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L’idée ici n’est pas de parler de Julien Lacroix en particulier, mais bien de ce que la lecture de ce dossier, deux ans plus tard, a suscité chez moi.
Comme tout le monde, j’ai été troublée, très troublée, même, par l’enquête menée par les journalistes Isabelle Hachey et Marie-Ève Tremblay à propos d’une autre enquête, celle conduite par Le Devoir sur ce qui est convenu d’appeler l’Affaire Julien Lacroix. Je ne ferai pas le résumé des faits puisque le texte et les épisodes du balado sont déjà disponibles en ligne. Allez lire et écouter ça si ce n’est déjà fait. Vous reviendrez après.
L’idée ici n’est pas de parler de Julien Lacroix en particulier, mais bien de ce que la lecture de ce dossier, deux ans plus tard, a suscité chez moi. Bien sûr qu’en prenant connaissance de cette nouvelle enquête, j’ai pensé aux victimes alléguées. Je me suis dit que si on parlait à des psys, ils nous diraient probablement que c’est un phénomène commun, chez les victimes, de se sentir coupables en voyant les conséquences qu’ont eues leurs dénonciations sur la vie de leur agresseur. En ce sens, ça arrive souvent que celles-ci revisitent les événements à la lueur de cette culpabilité. C’est important de le souligner parce que c’est un phénomène documenté.
Sauf que maintenant qu’on a dit ça, l’une des choses que j’ai retenues, c’est cette idée selon laquelle la parole des présumées victimes de Julien Lacroix est aussi importante aujourd’hui qu’en 2020 et que cette parole doit être entendue. Ça ne peut pas être plus juste. Ça ne fait peut-être pas notre affaire d’entendre ce que ces filles-là ont à dire parce que ça ne cadre pas avec l’idée qu’on se faisait du dossier, mais on se doit de les entendre jusqu’au bout.
L’enquête s’intéresse tout particulièrement au backlash vécu par certaines dénonciatrices et aussi, par Julien Lacroix. Je me suis moi-même penchée sur le phénomène du tribunal populaire dans un documentaire du même nom. On a volontairement mis de côté les cas d’agression sexuelle parce que, pour moi, c’est un sujet complexe et que je comprends parfaitement que certaines victimes, qui avaient perdu confiance envers le système de justice, se soient tournées vers les réseaux sociaux pour reprendre un certain pouvoir, dénoncer ce qu’elles ont subi et se faire justice elles-mêmes.
J’ai mis ça de côté, mais les experts ainsi que les personnes bannies ou qui ont pris part à des «annulations» ont été unanimes lorsque je leur en ai parlé: les dynamiques à l’œuvre dans un cancel fonctionnent sensiblement de la même façon, peu importe les faits reprochés et, à la fin, tout le monde en souffre.
5 ans après #metoo, on commence à voir les effets des dénonciations publiques. Du côté des dénonciatrices ou des dénonciateurs, on trouve difficile de porter le poids d’une dénonciation et d’être vues comme une victime. Un peu comme si l’identité de ces personnes se résumait désormais à ça, être une victime. Ça devient difficile de passer à autre chose dans ce contexte.
Et je me demande ce que ça répare, au juste, de faire appel au tribunal populaire ? Qu’est-ce qu’on cherche à faire, exactement ? Oui, ça permet aux présumées victimes de reprendre en main leur « narratif » et cela peut être salvateur et même empouvouarant, mais est-ce que celles-ci sentent vraiment que justice a été rendue ? Je me pose sincèrement la question, surtout quand j’entends certaines victimes dirent qu’elles se sortent de tout ça encore plus fragilisée.
Ce n’est pas normal que des personnes reçoivent des menaces de mort, qu’elles aient peur de sortir de leur résidence et qu’elles ne puissent plus gagner leur vie dans aucun domaine. Le processus d’annulation reproduit exactement les dynamiques qu’on tente de dénoncer. N’est-ce pas là un peu anti-productif?
Je crois en la réhabilitation. Sincèrement. Tout notre système de justice est basé là-dessus. Et je suis intimement convaincue qu’une annulation, qui est une peine de mort sociale en quelque sorte, ne va pas du tout dans cette direction. Vers une réhabilitation, je parle.
Je crois aussi dans le principe de justice réparatrice et je trouve tout ce backlash, tant du côté des présumées victimes que des présumés agresseurs, tellement violent. C’est d’une tristesse infinie et je n’ai pas l’impression que ça règle quoi que ce soit, au contraire.
En voyant tout ça aller, je ne peux m’empêcher de penser que la dynamique du tribunal populaire est beaucoup plus cruelle que celle des «voies officielles». Les présumées victimes sont sur la sellette, les présumés agresseurs aussi, et tout ce monde-là n’ont aucune idée de quand le tout se terminera. Ça peut durer des mois, voire des années.
Quand on passe par le système de justice, qui n’est pas parfait, j’en conviens, les paramètres sont beaucoup plus clairs et, si l’accusé est reconnu coupable, on sait combien de temps durera la peine. On sait aussi que cette personne-là ira en prison et obtiendra, du moins je le souhaite ardemment même si je sais que ce n’est pas toujours le cas, de l’aide afin de ne pas récidiver. Parce que c’est ça qu’on veut finalement, non, que les personnes avec des comportements problématiques changent et ne représentent plus un risque pour leur entourage?
L’une des choses qui me fait peur, avec les nouveaux faits que rapportent l’enquête menée par La Presse et Cogeco, c’est que les victimes recommencent à se taire. Ce n’est pas l’intention des journalistes, elles l’ont répété à plusieurs reprises, mais c’est un risque.
Je pense que l’idée ici, ce serait de trouver des façons qui amèneraient les personnes victimes d’abus à refaire confiance aux tribunaux. Parce que clairement, les médias sociaux et les médias dits traditionnels ne semblent pas être des endroits opportuns pour tenir des procès.
Je pense qu’on a fait du chemin, à ce chapitre, avec la mise en place du tribunal spécialisé. Et je sais que les décisions dans les dossiers de Gilbert Rozon et d’Éric Salvail en ont fait sourciller plus d’un, mais moi, j’essaie de garder en tête la déclaration d’Annick Charrette, déboutée en cour contre Rozon, à propos du geste de porter plainte: «Il le faut, parce que c’est la seule façon qu’on va pousser la société à évoluer. Il faut que les victimes dénoncent, sinon on donne toute la place aux agresseurs.»
C’est la société qui va changer le droit, c’est ce qu’elle avait dit, à l’époque. Et je pense qu’elle a raison.
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