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Retour sur le rapport de la sous-ministre Dominique Savoie sur le système de santé. Une réflexion de plus pour préparer les changements nécessaires à venir dans le réseau.
Rendu public le 15 juin par le ministre Christian Dubé, le rapport de la sous-ministre Dominique Savoie sur le système santé constitue une réflexion de plus pour préparer les changements nécessaires à venir dans le réseau. Ce bref rapport — moins de 40 pages — ne saurait prétendre à une analyse exhaustive, même s’il aboutit à quelques recommandations intéressantes et d’autres plutôt vagues.
Si les constats ne sont pas nouveaux, certains sont devenus encore plus clairs durant la pandémie, par exemple quant au manque de gestionnaires de proximité dans les points de service. On peut aussi mettre dans cette catégorie les difficultés de coordination des soins, surtout dans le grand Montréal, le retard pris dans le déploiement de systèmes d’information et le peu de clarté du partage des rôles et responsabilités entre le ministère et le reste du réseau.
Comme le ministre Dubé l’a mentionné lors de l’annonce, la difficulté de bien gérer localement durant la pandémie, près des besoins des employés et des patients, dans les immenses établissements regroupés, est de plus en plus reconnue. L’illustration la plus dramatique en a été celle des CHSLD, où le manque de gestionnaires sur place aurait affecté la capacité d’affronter le chaos engendré.
Il faut rappeler que dans sa réforme, l’ex-ministre Gaétan Barrette avait coupé un peu trop largement dans les effectifs des cadres intermédiaires sur le terrain avec leurs équipes où se prennent les décisions locales — il l’a regretté publiquement en novembre dernier.
En appuyant le retour d’une « gestion de proximité », le rapport propose indirectement de faire marche arrière afin de remettre des cadres sur le terrain, là où se trouvent les besoins. À ceux et celles que je vois déjà grimper dans les rideaux parce qu’ils croient dur comme fer qu’il y en a trop de « fonctionnaires », je répondrais qu’on ne peut pas encadrer des équipes à distances à coup de rencontres sur Zoom.
Le rapport dénonçant aussi le « manque d’agilité » découlant de la « lourdeur » de conventions collectives trop rigides — peut-être inspiré par la souplesse apportée par leur suspension durant la pandémie ! – et proposant des « lieux d’échanges » avec les employés à « l’extérieur du cadre des négociations », il fera sans doute grincer de dents aux syndicats, avec qui la collaboration est pourtant essentielle face aux défis qui s’en viennent.
La sous-ministre Savoie fait aussi référence au manque de coordination des soins et des services, un concept peut-être un peu obscur pour les gens, mais une évidence pour les acteurs du terrain et pour les patients qui en subissent les conséquences.
Il s’agit simplement de rendre les soins plus cohérents, d’améliorer les liens entre les soignants, d’assurer l’échange d’information, d’aider aux décisions éclairées. Bref, de rendre le système plus… fluide, vous ne l’aviez peut-être pas deviné, le concept à la mode de « fluidité » revenant 11 fois dans le rapport. Dans la grande région de Montréal, cette coordination est particulièrement mise à l’épreuve par le méli-mélo de ces centaines de points de services où les patients sont trimballés dans des trajectoires de soins souvent bien trop complexes.
Il faut ici rappeler que dans le but de simplifier le système (aussi d’économiser quelques centaines de millions) le gouvernement libéral avait aboli en mars 2015 les Agences régionales, des instances jugées peu efficaces, mais qui par certains côtés avait du bon : elles pouvaient coordonner les choses !
Comme on s’était rapidement aperçu que ça prenait, au moins pour Montréal, des gens pour coordonner les relations entre les différents établissements, on a confié une telle mission au CIUSSS du Centre-Sud. Le rapport fait d’ailleurs le tour d’horizon du sort de ce genre de « couche régionale » de gestion, qui tend à disparaître un peu partout dans le monde.
Sauf qu’au début de la pandémie, ce besoin de coordonner est devenu si criant qu’on a dû demander à une équipe efficace de coordination des soins intensifs appelée COOLSI le mandat de gérer l’accès aux hospitalisations des patients atteints par la COVID-19 pour tout le Québec. Avec succès, l’équipe ayant accompli un excellent travail et sans doute sauvée des vies lorsque les soins intensifs débordaient.
Le rapport propose donc de créer une instance de coordination et de supervision (aux contours encore flous) dont le mandat « d’optimiser l’accès aux soins de santé et aux services sociaux et en améliorer la fluidité ». Une idée intéressante, dans la mesure où elle serait bien réalisée.
D’ailleurs, chaque fois que ce genre de travail d’intégration a été bien mené, les résultats ont été à la hauteur des attentes, qu’on pense aux soins de traumatologie, à ceux offerts aux patients souffrant d’infarctus aigu, à la prise en charge des AVC… ou à celle des lits de soins intensifs par le COOLSI.
Le rapport s’attaque aussi à ce qui est perçu par plusieurs comme une difficulté fondamentale du système de santé, le manque de clarté des rôles et responsabilités attribués au ministère de la Santé et aux établissements formés des lieux de dispensation de soins. Il propose que ces rôles trop flous soient clarifiés, le premier devant se concentrer sur les orientations et les évaluations, et les seconds, sur les services et leur coordination. Dit autrement, « recentrer le rôle du MSSS sur le “Quoi” et celui des établissements sur le “Comment”, une jolie formule.
Ce n’est pas une mince affaire, les ministres de la santé successifs que j’ai connus depuis 30 ans ayant tous eu tendance à faire dans la microgestion, intervenant à répétition au sein des établissements pour mettre de la pression et communiquer avec les directeurs pour régler des problèmes spécifiques, même quand il s’agit clairement de responsabilités locales.
Ironiquement, le rapport met aussi en garde contre la compétition entre les établissements, alors même que le Plan Santé du ministre Dubé contient des dispositions (comme le financement à l’activité qui encouragera la “concurrence”) et recommande de donner un large mandat de gestion du changement au Commissaire à la santé et au bien-être… cette instance abolie par le précédent gouvernement et plus tard réhabilitée.
Un autre volet du rapport, c’est l’accent mis sur la technologie, sous l’angle du partage de l’information clinique, même si elle ne fait pas l’objet de recommandation spécifique. À l’ère des célèbres fax, le Québec a pris un retard d’au moins 10 ans sur ce qui se fait ailleurs en ce domaine, ce qui a compromis la capacité de gérer la pandémie avec l’aide de données précises et disponibles en temps réel.
C’est une histoire que je connais assez bien. Alors que l'on comptait beaucoup sur l’intégration des systèmes d’information pour en tirer une connaissance beaucoup plus avancée des soins et la mise en place d’un vrai dossier médical partageable entre tous les hôpitaux et cliniques, certaines décisions, résistances ou remises en cause ont entraîné une stagnation de travaux qui, au milieu des années 2010, commençaient à prendre une tournure intéressante.
Comme la population vieillit, que les soins deviennent de plus en plus complexes et que l’accès à l’information clinique est aujourd’hui un enjeu fondamental pour améliorer le fonctionnement du système de santé, le rapport convient que le rattrapage est urgent. On y d’ailleurs souligne que la pandémie a permis de mettre en place des projets intéressants (comme Clic-Santé) et on suggère de regrouper les forces de ce genre de projets pour donner une orientation commune et augmenter les chances de réussites.
On demande aussi dans ce texte une réflexion qui va bien plus loin, ressuscitant — pour une énième fois — une vieille idée émise en 2006 par l’ex-président du Collège des médecins, le docteur Yves Lamontagne, à l’effet de mettre une place une instance indépendante de type “Hydro-Santé” pour gérer l’ensemble du système de soins, l’objectif ni plus ni moins de retirer la politique du pudding de la santé.
Comme un tel modèle ne se retrouve, à ma connaissance, sous aucune autre juridiction, il m’apparaît très improbable que les politiciens abandonnent leur contrôle sur ce qui représente à la fois le poste budgétaire le plus important de l’État et l’enjeu public le plus sensible des dernières décennies.
Il est d’ailleurs contradictoire de lire la sous-ministre mettre en garde avec justesse contre une réforme qui viendrait fragiliser de nouveau le système, après d’autres, encore mal digérées et surtout la pandémie, mais propose une réflexion sur la création d’un tel organisme parapublic, qui constituerait dans les faits la plus vaste réforme des structures jamais entreprises.
De ce rapport au jargon administratif quelque peu rébarbatif, j’imagine que ce document ne visait pas à émoustiller, on verra ce que le ministre fera, même s’il est probable que certaines de ces idées, qu’on retrouve déjà dans son Plan Santé, feront leur petit bonhomme de chemin.
Il faut surtout espérer que les changements demeureront à échelle humaine afin de ne pas tout bouleverser de nouveau.