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La Vitrola? L’escalier? Ces établissements sont morts durant la pandémie. Ils sont devenus des condos achetés pour leur proximité à la «vie vibrante du quartier.» Ces mêmes condos où habitent des gens qui appellent pour se plaindre du bruit.
Durant la pandémie, j'ai commencé à travailler sur un article sur l’avenir des institutions culturelles de nuit à Montréal. Il planait à l’époque un sentiment de peur sur leur avenir. C’était (et c’est encore) très compréhensible : après 1 an et demi de pandémie, est-ce que nos institutions étaient assez protégées ?
À l’époque, je m’étais adressée à Will Straw, professeur en Urban Media Studies à McGill, une sommité en matière d’études sur la culture de la nuit. Il m’avait expliqué que Montréal historiquement avait une politique de laisser-aller où la ville préférait laisser le SPVM s’occuper des plaintes de bruit plutôt que de mettre en place des mesures qui protégeraient cette culture. Cette façon de faire date d’avant la pandémie. Vous vous souvenez du Divan Orange ? Cette petite salle mythique est morte en raison des plaintes de bruits des résidents qui avaient choisi de vivre à côté pour « la vie vibrante ». Les amendes étaient trop élevées et se cumulaient.
Et si on parlait de La Vitrola ? Peut-être connaissez-vous L’escalier ? Ces établissements sont morts durant la pandémie. Trop cher de continuer à les faire vivre et avec les loyers commerciaux qui augmentent de façon exponentielle, c’est presque impossible de continuer à vouloir faire vivre la culture montréalaise. Puis, au fur et à mesure que les mois avancent, on entend parler de multiples fermetures, d’évincements, de loyers qui augmentent trop, d’amendes qui n’arrêtent pas, de plaintes de bruits, de Sommet de la Nuit qui ne sont que des consultations sans que des mesures concrètes prennent place.
Ce qui m’amène à la fermeture du Cagibi. Avez-vous déjà entendu parler du Cagibi ? Le Cagibi, c’est une coop, un café qui organise des événements pour la communauté queer, un espace charmant où il a toujours fait bon de travailler, d’étudier ou d’assister à un spectacle. Au début connu sous le nom de Pharmacie Esperanza (ensuite Café Esperanza) le Cagibi à élu domicile dans le Mile-End durant plus de 10 ans… avant de devoir déménager après une hausse brutale de loyer. De 3795 $ par mois, le café se retrouvait face à devoir payer pour rester 7500 $ par mois. Aucun autre choix que de déménager, de perdre la petite salle de spectacle du fond et de se retrouver dans un espace plus restreint, mais tout aussi chaleureux dans la Petite Italie en 2018. Un espace où des soirées musicales, de poésie, de rencontres étaient encore au rendez-vous. Les employés toujours aussi heureux, les clients aussi. Au moins, le Cagibi survit.
Jusqu’à la pandémie, jusqu’à de multiples bris et finalement, jusqu’à se faire évincer encore une fois de son propre local. Le dernier clou dans le cercueil. Aurait-on pu prévenir tout cela? Oui, il y a possibilité de prévenir ces tristes circonstances, ces hausses de loyer brutales. Il est possible de contrer l’embourgeoisement des quartiers. Des exemples d’autres villes dans le monde existent. San Francisco a mis en place une taxe sur les locaux commerciaux inoccupés de plus de 182 jours. Berlin quant à elle a décidé, en 2021, de nommer ses clubs et salles de spectacle des institutions culturelles ce qui leur permet d’avoir des exemptions fiscales, les protègent d’être évincées et même leur permet d’être exemptes des limites de bruit.
Ce ne sont pas des petites villes, ce sont des métropoles majeures ayant un impact important sur la culture de leur pays, et même sur la culture mondiale (notamment pour Berlin.) C’est impossible de le nier, les quartiers de notre ville sont pleins de locaux abandonnés, et ce, même avant la pandémie. Le local du Cagibi, situé au coin de Saint-Viateur et Saint-Laurent, a été vide pendant plus d’un an jusqu’à ce qu’une taqueria au décor aseptisée fasse son apparition dans le quartier fin 2019. Qu’attend la ville pour faire quelque chose ?
Nos institutions culturelles, dont le Cagibi fait partie, sont en train de mourir. Personne ne fait rien jusqu’à ce que les citoyens s’en mêlent (le cas de la petite librairie S.W. Welch dans le Mile-End l’an passé.) Le Théâtre La Tulipe a dû partagé publiquement une lettre ouverte sur les multiples contraventions reçues de la part d’un propriétaire zélé ayant décidé d’habiter en arrière de la mythique salle de spectacle avant que la ville décide de faire quelque chose. Le Divan orange n’a pas eu cette chance…
Nous ne pouvons pas constamment nous comparer aux grandes métropoles culturelles si l’on ne fait rien pour préserver ce qui fait de nous une table tournante de la culture en Amérique du Nord. On ne peut pas se comparer constamment à Barcelone ou Berlin si on continue de pratiquer une culture du laisser-aller, si on ne protège pas notre tissu culturel.
Promenez-vous dans le Mile-End, il ne reste rien de ce qui faisait son charme en 2005. Le Drawn and Quarterly, Olimpico, Dragon Flowers et le Club Social sont les derniers éléments qui nous rappellent juste un peu ce que c’était le Mile-End de 2005, lorsque Montréal fut déclarée par le New York Times « one of hottest rock music cities in North ». Les loyers trop élevés, les locaux commerciaux avoisinants les 10 000 $ par mois et l’éviction du tissu social qui en faisait sa beauté ont signé son arrêt de mort, sans aucune intervention de la ville.
Alors vive le Cagibi ! Vive Le Divan Orange ! Vive le Café Résonance ! Vive La Vitrola ! Vive L’escalier ! Vive Les Katacombes ! Vive les lofts dans lesquels les afterpartys prenaient forme ! Ils sont devenus des condos achetés pour leur proximité à la « vie vibrante du quartier. » Ces mêmes condos où les gens qui y habitent finissent par appeler pour se plaindre du bruit.