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«L’expression Back to the future prend tout son sens lorsqu’on pense au scandale qui secoue l’école primaire Bedford, dans le quartier Côte-des-Neiges, à Montréal.»
Naître, grandir et s’établir au Québec, c’est un peu comme vivre un remake de la Crise des accommodements raisonnables du début des années 2000 à l’infini. L’expression Back to the future prend tout son sens lorsqu’on pense au scandale qui secoue l’école primaire Bedford, dans le quartier Côte-des-Neiges, à Montréal.
Dès que l’on a appris que les onze enseignants suspendus pour avoir eu des comportements complètement inacceptables envers des élèves n’étaient pas blancs, je savais comment ça allait finir.
Les comportements rapportés et documentés sont très graves. On parle d’humiliations, de violences verbales et psychologiques envers des élèves, d’instauration d’un climat de terreur et non-respect de la Loi sur l’instruction publique du Québec. Les grands perdants de toute cette histoire, ce sont les enfants, comme d’hab. Pourtant, ce qui domine le débat public, ce sont les mots « islamisme », « endoctrinement religieux » et « laïcité », ce qui a pour effet de camoufler trois grands angles morts autour de l’immigration.
Depuis quelques jours, plusieurs politiciens pointent du doigt l’absence de « mixité sociale » dans plusieurs écoles montréalaises où la majorité des élèves ne sont pas nés au Québec. Or, ces écoles sont souvent dans des quartiers que l’on défavorise sur le plan économique. Je parle en connaissance de cause, car je fais partie des rares personnes dans notre société, qui a pu « transfuger » d’une classe sociale à une autre.
Lorsque j’étais au primaire et au secondaire, les élèves blancs étaient minoritaires dans mes salles de classe. Au fil des ans, j’ai vu de mes yeux la manière dont mes collègues de travail – dans le monde médiatique, littéraire et universitaire – sont progressivement devenus des personnes blanches, en majorité.
Aujourd’hui en fin de parcours au doctorat, je suis souvent la seule ou l’une des rares personnes noires (voire racisée tout court) dans plusieurs espaces où je suis amenée à graviter pour le travail. Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’enseigner des théories qui émanent des communautés noires... à des classes où il n’y avait pas un seul étudiant noir. Mes étudiant-es me nomment souvent eux-mêmes ce paradoxe. Ils m’expriment aussi n’avoir jamais eu une enseignante noire de tout leur parcours scolaire au Québec.
Personne ne parle l’entre-soi du milieu littéraire, académique et médiatique comme étant un « ghetto de personnes blanches ». Et pourtant.
Il y a quelques années, j’ai eu le privilège de vivre pendant presque un an aux États-Unis. Au cours de mon séjour, j’ai énormément pensé aux personnes immigrantes. Même si je côtoie des personnes immigrantes tous les jours de ma vie, j’ai pris conscience que je n’y comprenais pas grand-chose, étant née et ayant grandi au Canada.
Bien que je maîtrise l’anglais et que j’ai habité dans une ville dont le fonctionnement ressemble à celui de plusieurs grandes villes canadiennes... j’ai eu l’impression d’être une immigrante parce que je ne connaissais personne. Le contexte de la pandémie a fait en sorte qu’il était difficile de rencontrer des gens.
Imaginez pour une personne qui ne connaît pas les langues officielles d’un pays.
Imaginez pour une personne qui s’établit dans un pays de manière permanente, sans possibilité de retourner à la maison.
Imaginez pour une personne qui provient d’un pays où les mœurs et coutumes sont à des années-lumière de celles nord-américaines.
J’ai toujours eu un malaise avec les débats télévisés où l’on parle d’immigration, sous l’angle de « seuils » et de « chiffres », sans les personnes concernées. Depuis ce séjour aux États-Unis, ce malaise s’est accentué.
La vie que je mène n’a rien à voir avec celle de mes parents et encore moins, celle de mes grands-parents, des deux côtés de ma famille. Je pense notamment à ma grand-mère maternelle, une femme vaillante de 91 ans ayant immigré avec sa famille dans le Québec de la fin des années 70. Ma grand-mère ne sait ni lire ni écrire. Elle n’a jamais été scolarisée et ne s’exprime qu’en créole haïtien à ce jour. Mon admiration envers elle était déjà grande, mais elle s’est amplifiée. Je réalise, sans l’ombre d’un doute, qu’elle a été ma plus grande professeure. C’est elle qui m’a tout appris.
Le discours sur l’immigration au Canada et au Québec n’a rien à envier à celui qui fait rage dans le contexte de la présente campagne électorale américaine. Rappelons ces propos orduriers de Donald Trump lors du dernier débat présidentiel contre la candidate démocrate Kamala Harris. Le candidat républicain avait affirmé que les immigrants haïtiens de Springfield mangent des chats et des chiens. Propos si ridicules – avec des impacts réels – qu’ils ont inspiré des mèmes et des chansons aussi farfelues les unes que les autres sur les z’internets.
Nous ne sommes pas au bout de nos peines. L’effondrement climatique demeure un angle mort important de la crise migratoire. Au cours des prochaines années, il y aura de plus en plus de réfugiés climatiques.
Plusieurs personnes immigrantes haïtiennes que je connais, particulièrement celles qui se sont établies au Québec à l’âge adulte, ne demandent qu’à pouvoir retourner chez elles. C’est le contexte politique de leur terre natale, contexte pour lequel les pays occidentaux y sont pour beaucoup, qui les ont forcés à plier bagage. Elles me disent souvent l’équivalent de « J’étais mieux en Haïti. Ici, je n’existe pas. »
Écouter ces personnes qui sont en mesure de faire une comparaison entre les deux contextes me fait prendre conscience du poids que portent les jeunes racisés qui évoluent au Québec depuis leur naissance. À défaut d’écouter avec un véritable intérêt les premiers concernés, on ne peut en prendre véritablement conscience. Parler de l’immigration comme une nuisance est ce qui forge ce sentiment d’exclusion. C’est ce discours négatif qui nuit à la cohésion sociale, plutôt que l’immigration en soi.