, pis que ça allait passer. Fallait se faire une carapace, comme on dit.
Maintenant, on prétend que ce n’est plus acceptable. Le verbe prétendre est important, ici. Parce que quand on gratte un peu, on se rend compte que les choses n’ont pas changé tant que ça.
Les écoles ont eu beau se doter de plans contre l’intimidation, il y a une limite à ce qu’elles peuvent faire. J’ai parlé de cette problématique avec Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissements d’enseignement. Juste pour vous donner une idée, la Fédération représente plus de 65 % des écoles au Québec, soit environ 1600 établissements. Ça fait du monde à messe.
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Monsieur Prévost m’a expliqué ce qui doit se passer quand un ou une élève est victime d’intimidation. « Tous les événements qui sont rapportés qu’on juge violents ou intimidants doivent être rapportés au centre de service. On doit aussi faire un suivi avec les parents. »
Je comprends qu’il y a, de prime abord une certaine opération de comptabilisation des incidents. Et qu’est-ce que les centres de services font avec cette information ? Mystère. J’ai essayé d’obtenir une réponse auprès de la CSSDM. J’ai reçu un courriel laconique où on m’expliquait que chaque école avait son propre plan contre l’intimidation et que je pouvais le consulter sur le site web des écoles en question.
La CSSDM a refusé ma demande d’entrevue, donc. Je dis ça de même, mais il me semble que quand on a des parents, beaucoup de parents, qui sont sous l’impression que les centres de service se débarrassent de leurs enfants, la moindre des choses serait de nous expliquer comment il gère tout ça.
Revenons aux parents qui ont aussi l’impression d’être abandonnés par l’école. Plus précisément au cas de Kloé, qui est quand même assez représentatif de la situation vécue par plusieurs jeunes. M. Prévost m’explique qu’il arrive que l’école rate son coup. Il ne le nie pas. Sauf que pour régler une situation d’intimidation, ça prend absolument le soutient de la famille de l’intimidateur. « Beaucoup de parents, plus qu’on pense même, banalisent la situation ou prétendent que c’est la personne intimidée qui cherche le trouble. »
Avec l’importance que revêtent les médias sociaux dans les dynamiques d’intimidation, la question va de soi. «Officiellement, la responsabilité de l’école commence dans l’autobus scolaire et se termine quand le ou la jeune sort de la cour.
Ça se peut qu’on fasse des interventions concernant des incidents sur les médias sociaux ou qui auraient eu lieu, par exemple, sur le chemin du retour de l’école vers la maison. Sauf qu’on a déjà de la misère à gérer ce qui se passe à l’intérieur de nos murs. Il y a malheureusement une limite à ce que l’école peut faire dans la vraie vie.»
M. Prévost me donne l’exemple des défis d’intimidation sur Tik Tok. «Il ne se passe pas une semaine sans qu’on voie ça comme direction d’école. Les écoles sont témoin de tout ça, mais elles ne sont pas outillées pour gérer ça. Mais je ne m’en lave pas les mains. On devrait être au courant et s’outiller davantage.»
Il ne faut pas se cacher la tête dans le sable, certaines directions d’école ou enseignants sont un peu moins proactifs face à l’utilisation des réseaux sociaux. Il y en a que ça n’intéresse pas. L’école va devoir s’ajuster à cette nouvelle ère des réseaux sociaux. «Mais présentement, avec le manque d’effectif, gérer ce qui se passe à l’extérieur de l’école, c’est impossible.»
Comme parent, notre premier rôle, c’est de ne pas minimiser. Il faut aussi croire l’école. «Souvent on entend des choses comme : mon enfant n’est pas comme ça, c’est impossible qu’il fasse une pareille affaire.» Les directions d’école se font aussi menacer par certains parents. On dit qu’on va appeler le centre de service, qu’on va contacter les médias, son député. «À une certaine époque, c’était JE. Le parent me disait qu’il allait appeler l’émission. Je gardais le numéro dans mon bureau et je leur tendais le papier, pour gagner du temps. Ça suffisait habituellement à les calmer.»
Et il y a les parents bien intentionnés qui veulent intervenir avec leur jeune, mais qui ne se sentent pas outillés pour le faire. L’intimidation n’échappe pas au manque de ressources spécialisées dans nos écoles.
Quand l’école a fait toutes les interventions possibles (rencontre des parents, des élèves, suspension), que le comportement ne change pas et que la situation devient complexe autant pour la personne intimidée que pour l’intimidateur, c’est là qu’il y a un vide. « On ne l’a pas, ce service-là. C’est là qu’il y a un flou. On n’a pas les outils et ils ne sont pas en nombre suffisant ».
Le problème de l’intimidation est complexe. Est-ce que c’est aux directions d’école, aux centres de services ou aux profs de régler le problème ? Le prof n’a pas le temps de gérer ça et ce n’est pas sa job. Est-ce qu’on peut améliorer la question de l’intimidation dans les écoles ? Oui. Est-ce qu’on peut l’éliminer complètement ? Je ne pense pas.
Je pense surtout qu’au lieu de critiquer les établissements d’enseignement et les profs, on devrait plutôt se demander comment peut-on les aider.
Pour me raconter une histoire ou si vous voulez témoigner de quelque chose qui vous tient à coeur, écrivez-moi un courriel : genevieve.pettersen@bellmedia.ca.