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«Dystopie, donc, ou réalité surpassant la fiction? On le saura (bien) assez vite.»
— Monsieur, c’est tellement orwellien que ça en fait peur.
L’étudiante référait évidemment au classique 1984, l’ouvrage dystopique par excellence. Accompagné peut-être, dans une moindre mesure, par Le meilleur des mondes, d’Huxley, et potentiellement aussi par Et nous tuerons tous les affreux, de Vian, autre (chaude) recommandation.
Elle hésite, manifestement secouée, avant d’ajouter:
— En l’espace de quelques semaines seulement, un autre monde se dessine sous nos yeux. C’est tellement anxiogène.»
Dans une tentative d’humour semi-noir, j’enchaîne, dubitatif et à voix haute:
— Je me demande, en fait, si 1984 est encore pertinent…
— Que voulez-vous dire?
— Si la réalité, finalement, ne rend pas caduque la fiction…
***
Washington.
Là où la bêtise, ces jours-ci, ne se repose jamais.
Le nouveau Secrétaire d’État à la Santé, Robert Kennedy Jr, glousse de satisfaction. Fort de l’entérinement de sa nomination par le Sénat, le vaccinosceptique (soyons polis) se félicite que «Dieu lui ait envoyé le président Trump, après 20 ans de prières quotidiennes». Les institutions sanitaires états-uniennes voleraient, aux dires de Bobby, la «santé de nos enfants».
Il conviendra ainsi de leur faire subir le même sort — c.-à-d. la moulinette — qu’au programme USAID, créé par oncle John F., mais considéré par neveu comme «propagateur de totalitarisme et de guerre à travers le monde».
Le même jour, Donald le conquérant allait ajouter à son argumentaire proannexion, déjà bien garni, la perle suivante: «Les Canadiens ont besoin de notre protection militaire, ils sont en danger. Des navires russes et chinois ne sont pas très loin…»
Des vacances bientôt prévues à Rivière-aux-Graines ou au Lac-à-l’Eau-Claire? Faudra remettre. À moins, bien sûr, de souhaiter un face-à-face avec quelconque sous-marin soviétique.
Dans le même acabit de probité, on se rappellera aussi la déclaration, ô séduction, du président américain : « les Canadiens bénéficieraient, s’ils se joignaient à nous, d’une bien meilleure couverture de soins de santé ».
«La guerre, c’est la paix. La liberté, c’est l’esclavage. L’ignorance, c’est la force.»
Semaine dernière, toujours. Un journaliste est expulsé du Bureau ovale pour avoir référé, sacrilège, au « Golfe du Mexique », maintenant substitué par « Golfe d’Amérique ».
Merci, Google.
Refusant de s’arrêter en si bon chemin, la multinationale retire de son calendrier toute référence aux reconnaissances LBGTQ+, au Mois de l’Histoire des Noirs et à… l’Holocauste.
«Celui qui contrôle le passé contrôle le futur. Et celui qui contrôle le présent contrôle le passé.»
Non en reste, Washington ordonne désormais à la NSF (National Science Foundation), l’agence scientifique gouvernementale par excellence, le retrait de ses études et rapports des termes (non exhaustifs) suivants : «Communautés autochtones. Discours haineux. Discrimination. Égalité. Équité. Ethnicité. Femme. Femelle. Genre. Handicap. Inclusivité. Inégalités. Justice sociale. LBGTQ+. Marginaliser. Minorité. Noirs. Racisme. Statut socio-économique. Stéréotype. Transgenre. Traumatisme. Préjudice. Préjugé. Privilège.»
Alouette.
Il en ira de même, bien entendu, pour l’ensemble des sites web fédéraux.
«Tous les documents ont été détruits ou falsifiés, tous les livres récrits, tous les tableaux repeints. Toutes les statues, les rues, les édifices, ont changé de nom, toutes les dates ont été modifiées. Et le processus continue tous les jours, chaque minute.»
— Et ça se terminera où et comment, ces folies, monsieur?
La parole — encore et enfin — à Georges :
Le pouvoir n’est pas un moyen, mais une fin.
On n’établit pas une dictature pour assurer la révolution.
On fait la révolution afin d’établir la dictature.
Le but de la persécution est la persécution.
Le but de la torture est la torture.
Le but du pouvoir est le pouvoir.
[…]
"Si vous souhaitez une image du futur, imaginez une botte étampée sur un visage humain. À tout jamais."
Dystopie, donc, ou réalité surpassant la fiction ?
On le saura (bien) assez vite.