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«Nous n’avons pas regardé l’éclipse — nous l’avons vécue, ensemble», écrit notre chroniqueuse Maude Goyer.
Des enfants jouent au ballon. Des amis étendent une couverture et font un pique-nique. Des amoureux boivent de la bière en canette. Une odeur passagère de cannabis. Des chiens aboient. Et tout à coup, un silence. Puis, des cris et des applaudissements.
Un moment banal de la vie urbaine? Pas hier, en tout cas.
Autour de moi, au parc Maisonneuve, vers 15h, la fébrilité est palpable alors que l’éclipse totale se prépare au-dessus de nos têtes.
La température chute doucement, les oiseaux se taisent et une étrange pénombre se dépose sur les grands espaces verts du parc, envahi par des milliers de Montréalais. En fait, ce n’est pas la noirceur de la nuit, mais une obscurité jusqu’ici inconnue, bleutée, diffuse, surréaliste.
«Comme un rêve éveillé», dis-je à ma fille, qui se tient à mes côtés.
Nous remettons nos lunettes pour observer le phénomène à nouveau: cette fois, ça y est. Le Soleil n’est plus réduit à un croissant lumineux jaune, il n’en reste plus rien. Il s’est transformé en sphère sombre au halo argenté.
On dirait une boule disco.
Et pendant 90 secondes, nous sommes tous ravis et rivés à elle, tout à coup rassemblés à la même cause. Nous n’avons pas regardé l’éclipse — nous l’avons vécue, ensemble.
Je suis bouche bée devant tant de beauté, mais aussi devant la grande messe à laquelle nous assistons. De façon inattendue, une larme coule. Mon ado rit de mon émotion, aussi puissante que passagère.
C’est un moment historique. Rare, beau, saisissant. Je me sens privilégiée. Et aussi, au fond de moi, une autre impression, celle de faire partie d’un tout, d’un ensemble. D’être petite, poussière, dans un schéma beaucoup plus vaste.
Bien sûr, on le sait que notre planète fait partie d’un système solaire et d’un univers infini. On le sait, mais dans la vie de tous les jours, dans la course métro-boulot-dodo, pfff, on s’en fout un peu. Disons qu’on ne se lève pas le matin en pensant aux astres, aux comètes, aux météores, au cosmos, à la lune et au soleil.
Ils sont juste là.
Mais aujourd’hui, le spectacle de l’éclipse solaire totale nous rappelle notre statut de mortel, de visiteur, de passager.
Ma fille semble avoir lu dans mes pensées. «On est bien peu de choses, au fond, lâche-t-elle du haut de ses 14 ans. Il ne faut pas trop se prendre au sérieux!»
Sa réflexion me semble juste et bien sage.
Nous rangeons nos chaises de camping et quittons le site, émerveillées. Nous ne vivrons plus jamais pareil moment : la prochaine éclipse totale sera visible au Québec dans 82 ans.
J’ai une pensée pour les rabat-joies qui se sont plaints ces derniers jours. «L’éclipse solaire prend trop de place, est-ce qu’on peut en revenir?» ont-ils clamé sur les réseaux sociaux.
Eh bien, non. Pour ma part, je n’en reviens pas. Je ne m’attendais pas à un show aussi grandiose, unanime, magnifique. Reprendre la route dans le trafic, regagner la maison, faire un arrêt à l’épicerie, sortir les poubelles, tout me semble un brin dérisoire.
«Mais comment reprendre la vie normale après ça?» me texte une amie, euphorique.
Au-delà de son sarcasme, je comprends le message: on a trop peu de beauté, en ce bas monde. Cette petite pause, en plein lundi ensoleillé, a fait du bien.
L’éclipse nous a rendus heureux, tous en même temps, un court instant, en direct de l’univers.
Voyez les Débatteurs de Noovo Info discuter de ce phénomène rarissime dans la vidéo qui accompagne cette chronique