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L'écart salarial persiste, «peu importe l’âge, le niveau scolaire, la taille de l’entreprise et l’industrie».
Mesdames, à partir d’aujourd’hui et pour le restant de l’année, vous travaillez gratuitement. Eh oui!
L’écart salarial entre les hommes et les femmes est tel au Québec, que pour les trente-trois jours à écouler en 2024, les femmes deviennent bénévoles. Tandis que les hommes eux, sont toujours payés. Oui, il reste du chemin à faire.
Le 29 novembre marque la fin du boulot rémunéré pour les Québécoises. Ce chiffre est calculé par Anne Plourde, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Il est basé sur le revenu horaire moyen actuel : les femmes gagnent 30,86 $/heure comparativement à 33,84 $/heure pour les hommes, un écart de 9%.
Et si on compare le revenu annuel total moyen, alors le fossé est encore plus grand : les femmes gagnent 78% du salaire des hommes (48 000 $ vs 61 500 $).
Peut-on se réjouir que doucement, cela avance? Après tout, l’an dernier, l’écart pour le revenu horaire était de 10 % et il y a cinq ans, il était de 12 %. On avance, donc!
Oui, mais non, me souffle la chercheuse au bout du fil.
«Cela va prendre quelques décennies avant qu’on arrive à l’égalité», indique Anne Plourde.
Je lui demande de préciser sa pensée; elle me répond qu’elle n’a pas fait le calcul exact, mais elle estime que cela prendra «au moins 25 ans».
J’essaie de rester positive. Je lui demande si, dans certains secteurs, les femmes sont avantagées, côté salaire.
Une hésitation sur la ligne. Silence.
«L’écart est persistant, peu importe l’âge, le niveau scolaire, la taille de l’entreprise et l’industrie», dit-elle.
Bon. Mais il doit bien y avoir un domaine, disons deux, où les femmes sont «avantagées» financièrement, où les perspectives sont meilleures?
Bingo! Dans le milieu des soins de santé et des services sociaux, les femmes gagnent 99% du salaire des hommes. L’égalité quoi (ou presque).
Dans les milieux syndiqués, la tendance est aussi à l’équité salariale: dans les services publics, par exemple, où le taux de syndicalisation est élevé, les femmes gagnent presque la même chose que les hommes.
Finalement, dans le domaine du transport et de l’entreposage, les femmes gagnent un peu plus d’argent que les hommes. Comment l’expliquer? Une hypothèse: les femmes sont sous-représentées dans cette industrie, mais lorsqu’elles y sont, elles occupent des postes de gestion ou d’administration.
Dans certains types d’emplois, les choses vont moins bien: dans la construction, la fabrication et le commerce, les femmes gagnent 86 % du salaire des hommes. Et il y pire. Dans les services professionnels, scientifiques et techniques, c’est 78%.
Je suis sans mots.
Et je les perds encore plus lorsque j’apprends que certaines femmes travaillent gratuitement plus tôt que les autres. Les femmes immigrantes commencent leur période de travail gratuit trois semaines avant l’ensemble des femmes du Québec, soit le 9 novembre.
En parler pour changer les mentalités, sensibiliser, prévenir, c’est bien. Mais c’est insuffisant, souligne Anne Plourde.
«Si on compare le Québec avec le reste du Canada, ou avec la France, les écarts salariaux sont moins grands, dit-elle. On a mis en place de bonnes politiques avant-gardistes pour tendre à l’égalité.»
Elle fait référence au réseau des centres de la petite enfance (CPE), au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) et aux taux de syndicalisation élevés dans plusieurs milieux.
Mais tout cela est fragile. Prenons seulement le modèle des services de garde. Les places sont insuffisantes, l’accès est limité. On manque d’argent, de ressources, de personnel.
Lorsque le filet social s’effrite, ce sont les femmes qui en paient le prix. Encore et toujours.
«Ça prend des politiques sociales développées, universelles et gratuites, que ce soit en santé, en éducation et dans les soins pour les personnes âgées, dit l’experte. Lorsque tout cela est pris en charge socialement, les femmes sont libérées de ces tâches et de cette charge mentale.»
Et alors quoi? Et alors, elles peuvent aller sur le marché du travail.
Améliorer les mesures de conciliation travail-famille. Bonifier le RQAP. Investir dans le réseau des CPE. Aider les femmes à atteindre des postes dans les conseils d’administration, de cadres intermédiaires et supérieurs (elles n’occupent que 35 % des postes de gestionnaires au Québec). Voilà quelques bonnes pistes pour atteindre l’égalité et l’équité.
Mais quoi encore?
S’attaquer à la division genrée du travail. Voilà le nerf de la guerre.
Les femmes travaillent typiquement dans des emplois dévalorisés socialement. Ils sont moins reconnus, moins payants, ils viennent avec de moins bonnes conditions. A contrario, les hommes sont surreprésentés dans des emplois appréciés, payants, qui viennent avec de bonnes conditions.
La montée de la droite (ici, aux États-Unis et en Europe) et le courant masculiniste voulant que les femmes «retournent aux chaudrons» ne laissent présager rien de bon.
«Il y a encore du travail à faire», laisse tomber Anne Plourde.
Comme le disait Simone de Beauvoir, les femmes doivent rester vigilantes, car «il suffit d’une crise politique, économique et religieuse, pour que les droits des femmes, nos droits, soient remis en question».