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«Elon Musk n’est pas un enfant sage; c’est plutôt un enfant terrible.»
Il s’est présenté devant une salle bondée, avec son t-shirt montrant des astronautes qui marchent sur Mars. Il affichait un air candide (ou ahuri?), un léger sourire aux lèvres, les mains croisées devant lui, tel un enfant sage.
Mais Elon Musk n’est pas un enfant sage ; c’est plutôt un enfant terrible.
L’homme de 270 milliards de dollars (c’est le montant de sa fortune personnelle, estimée par Forbes) a participé récemment à une séance de questions-réponses au salon techno Vivatech à Paris.
Il était en direct, en visioconférence: «Je devais être avec vous, mais c’est la graduation de mon fils. Alors, j’ai choisi de rester à la maison», a-t-il annoncé tout de go aux 5000 personnes entassées sous le dôme du Parc des expositions du 15e arrondissement.
J’y étais. Par curiosité. Fascination. Par intérêt, surtout.
Elon Musk est un personnage controversé et malaisant. Bizarre aussi. Il rit de façon incontrôlable au milieu d’une explication. Puis, il prend une pause et réfléchit en tournant son regard dans tous les sens. Il bégaie, risque une réponse, se reprend, et enchaîne rapidement.
Cohérents, mais remplis de paradoxes. Percutants, tout en comportant des passages à vide, ses propos me semblent originaux, géniaux. Et la minute suivante, fous, déconnectés, surréels.
Il parle de son obsession pour Mars (où il veut voir atterrir un équipage dans moins de dix ans), du pouvoir des implants cérébraux qu’il développe via son entreprise Neuralink (un premier patient a reçu un implant et a fait part de son «potentiel illimité» en mars), de sa vision du monde automobile (il rêve de conduite 100 % autonome et de cybertaxis) et de sa crainte du développement trop rapide de l’intelligence artificielle à laquelle il participe («dans la vie, soit qu’on est spectateur, soit qu’on participe» lance-t-il en guise de justification).
Pendant de longues minutes, il expose son projet ultime, celui de développer une vie multiplanétaire. Il clame qu’on doit y arriver «au plus vite», car on ignore «quelle est la fenêtre pour le faire».
Ainsi, selon lui, la vie et donc, notre temps sur Terre est compté: il prédit qu’un cataclysme naturel va, tôt ou tard, tout balayer, «comme c’est arrivé à l’ère des dinosaures».
C’est là que SpaceX entre en jeu. Spécialisée en construction de véhicules spatiaux et en vol aérospatial, cette entreprise de 13 000 employés a comme objectif de «préserver et étendre la conscience humaine avant qu’elle ne s’éteigne», précise-t-il.
Dix minutes de présentation se sont écoulées seulement et j’ai l’impression d’être plongée dans une dystopie sombre où un seul héros existe. Et ce héros, c’est lui, Elon.
Il s’octroie les rôles de prophète, de visionnaire, de sauveur.
Chacune de ses déclarations fracassantes est accueillie par des applaudissements. Je le sens, le public est ici majoritairement composé de fans, gagnés d’avance. L’audience est composée d’hommes et de femmes à parts égales, ils sont jeunes, majoritairement âgés de 20-30 ans selon mon estimation rapide.
Plusieurs sont à la tête de startups en intelligence artificielle. Avant de lancer à tour de rôle leurs questions aux micros (huit micros sont dispersés dans la salle et de petites foules s’agglutinent autour de chacun d’eux), les participants tentent de titiller leur gourou en parlant de leur propre entreprise. Ils vantent leurs percées, leurs innovations, leurs ambitieux plans de match.
Puisque le modérateur a annoncé aux participants qu’ils avaient un maximum de 15 secondes pour poser une question à Elon Musk, celle-ci arrive au bout de leur petit laïus, compressée dans le temps, prévisible avant d’être terminée. Et elles tombent souvent à plat.
Celle qui tombe le plus à plat est cette question posée par une journaliste du Business Insider. Avant qu’elle ne termine sa question, au sujet des moins bonnes performances du titre de Tesla, Musk la coupe en lui indiquant que son intervention est inutile, car il n’a pas l’intention de lui répondre. Pourquoi? «Je ne considère pas que le Business Insider soit une vraie publication».
Une petite recherche sur internet permet de voir que c’est la guerre entre les deux parties depuis quelques années, Musk n’aimant pas le traitement que la publication d’affaires réserve à son empire. Un exemple ? Un reporter a publié l’histoire des débuts de Tesla, cofondée en 2003 par deux ingénieurs tassés par Musk au moment du rachat.
Or, sans se proclamer fondateur de la marque, le milliardaire aime entretenir l’idée qu’il est l’unique personne derrière Tesla.
La réplique brutale d’Elon Musk à la journaliste est soulignée par des applaudissement d’une partie des gens assis dans la salle. Celle-ci sourit poliment en le remerciant avant de se retirer.
Je suis choquée sans être surprise. Ce n’est pas la première fois qu’il critique les médias traditionnels, du Washington Post en passant par le New York Times. Il ne faut pas oublier que Musk n’hésite pas à poursuivre en justice ses détracteurs ou ceux qui ne « disent pas la vérité ».
La séance achève. Je n’ai pas appris grand-chose, en bout de ligne. Elon Musk a été égal à lui-même : imprévisible, impétueux, extravagant et surtout, étrange.
Je quitte en écoutant les conversations des participants qui évacuent tranquillement la salle. La plupart sont dithyrambiques, en extase. Je ne peux m’empêcher de faire des parallèles avec les membres d’une secte.
Quant à moi, je me dis que ce fut un bon divertissement, sans plus. Je suis heureuse que ce soit terminé. J’ai eu ma dose.