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Plusieurs intervenants confirment à Noovo Info que des armes sont saisies dans les écoles du Québec sans que la police ne soit mise au courant.
Couteaux, taser guns, haches… C’est le genre d’armes qui se trouvent dans des sacs à dos et casiers d’élèves, même au primaire. Et alors que le nombre de saisies d’armes opérées par la direction d’établissements scolaires de nombreuses régions au Québec augmentent, plusieurs d’entre elles passent sous silence, cachées même au personnel enseignant et aux parents, selon ce qu’a appris Noovo Info.
Plusieurs intervenants confirment que des armes sont saisies dans les écoles sans que la police ne soit mise au courant.
Des sources policières ont même affirmé à Noovo Info que dans certains cas, des policiers se voyaient remettre plusieurs couteaux saisis préalablement par la direction de l’école. La direction attendrait d’avoir quelques armes saisies avant de contacter la police.
Photo: Ce couteau, mince comme une carte de crédit, faisait partie d'une saisie dans une école. Crédit: Police de Deux-Montagnes
À VOIR ÉGALEMENT: DE PLUS EN PLUS D'ARMES SAISIES À L'ÉCOLE
Mélinda* (nom fictif) est technicienne en éducation spécialisée (TES) dans la grande région de Montréal. Elle a souhaité protéger son identité par crainte de représailles.
Elle rapporte que, chaque semaine, des couteaux sont saisis à l’intérieur de l’école secondaire où elle travaille, sans que la police soit appelée. La situation est gérée à l’interne par la direction de l’établissement scolaire.
«Pourquoi on ne le déclare pas? Je ne pourrais pas dire. Chose certaine, quand c’est des couteaux ou du poivre de Cayenne, la direction ne le déclare pas. La seule fois où j’ai vu qu’on a déclaré des armes, c’était des fausses armes à feu», dit-elle.
Mélinda déplore que les saisies d’armes soient cachées au personnel scolaire, l’information ne se propage que de bouche à oreille entre collègues pendant l’heure du lunch. Il y aurait donc beaucoup plus d’armes qui seraient saisies, selon elle.
Les journées se suivent et ne se ressemblent pas pour cette TES, qui dénonce le sous-financement des établissements scolaires. Les besoins sont de plus en plus criants, devant la montée de la violence armée chez les jeunes.
«Je dirais que dans les trois, quatre dernières années, on fait face à la loi de l’omerta. Les jeunes ont peur, très peur de parler. Si je suis un snitch (rapporteur), je vais y passer», explique Mélinda.
«Donc les jeunes, c’est difficile d’avoir des contacts avec eux. Maintenant, ils sont dans la peur continuelle. Ils refusent de parler.»
Si un jeune se fait prendre avec une arme blanche, sans que la police ne soit appelée, il est la plupart du temps suspendu par la direction. La durée de la suspension dépend de l’infraction et des directives internes.
Le problème, souligne Mélinda, c’est qu’une bonne partie du système administratif de l’éducation est au fait de ce qui se passe dans ses établissements, mais ne réagit pas pour autant.
«Je pense qu’il faut arrêter de se lancer la balle et de se dire que nos jeunes vont bien. Ce n’est pas le cas. Puis, à partir du moment où on est capable de se dire les vraies affaires, ben… avançons. Mais arrêtons de nous voiler le visage», dit-elle.
Une autre technicienne en éducation spécialisée qui travaille dans la grande région de Montréal s’est confiée à Noovo Info et déplore le mutisme du milieu scolaire.
«Cette année, on a appris qu’un de nos élèves avait peut-être une possible arme à feu à l’intérieur de l’école. La direction ne nous a rien communiqué comme information. On a dû faire notre journée de travail comme si de rien n’était, on n’a jamais su si c’était vrai ou non. C’était stressant», raconte cette seconde TES.
«Je reçois des élèves dans mon bureau qui ont été poignardés, parfois même tirés. Je ne suis pas formée pour ça. J’ai eu un cas où l’élève avait 14 ans.»
Selon plusieurs employés d’établissements scolaires qui se sont confiés à Noovo Info, l’ajout de policiers dans les écoles n’aidera pas nécessairement à améliorer le climat tendu qui se fait sentir depuis quelque temps.
C’est pourtant la direction prise à Montréal, où la police a annoncé le déploiement de policiers spécialisés dans les écoles cet automne afin de prévenir la violence et l’usage d’armes à feu, à l’aide d’un budget de 4,5 millions $. «L’Équipe-école» comprend un lieutenant-détective et trois agents de concertation du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), en plus de six employés civils, dont trois professionnels dotés d’expertise en problématiques sociales. D’autres villes, dont Laval, ont décidé de rajouter des policiers à l’intérieur de leurs écoles secondaires cette année.
Alors que les statistiques recueillies démontrent une augmentation des saisies d’armes à l’intérieur des écoles dans certaines régions du Québec, l’éventail des types d’armes se diversifie de plus en plus. À ce jour, aucune vraie arme à feu n’aurait été confisquée dans les écoles, selon les données obtenues par Noovo Info.
Outre les couteaux, voici des exemples d’armes qui ont été saisies dans les écoles du Québec récemment:
Photo: Voici un exemple de certaines armes retrouvées lors de saisies dans les écoles du Québec au cours des dernièrs années. Crédit: Noovo Info
Si on déplore l’augmentation du nombre de saisies en territoire scolaire, il est particulièrement difficile — voire impossible — d’avoir l’heure juste actuellement sur le nombre exact d’armes qui ont circulé dans les couloirs des écoles du Québec.
Certains corps de police n’ont pas été en mesure de répondre à nos demandes d’information, nous recommandant de procéder par une demande d’accès à l’information. C’est le cas des services de police de Granby et de Québec. Noovo Info a concentré ses recherches dans la grande région de Montréal et dans les grandes villes du Québec.
La plupart des corps policiers confirment saisir des armes dans les écoles, mais impossible d’avoir des données précises. La raison: l’extraction de données est parfois trop exhaustive et les détails demeurent flous quant à la catégorisation des types d'armes saisis.
Cela dit, certains corps policiers possèdent des données plus claires du phénomène.
À Repentigny, par exemple, le service de police recense 17 couteaux saisis en milieu scolaire en date du 12 octobre 2022 — une augmentation de 15 armes par rapport à 2019.
«Nous on a décidé à l’interne d’avoir une tolérance zéro en matière de couteaux dans les écoles. Donc on applique le règlement municipal de la ville de Repentigny qui interdit d’avoir en sa possession ce genre d’objet là en sa possession à l’école. [...] Depuis une dizaine d’années que je suis en poste, il n’y a pas eu d’événements de jeunes poignardés à l’école ou à l’heure du lunch», affirme Bruno Marier, porte-parole du service de police de Repentigny et responsable des policiers sociocommunautaires dans les écoles.
À Mascouche, aucune arme n’a été saisie dans les écoles en date de 2018. Mais en 2021, six armes ont été saisies, dont une matraque, un pistolet à bille et un couteau. Depuis le début de l’année, deux couteaux ont été saisis dans les écoles de la région.
Du côté de Montréal, les données officielles du SPVM recensent deux armes blanches saisies dans les établissements scolaires depuis le début de l’année. Ces données incluent les écoles primaires, secondaires, les cégep et les universités. À la lumière de l’enquête de Noovo Info, ce nombre est vraisemblablement beaucoup plus important.
À Laval, 10 armes ont été saisies depuis le début de l’année dans les écoles. Dans la région de Longueuil, ce sont sept armes – dont trois armes à plomb – qui ont été remises aux forces de l’ordre.
Ailleurs dans la province, la Sûreté du Québec (SQ) dénombre 44 armes saisies sur son territoire, qui compte plus de 2200 établissements scolaires. La plupart d’entre elles impliquent surtout des couteaux.
Mimoun Mohammed Nordine, un intervenant social dans le quartier Saint-Michel à Montréal, observe lui aussi un problème de violence. Il dit recevoir plusieurs appels liés à des armes saisies dans les écoles secondaires.
Ce qui le sidère, c’est l’âge des jeunes qui se présentent à l’école avec des armes.
«Récemment on m’a parlé des écoles primaires; des jeunes de 5e et de 6e année qui se retrouvent dans des conflits avec des bâtons et des couteaux — des couteaux ramenés de la maison.» dit-il.
Il affirme lui aussi que la police n’a pas été contactée en marge des événements qui lui ont été rapportés. Il insiste que la direction de l'école ferme les yeux sur le phénomène, aux grands désarroi des enseignants qui se sentent dépassés par la situation.
Selon lui, il est temps de s’ouvrir les yeux.
«On est devant un problème de société qu’on n’arrive pas à voir. Ce n’est pas lié à un quartier, ce n’est pas lié à une ville, c’est lié à une génération. Et c’est pourquoi il faut chercher plus loin. Pourquoi on est rendu là? Pourquoi on est rendu à un point ou les jeunes ont besoin d’avoir une arme pour régler un conflit?» se demande-t-il.
«Il faut regarder ce que les jeunes regardent comme films, comme jeux vidéo, comme posts sur les réseaux sociaux. C’est là qu’il faut mener une recherche approfondie.»
M. Nordine passe beaucoup de temps à essayer de comprendre le phénomène de violence qui touche les jeunes.
Des jeunes qui se bagarrent, des chicanes dans la cour d’école, des propos menaçants, il y en a toujours eu, affirme-t-il. La différence, présentement, c’est l’intensité et l’impulsivité chez les jeunes, selon lui.
«J’ai l’impression qu’on a perdu beaucoup d’empathie. Sur les réseaux sociaux, il n’y a pas d’empathie. À travers les écrans, ils ne peuvent pas sentir la douleur de l’autre, et il n'y a pas de recul», avance-t-il.
Il suffit de passer quelques heures sur les réseaux sociaux pour constater le phénomène de glorification de la violence. De jeunes adolescents s’affichent en toute impunité avec des armes blanches, des couteaux, des armes à feu ou du poivre de Cayenne et s’insultent, se battent ou se blessent.
Photos: Des jeunes de la région de Montréal s'affichent ouvertement avec des armes sur les réseaux sociaux. Crédit: Instagram
Mais ce qui se trouve sur les écrans des cellulaires se transporte également dans la rue et se retrouve dans les écoles – autant au secondaire qu’au primaire.
En novembre 2021, un véritable arsenal a été saisi à la Polyvalente Deux-Montagnes, incluant plusieurs types de couteaux et un étui pour des cartes d’identité dissimulant une lame tranchante.
Photo: Une étudiant de 15 ans trainait une véritable arsenal avec lui afin de le vendre à des élèves de son école en novembre 2021. Crédit: Police de Deux-Montagnes
La personne appréhendée avec ces armes avait 15 ans et les vendait sur le territoire de l’école. Certaines des armes étaient disponibles pour de modiques sommes, en quelques clics, directement sur le web.
Jean-Philippe Labbé, inspecteur à la division des enquêtes du Service de police de Deux-Montagnes, affirme que malgré quelques saisies d’armes blanches au cours des dernières années, ce cas particulier est isolé. Il confirme cependant que le phénomène ne touche pas juste les grands centres urbains.
«Ça serait fou de penser que ça arrive seulement sur l'île de Montréal ça c'est sûr.» dit-il.
«Dans ce dossier-là, on [a] rencontré [le jeune]. On avait eu comme information qu'il avait vendu [d’autres armes] à d'autres élèves. À partir de ce moment-là, ça devient du trafic d'armes prohibées. Le jeune a été accusé et le dossier a été assigné au tribunal de la jeunesse», explique l’inspecteur Labbé.
Selon lui, la police est contactée de façon «systématique» lorsqu’une arme blanche ou un pistolet est découvert sur le territoire scolaire de Deux-Montagnes. Il affirme également que tous les cas sont pris au sérieux, mais souligne tout même un élément clé: tout le monde doit y mettre du sien pour sensibiliser les jeunes.
«Une des clés du succès là-dedans, c'est le travail de tout le monde, puisque les parents ont aussi un rôle à jouer. Ils doivent sensibiliser leur jeune sur la gravité de leur geste», dit-il.
Difficile aussi d’avoir un portrait exact de la situation des Centres de services scolaires. Aucun d’entre eux n’est en mesure de fournir des données. Certains centres affirment que les saisies sur leurs territoires constituaient surtout des «cas isolés». D’autres nous renvoient à une demande d’accès à l’information. Plusieurs ont carrément refusé de répondre aux demandes de Noovo Info.
Le Centre de services scolaire des Mille-Îles, où plusieurs armes ont été saisies à l’intérieur d’un sac à dos d’un élève de 15 ans en novembre dernier, a décliné notre demande d’entrevue. À la question combien d’armes blanches ont été saisies sur leur territoire, la réponse fut dirigée vers les armes à feu.
Le Centre de services scolaire de Montréal, quant à lui, a répondu à la demande de Noovo Info en expliquant qu’il ne possède pas de données centralisées à ce sujet et que chaque école possède son plan de lutte «contre l’intimidation et la violence.»
Le Centre de services scolaire des Affluents, où 17 couteaux ont été saisis, affirme de son côté prendre la situation au sérieux.
En réponse à nos demandes de données, la Fédération des centres de services scolaires du Québec a affirmé que «comme cette responsabilité relève des écoles, la FCSSQ ne détient aucune donnée à ce sujet.»
Rencontré dans un parc de Montréal avec ses deux amis, Benjamin (nom fictif) a l’air confiant. Le jeune homme de 18 ans affirme qu’il a commencé à porter un couteau sur lui il y a environ deux ans, lorsqu'il n'en avait que 16.
«J’en ai toujours eu en ma possession, mais je n’ai jamais agi avec, c’était pour me protéger. Je l’amenais à l’école, mais je ne le montrais pas. Puis, je ne me vantais pas d’en avoir un. Je le laissais dans ma case ou dans mon sac», se justifie-t-il..
«Tout le monde a des couteaux pour se défendre» ajoute son ami Ryan (nom fictif), 18 ans lui aussi.
Photos: Les réseaux sociaux comme Snapchat et Instagram regorgent de photos de jeunes qui s'affichent avec des armes ouvertement. Crédit: Instagram
L’inspecteur Labbé observe une augmentation des comportements criminels auprès des jeunes sur son territoire.
«On retrouve maintenant des dossiers d'intimidation dans les écoles primaires, des élèves de 6e année. On dirait que, pour chaque génération, les choses se passent un petit peu plus tôt.»
«Les jeunes nous disent qu'ils amènent ça pour se défendre. On est toujours interpellé par ça: se défendre de quoi? Les réponses qu'on a, c'est qu'ils ont subi des menaces sur les réseaux sociaux, qu'ils ont subi des menaces de voies de faits», explique M. Labbé.
Benjamin et Ryan ont un malaise évident en tentant d’expliquer la raison derrière la possession d’armes – tant dans la rue qu’à l’école.
«C’est parce que tout le monde achète des couteaux pour se défendre. Du coup, les gens achètent des couteaux parce qu’ils pensent que les gens vont les attaquer, mais en fait, tout le monde a des couteaux pour se défendre», explique Ryan.
Mais pourquoi ne pas appeler les autorités? Ça non plus, ils n’y croient pas.
«Ça ne sert à rien», continue Ryan. «Disons que quelqu’un t’agresse. Le temps d’appeler la police, bah, t’es déjà agressé.»
Pourtant, les deux jeunes hommes reconnaissent que le port d'une arme «ne sert à rien». Mais il n’est pas question d’appeler la police pour dénoncer les agresseurs.
C’est une question de «principe», selon Benjamin: «Tu ne crées pas des problèmes à quelqu’un d’autre. [...] Tu laisses passer même si tu te fais poignarder.»