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«Plus l’agresseur agressait, moins j’étais capable de rester assis, chez moi, à regarder comme spectateur. Le médecin qui est allé prêter main-forte en Ukraine rend compte des défis que posent la crise humanitaire causée par la guerre.
Une expression anglophone, pour laquelle il n’y a pas de traduction directe, décrit les mouvements sociaux spontanés mis en action par les citoyens: grassroots. Littéralement racines de gazon.
Lorsque l’invasion russe en Ukraine a débuté, je me suis senti d’abord préoccupé puis, au fil des jours et des reportages, personnellement interpellé. Il s’agit depuis son commencement d’une agression gratuite, brutale et pour la première fois, grâce à l’omniprésence des téléphones cellulaires, en diffusion immédiate et constante sur nos médias sociaux et traditionnels.
Plus l’agresseur agressait, moins j’étais capable de rester assis, chez moi, à regarder comme spectateur. Pour moi, c’était comparable à assister à un bully au secondaire en train de tabasser un plus jeune sans raison.
À ce moment, au début du conflit, les pays alliés mettaient en place des sanctions économiques et de l’aide matérielle. Pourtant, l’Ukraine appelait à l’aide. La première réponse est venue des milliers de volontaires étrangers, vétérans militaires, qui se sont empressés de rejoindre les rangs de l’armée ukrainienne.
Simultanément, une crise humanitaire majeure se dessinait à la frontière des pays occidentaux voisins. En quelques jours, plus de 2 millions de femmes, enfants et aînés ukrainiens ont été forcés de fuir leurs logis, leurs biens, leurs maris, leurs frères, leurs fils.
Je suis arrivé en Ukraine le 8 mars au moment où les ONG majeures commençaient tout juste à réagir. On venait à peine de mettre à jour le site web de la croix rouge canadienne et de Médecins Sans Frontières avec un communiqué prenant position sur le conflit Russie-Ukraine. Aucun moyen de trouver de l’information sur les actions entreprises ou sur les moyens d’aider, outre leur envoyer de l’argent.
Une fois à la frontière, j’ai assisté à la démonstration de ce qu’est exactement un mouvement grassroots. Le camp de réfugiés n’avait pas de chef, pas de hiérarchie bien définie. Plusieurs organismes locaux et régionaux, certains laïcs d’autres religieux, s’étaient associés dans cette réponse immédiate. À ceux-ci s’étaient greffés des volontaires comme moi qui s’étaient présentés sur place pour offrir leur aide bénévole.
De la tente des chevaliers de Colomb servant d’abri jusqu’au food-truck des Lithuaniens, tout se mettait en place organiquement, spontanément, pour venir en aide aux réfugiés qui traversaient la frontière par milliers.
C’est à ce mouvement que je me suis joint, débarquant à l’improviste à la tente médicale du camp de réfugiés à Hrebenne, sur la frontière Pologne-Ukraine. J’y ai trouvé une équipe constituée de professionnels de la santé d’origines multiples. Le premier arrivé sur place était Darek, un paramédic polonais. Il s’est mis au travail pour monter une tente et recevoir des dons d’équipements et de médicaments provenant de cliniques, pharmacies et hôpitaux locaux. À celui-ci s’était ajoutée Erin, une chirurgienne spécialisée en glandes endocrines et ancienne chirurgienne militaire pour la marine américaine. Elle et son mari, un ex-marine devenu journaliste ont annulé la croisière qu’ils avaient planifiée pour se rendre rapidement à la frontière.
Dès mon arrivée, on m’a accueilli comme membre de l’équipe et je me suis mis au travail. À ce moment, l’afflux de réfugiés était très important et l’attente pour traverser la frontière pouvait dépasser 16 heures. Les familles n’avaient pas accès à de l’eau ou de la nourriture depuis parfois 24 heures. Les personnes souffrant de maladies chroniques n’avaient souvent pas accès à leurs médicaments. Ces facteurs constituent un cocktail Molotov prêt à s’enflammer. À preuve, la veille de mon arrivée, un homme de 50 ans est décédé au camp de réfugiés par manque d’accès à ses médicaments anti-épileptiques.
Au moment d’écrire ces lignes, nous entrons dans ce que je considère la deuxième phase de la réponse humanitaire. Demain, CMAT, une ONG canadienne dépêchera une équipe complète de professionnels de la santé au camp de réfugiés de Hrebenne. Quinze Canadiens et Canadiennes, comprenant médecins, infirmières cliniciennes, infirmières, paramedics, psychologue, traducteur, répondent à mon appel lancé sur les médias sociaux.
Je laisse ma place aux pros de l’aide humanitaire avec la satisfaction d’avoir fait partie de cette réponse citoyenne immédiate.
Les Ukrainiens disent, pour défier leurs envahisseurs russes, que leurs ennemis tombés au combat fertiliseront leurs champs de blé. L’invasion russe aura aussi, malgré elle, nourri le gazon par ses racines.
Dr Julien Auger est médecin de famille à l’Hôpital de Saint-Jérôme. Auparavant à l'urgence, il pratique à l'hospitalisation, aux soins palliatifs et en CHSLD. Il est également père de deux enfants.