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«Traumavertissement: ce texte parle de suicide. Des drames comme ça, il y en a des centaines. On a beau dire qu’on va investir des millions en santé mentale, on a beau promettre des enquêtes, on a beau causer pour la cause, rien ne change vraiment.»
Traumavertissement: ce texte parle de suicide.
Comme bien de monde, j’ai été bouleversée par les circonstances entourant la mort d’Amélie Champagne, circonstances décrites dans une chronique de Patrick Lagacé mardi, puis reprises par le témoignage de son papa au micro de Paul Arcand. On a appris depuis que le ministre Carmant exigera une enquête afin de comprendre pourquoi le système a failli dans le cas d’Amélie.
J’ai été bouleversée, et aussi profondément choquée de constater à quel point le système a échappé cette jeune femme-là. Parce que comme l’écrivait Patrick dans une autre chronique, ce n’est pas la première fois que le système échoue à sauver des gens qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale.
J’ai moi-même écrit là-dessus plusieurs fois. Comme c’est souvent le cas quand on raconte ce type d’histoire dans les journaux, les témoignages fusent. Jamais je n’oublierai cette mère qui m’a confié avoir dû réhypothéquer sa maison afin de payer des soins psychologiques à sa fille au privé. Selon elle, ça lui a sauvé la vie. Je suis encore hantée, aussi, par l’histoire de Daniel Lepage, qui m’a raconté comment sa fille s’est enlevé la vie à l’intérieur des murs d’un département de psychiatrie, où elle était entrée de son plein gré pour venir à bout d’idéations suicidaires. Pour ajouter à l’horreur, monsieur Lepage se remettait déjà de peine et de misère du suicide de sa conjointe, la mère de ses enfants, survenu en 2004. Imaginez.
Des drames comme ça, il y en a des centaines. Et, pardonnez le langage très cru, ça s’en vient vraiment décalissant. On a beau dire qu’on va investir des millions en santé mentale, on a beau promettre des enquêtes, on a beau causer pour la cause, rien ne change vraiment. C’est même pire que jamais si je me fie aux témoignages anonymes que m’envoient des travailleurs en santé mentale. Ceux-ci, il faut le souligner, ont un devoir de réserve et ne peuvent témoigner des failles du système sous peine de représailles. Je peux vous assurer qu’ils en voient des vertes pis des pas mûres, ce qui en pousse plusieurs à quitter ou à s’en aller au privé.
Ils vivent mal le fait d’avoir l’impression de ne pas donner les soins adéquats, de ne pas donner assez de temps et de devoir renvoyer chez eux des personnes qui auraient besoin d’une attention immédiate. Je dis ça, mais quand je pose la question officiellement, on me répond toujours la même chose : il y a un filet de sécurité. Vraiment ?
Je vais vous raconter une histoire. C’est l’histoire d’une jeune fille de 14 ans. Une jeune fille près de moi, mais dont je vais préserver l’anonymat pour des raisons évidentes. Cette jeune-là, donc, a trouvé la pandémie très difficile. Isolement, rupture amoureuse, chicane d’amies, intimidation. Ce contexte l’a fait plonger dans un abîme sans nom et elle s’est isolée au point de ne plus être capable de regarder ailleurs que dans ce grand trou noir.
À un moment donné, à force de souffrir, l’adolescente a tenté de mettre fin à ses jours. Un soir, elle a été transportée à l’urgence de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, où elle a attendu des heures. Le médecin de garde l’a finalement référée à l’urgence pédopsychiatrique de l’hôpital Rivière-des-Prairies, le lendemain. Pas tout de suite. Non, plus de 12 heures plus tard.
En attendant, ses parents devaient la surveiller. Mais bon, la petite a été vue au petit matin par un pédopsychiatre qui, en à peine une heure, a conclu qu’elle n’était pas un danger pour elle-même dans l’immédiat. Il recommandait tout de même un suivi en consultation externe et peut-être une médication puisque l’adolescente présentait des signes cliniques de dépression.
Les parents ont demandé au médecin comment il pouvait être certain que leur fille n’essayerait pas à nouveau de se suicider. Il ne pouvait pas leur garantir. Il se fiait à ce que l’adolescente lui avait dit lors de la rencontre. OK, mais on s’entend qu’elle aurait pu lui dire n’importe quoi pour avoir la paix ? Le médecin a acquiescé, mais a réitéré que, pour le moment, la jeune fille semblait stable. Ça allait prendre combien de temps avant qu’elle soit prise en charge ? Des semaines, plus probablement des mois. Ç’a été ça, la réponse.
En attendant, on demandait aux parents de garder les médicaments sous clé et de ne pas laisser d’objet contondant à la disposition de leur fille. Ah oui, et on a remis à la patiente un petit papier sur lequel était écrit un numéro de téléphone. Elle devait appeler là s’il lui reprenait l’idée de se tuer. C’était ça, le filet de sécurité. Un numéro de téléphone sur un papier.
Personne ne sera laissé de côté, c’est ce qu’on nous répète, du côté du gouvernement, chaque fois qu’on fait des annonces en santé mentale. Je pense qu’il y a beaucoup de personnes qui ne sont pas d’accord avec cette affirmation parce qu’ils passent leur journée à se battre pour que leurs proches aient accès à des ressources. C’était le cas du papa d’Amélie et de Daniel Lepage. Ce fut aussi le cas pour les parents de la jeune fille dont je viens de vous raconter l’histoire.
Combien de morts encore? Combien de souffrance un être humain doit-il endurer avant que le système le prenne en charge? Ce n'est pas juste une enquête que ça prend. C’est une suspension temporaire du devoir de réserve et de loyauté des travailleurs de la santé. Il faut impérativement qu’iels puissent venir témoigner de ce qu’ils expérimentent au quotidien.
C’est le temps qu’on regarde l’abîme droit dans les yeux.
Si vous avez besoin d'aide ou si vous sentez qu'un de tes proches est en difficulté, contactez les centres de prévention du suicide : 1-866-appelle